Tempête

tadamok

Portrait de femme : Tempête et moi sommes à la terrasse d'un café.

Sur sa photo d'identité, Tempête ressemble un peu à Saphia Azzeddine. Dans la réalité, elle est encore plus belle, ce que je n'aurais jamais cru possible. Son sourire de politesse est très beau et très léger. Il donne l'impression que son visage s'agrandit subitement : les sourcils montent, les yeux se plissent, les pupilles s'allument, les pommettes jaillissent, et la bouche se déploie dans toute sa splendeur. Son cul est éligible aux cent bonnes raisons de tout plaquer pour aller vivre reclus dans un monastère en ne pensant qu'à ça. Ses joues sont taillées dans un matériau dans lequel je voudrais qu'on m'enferme.

De face, les cheveux de Tempête forment une sorte de cocon ovale, d'une légèreté infinie, oscillant toujours deux fois après chaque mouvement de tête. Parfois, une mèche un peu raide lui tombe toute seule devant le visage, juste par le souffle d'un ange. Alors elle la replace sur le front d'un revers de main, avec la grâce de Marie Pierce épongeant sa sueur, ou derrière l'oreille, du bout de l'index, comme fait parfois Isabelle Adjani, les doigts emprisonné dans des moufles imaginaires. Il arrive même, délicieuse minauderie, qu'elle attrape une épaisse mèche de cheveux et la plie en deux devant sa bouche pour en faire une grosse moustache tandis qu'elle parle.

De trois-quarts, ses yeux et ses sourcils superbement dessinés sont masqués par le mince rideau d'une chevelure clairsemée, d'où seule dépasse l'extrémité de ses cils, battant l'air comme les ailes d'un papillon, à la manière de Guimieukis, la servante de Cléopâtre*.

Souvent, sa main gauche traverse ce joli paysage en diagonale pour aller attraper du côté opposé des cheveux qu'elle ramène vers l'avant en passant derrière la tête. Ainsi regroupés sur l'épaule gauche, ils semblent vouloir entraîner dans leur chute la jolie tête qui les tient. Quelquefois, elle finit le mouvement en en ramenant une partie devant le visage, d'un geste négligé qui semble à la limite de l'involontaire. Ils forment alors un voile capillaire vaporeux au-dessus duquel seuls ses deux yeux surnagent, sublimes. Il arrive aussi que le mouvement soit arrêté en plein élan, comme si elle prenait la pose pour un photographe. Sa main se retrouve alors immobilisée au sommet de la tête, quelques boucles chanceuses restant prisonnières entre ses doigts graciles. Ou bien c'est une longue mèche solitaire qui se retrouve suspendue dans le vide au-dessus de sa tête, torsade aérienne légère et clairsemée flottant dans les airs comme une sentinelle guettant le danger. Et quand elle dégage en arrière sa crinière, c'est une collection d'œuvres d'art qui semblent s'éclairer en un instant : sa joue, ses lèvres, ses yeux, sa boucle d'oreille - l'authenticité du tout étant garantie par le poinçon d'orfèvrerie qu'on aperçoit au coin de l'œil droit.

Lorsqu'elle marche vite, ses cheveux se soulèvent à chaque pas, comme le tutu d'une danseuse qui marcherait d'un pas décidé vers le centre de la scène. Et si elle éternue, ils s'envolent brusquement de part et d'autre de son visage, emportés par le flux d'air que son poing fermé renvoie vers l'arrière.

Tempête a des manies, des petits gestes de nervosité, des tics, comme autant de friandises délicieuses, sans cesse renouvelées, que je déguste à chaque fois que nous allons ensemble au café pour réviser les cours. Sa posture favorite consiste à déposer la tête sur ses doigts repliés, tandis que l'auriculaire frétille et balaye les alentours de sa bouche à la manière d'un essuie-glace. Mais il arrive que ce soit l'index qui tienne le premier rôle de ce spectacle qui semble tout droit sorti du panier d'un charmeur de serpents. Quand il n'est pas pris dans un mouvement de flexion-extension frénétique digne d'un entraînement militaire, il enveloppe joliment le nez, donnant à sa propriétaire des airs de fillette suçant son pouce. Et c'est finalement le déploiement progressif de ses doigts, qui semblent éclore comme les pétales d'une fleur, qui met un terme à la séance en scellant le tout d'un V de la victoire encadrant son œil magnifique.

La moindre de ses attitudes est un miracle. La banalité du quotidien n'a pas de prise sur elle. On peut bien faire le tour du monde, jamais on ne verra quelqu'un ôter son manteau en basculant les épaules avec un tel mélange de grâce et de retenue. Jamais personne ne tiendra son téléphone portable avec autant de délicatesse, du bout des doigts, par-dessus les cheveux, selon l'inclinaison parfaite. Même sa façon de se moucher est un condensé de féminité : poignets cassés, doigts relevés, elle a l'air d'une danseuse orientale remettant son voile sur le nez. Lorsqu'elle suggère une idée, elle finit toujours sa phrase en refermant très légèrement les paupières et en abaissant la lèvre inférieure. Il n'existe pas de plus beaux points de suspension. Et si la réponse se fait attendre, elle patiente en refermant les épaules devant elle et en faisant glisser la tête le long du rail naturel formé par ses bras, ou bien en plongeant le visage dans le creux de son coude, retenant de la main son bras gauche qui fait office d'écharpe.

Une fois la tête redressée, sa main jouissant d'une liberté retrouvée se change en une pince démoniaque, partant à l'assaut de divers objectifs. Tel jour, le cou, sans doute pour prendre le pouls de sa concentration. Tel autre, les joues, et son visage ressemble alors à celui de Venec se faisant rabrouer par le roi Arthur**. Parfois encore, c'est le nez, comme si elle s'apprêtait à plonger de toute son âme dans la démonstration d'un théorème, à la suite de quoi la main se recroqueville comme la patte d'un chat qui se cache les yeux pour dormir. Ou bien c'est la tempe qui doit résister aux charges répétées d'un index pointé droit sur elle ou de doigts crochus prêts à griffer.

De temps en temps, elle plie ses lèvres comme font les enfants pour imiter les poissons, ou bien elle se mordille l'index et reste figée dans cette position, la bouche entrouverte, pendant une éternité. Des fois elle se prend la tête dans les mains puis écarte celles-ci lentement, les yeux fermés, ouvrant délicatement le rideau du théâtre de mes rêves sur le doux visage de la Belle au Bois dormant. Et elle finit toujours par envoyer à distance des tas de baisers aux feuilles qu'elle est en train de lire.

Mais tandis que je consacre toute mon énergie à me désintéresser des leçons que j'ai sous le nez, le patron du café se lance dans un réaménagement des tables, m'arrachant du même coup à ma rêverie. Très vite, le mobilier qui était autour d'elle disparait. La voilà entourée de vide. On ne voit plus qu'elle. Elle occupe alors enfin la place qui lui revient : le centre du monde.

* personnage joué par Noémie Lenoir dans le film Astérix : mission Cléopâtre
** voir Kaamelott
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