TEMPS PERDU

johnnel-ferrary

 TEMPS PERDU

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Nous sommes arrivés à 18 heures 49 comme il était prévu d’après notre ordinateur temporel. Pas de temps à perdre, car il nous fallait rapatrier l’escadron 28.C de sa base à celle que nous avions élaboré sur l’astre lunaire. En vitesse subsonique, soit cinq fois la vitesse de la lumière, nous étions sûrs et certains de réussir. J’ai demandé à mon second d’envoyer une sonde pour explorer la base en question, celle où nous attendait l’escadron 28.C.

-      Bien Commandeur, elle est prête au départ.

-      Allez-y, ne perdons plus de temps, il est précieux pour nous et surtout pour l’escadron. Je veux que vous me donniez avec exactitude, l’état de notre escadron. D’après les dernières informations, il a été attaqué par une bande de maquisards venant de l’ouest. Et je ne pense pas que ces entités soient capables de laisser derrière elles des survivants !

-      Oui Commandeur, voici les premières analyses envoyées. Elles viennent tout juste de m’être envoyées sur mon contrôleur interne.

-      Et que disent ces dernières ?

-      L’escadron qui est composé d’une cinquantaine de fantassins, est toujours en place, les armes à la main.

-      Parfait. Préparez les cinq navettes afin que les gens puissent retourner sur Terre et non sur la base Lunaire comme il était prévu. Chacun doit retrouver sa famille, ces types là ce sont battus pour notre liberté. Préparez moi aussi ma navette, je vais d’abord les rencontrer.

-      Ce n’est pas trop dangereux, Commandeur ?

-      Non, je suis aguerri à ce genre de situation. Allons-y, vous venez avec moi. Je veux saluer ces soldats qui nous ont évité l’humiliation face à cet adversaire. Lorsqu’ils sont venus sur Terre afin de détruire ce que nous sommes, vous n’étiez pas né si je le crois ?

-      Non, Commandeur, et j’ai toujours connu la guerre même lorsque j’étais enfant. Je me suis enrôlé dans les forces d’accompagnement dès l’âge de raison, c’est-à-dire onze ans.

-      Je vous félicite mon vieux. Pour ma part, cela fait un siècle que je cherche à retrouver cette seconde qui nous manque et qui nous a placé sous la coupelle de cet ennemi. Ils ont toujours une seconde d’avance, une simple seconde, et nous perdons toujours la partie. Mais cette fois, il n’est pas question de la perdre, nous devons obtenir deux secondes d’avance sur eux.

-      Je le souhaite moi aussi Commandeur, je le souhaite !

-      Allez, tous aux navettes et partons, hurlai-je.

Il est vrai que nous étions une centaine à embarquer dans les petites navettes. Déjà, au loin, je remarquai le ciel devenir verdâtre, déchiré à maints endroits par des fumerolles rouges. J’imaginais nos soldats dans cette fournaise avec en face ces entités monstrueuses dont pourtant, aucun ne nous ne pouvait imaginer l’apparence ni le regard. On les savait présents, on les savait tueurs, mais aucun de nous ne pouvait entrevoir une quelconque apparence qui les rendrait encore plus présents face à nos armes électroniques. L’un près de l’autre, mon second et moi-même, marchons du pas identique, celui du soldat sans âme qui va mourir au champ d’honneur. Mission de sauvetage, mission vers un pas pour la paix, allons savoir ? Quitter cette foutue planète avec ses habitants invisibles, et qui pourtant, invincibles ne le sont pas pour autant ? Parfois, l’un de nos compatriotes croyait en voir un, mais dès qu’il en parlait, la mort subite l’évinçait de nous. La navette est là, nous montons à bord. Le pilote, un jeune homme expérimenté, nous salue avec respect. A ses cotés, une jeune femme qui nous salue à son tour.

-      Bienvenu Commandeur, attachez vos ceintures, nous décollons.

Je ne voudrais pas vous décrire ce paysage grotesque que nous livre cette planète. Il est à supposé qu’autrefois existait ici une cité gigantesque. Des routes, des immeubles, des carcasses de véhicules inconnus, aussi des montagnes où ruisselait une eau rouge et boueuse. Un paysage d’une monstruosité cadavérique, comme l’avait bien précisé mon prédécesseur. Il avait bien raison, cette planète regorgeait de métastases identiques à celles d’un corps humain en putréfaction. Par contre, et je ne sais pourquoi, l’air que l’on y respire est bien meilleur que celui respiré sur notre bonne vieille planète bleue. Je dirais qu’il sent bon, un mélange fruité de plantes odorantes, mais aussi de ces parfums industriels. Un mélange doux qui vous fait sombrer dans un bien être et vous rend fragile. Est-ce cela le mystère de cette planète, conjugué avec cette seconde qui rend son peuple en avance sur le mien ? Je n’en sais rien, mais ce que je sais, c’est qu’il me faut sauver mes compatriotes afin d’éviter une troisième défaite sur l’échiquier universel. Nous en sommes à trois à zéro face à cet ennemi, et nous n’avons aucun point ! La défaite est cuisante je crois, et si nous continuons ainsi, la Terre ne sera plus qu’une boule qui tournera autour de son soleil éteint. Je crois que les Dieux l’ont voulu ainsi, pourtant nous étions en avance sur les autres peuples de la galaxie, mais voilà…

-      Commandeur, nous arrivons sur la base, nous pouvons y poser nos navettes.

-      Parfait, que les troupes puissent regrouper les survivants de l’escadron 28.C pour les ramener sur Terre. Combien de navettes nous aurons besoin pour les rapatrier ?

-      Trois suffiront, Commandeur, les Aéronefs les attendent déjà.

-      Bien, allons-y que je puisse m’entretenir avec les membres de l’escadron.

Cette guerre, aucun de nous l’avait voulu, et encore moins le peuple de la Terre. Seulement voilà, nos Dieux sont les Maîtres de nos destins, ils choisissent pour nous même si nous refusons de la suivre. Hélas, être libre c’est mourir, alors nous acceptons leurs choix et celui de la guerre comme une partie d’échec en quatre dimensions. Et là, nous avons perdu l’essentiel à ce jeu, à savoir la seconde supplémentaire qui nous permettrait l’avance nécessaire au prochain coup qui sera le nôtre.

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Ils étaient là, devant nous, le regard perdu dans une brume incandescente. L’air ahuri, l’un d’eux s’avança vers moi.

-      Je suis le Commandeur, nous avons été attaqués mais grâce au courage de nos hommes, l’ennemi a rebroussé chemin. Je me tiens à votre disposition ainsi que le reste de mes hommes. Nous sommes cinquante, pas un de plus, pas un de moins. Parmi nous quelques femmes qui savent se battre elles aussi.

-      Bien Commandeur. Nous sommes là pour que vous puissiez rejoindre notre planète et retrouver vos familles. Où est passé l’ennemi ?

-      De l’autre coté de la colline se trouve un second poste. Mais attention, il est prêt à riposter.

-      Nous sommes là aussi pour combattre, je lui réponds.

-      Alors bon courage Commandeur, me dit-il en me serrant la main.

J’ai demandé à mon second de préparer une centaine d’hommes pour détruire cet essaim d’extra-terrestres. Une seconde colonne accompagnera les survivants du carnage. Car il y eut bel et bien carnage à les regarder dans la laideur de ceux qui viennent de combattre. Et soudain, voilà que je mets à réfléchir. Une seconde d’avance, certes, mais pour eux, une seconde correspond à quelle donnée précise ? Et si pour cet ennemi une seconde terrestre correspondrait pour nos ennemis, à une heure, à plusieurs mois, voire plusieurs années ? Ils savaient donc que nous allions venir pour évacuer les survivants de ce poste avancé ? Mais alors, n’y aurait-il pas engrenage et guet pends ? Je regardais la colonne se perdre dans nos navettes. Je venais d’avoir un sentiment particulier, une sorte de malaise dont il me fallait comprendre l’origine. Et puis il y avait la mission, celle de combattre l’ennemi !

-      Lieutenant, amenez nous au second poste et que chacun se prépare au combat. Utilisez les engins qui se trouvent dans les garages du poste. Du moins, ceux encore capable de rouler sur ce sable graniteux.

-      A vos ordres Commandeur.

Bien que très jeune, ce lieutenant sera bientôt capable de me seconder efficacement et pourquoi pas, prendre ma place une fois arrivée ma retraite. Dans un mois environ ! Je ne rêve que de çà, l’air pur de la campagne, loin des villes où s’est installée la pollution politique, les règlements de compte à coups de fusils Bref, cela me tarde de partir et d’oublier tout ce qui fût l’excellence d’une vie passée sous l’uniforme. Les véhicules de reconnaissance ont la fâcheuse habitude d’êtres très bruyants et lourds, donc ils roulent à basse vitesse. Des moteurs à hydrogène particulièrement ancien, de la rouille dans les rouages, dans le châssis. Les deux bases sont éloignées d’une dizaine de kilomètres seulement, et nos vitesse n’excèdent pas le quatre vingt kilomètres heure. Nous sommes arrivés une heure trente après notre départ puisque l’un de nos véhicules a dû stopper à cause  d’une avarie mécanique. Arrivés enfin à la base, nous sommes entrés sans aucun problème. Le système de sécurité désactivé, aucun garde en faction. Et là, devant nous, deux cent cadavres en putréfaction ! Mais pas les cadavres de nos ennemis, cela serait trop beau, mais ceux de nos troupes qui devaient se trouver là depuis plusieurs jours terrestres. Et là, il m’a fallu de comprendre la supercherie. Une seconde pour nous équivaut à plusieurs jours pour eux. Dans un coin reculé des galaxies, je pense à ces Dieux qui jouent aux échecs avec nos vies sans espoir de survivre, les blancs jouent en premier, nous sommes les noirs, donc une seconde de retard, une seule, et nous sommes vaincus avant même le début de la partie ! Les Dieux ont créé les hommes afin de jouer comme les gamins avec des marionnettes qui dès le jeu terminé, vont rejoindre la grande panière du désastre. Nous sommes nés avec le handicap de la seconde perdue, et nul ne pourra inverser le processus envisagé par les Dieux et leur cynisme divin ! Je me retournai vers le jeune lieutenant. Je n’ai pas compris pas tout de suite car le visage n’était pas celui d’un humain. En fait, devant moi, un ennemi à visage découvert. Un regard dur, des rides parcouraient ce visage dont la bouche ne possédait aucune lèvre. Un trou à la place des oreilles, et une odeur forte de chair dont l’  avilissement commençait. Mais il me parlait dans mon langage, et je le comprenais, et il me comprenait.

-      Contre les Dieux éternels, aucun de nous ne peut rien. Nous sommes le début et vous êtes la fin. La partie va se terminer, les blancs feront échec et mat et ce, à chacune des générations nouvelles. Vous voyez vos trois navettes, le groupe d’intervention numéro deux est à bord. Nous savions déjà que vous viendriez, aussi nous avons tué vos hommes afin de prendre leurs places et se retrouver sur Terre qui dès maintenant, n’a que quelques heures avant de disparaître ! Je suis resté pour vous le dire, Commandeur, échec et mat ! Contre les Dieux, nul ne peut rien.

Cet être me donnait envie de le tuer, de détruire les Dieux et leurs sauvages décisions dès les nouvelles générations d’hommes et de femmes naissants. Aussi, c’est ma décision, je n’ai plus rien à perdre, je viens de sortir mon arme et le pointer vers cet inconnu. J’ai tiré à maintes reprises sans compter. Il est tombé sur le sol et de son corps mutilé est sorti un liquide grisâtre. Il me regarde, me fixe à nouveau.

-      Vous ne pouvez rien contre les Dieux, ils sont éternels, quant à vous, simple mortel dont l’intérêt est nul aux regards de nos créateurs, vous êtes impie !

-      Vous croyez Commandeur ? Mais vous vous trompez. Je vais interrompre la partie en détruisant les pions blancs. J’ai perdu, je le sais, mais ô combien ma vengeance me fait du bien ! Je hais les Dieux, et puisque je suis seul face à eux, si je ne peux les détruire, je peux envisager la destruction totale du jeu dont ils se servent. Lorsque le maître est invincible, il nous   faut alors transformer son environnement afin qu’il ne puisse retrouver sa place. Cela, vous l’ignorez. Les Dieux sont immortels, certes, mais à quoi bon le rester puisque cela ne leur servira à rien ! Plus aucun être pour les supplier dans sa prière, la solitude des Dieux leur offrira la mort dans l’éternité lugubre de l’enfer. Et vous, sachez que je vais détruire les trois aéronefs avant qu’ils ne touchent le sol terrestre. Une simple seconde d’avance me suffira.

Je me retourne vers le jeune homme ébahi.

-      Lieutenant, préparez moi un aéronef avec toutes les munitions que vous aurez. J’ai une vengeance à effectué, elle sera mon dernier combat, le plus noble aussi.

-      Bien Commandeur, réplique le jeune garçon mis au garde à vous.

Et me voici dans la machine qui fonce dans cet espace infini. Ils sont là tous les trois, ils sont devant moi. Dans ma tête résonne la phrase « …échec et mat ! »

J’ai appuyé plusieurs fois sur la manette et là-bas, il y eut des explosions, puis l’obscurité qui revient alors que mon corps se mutile peu à peu…

Je ne sais pas si j’ai réussi, mais si vous lisez cette histoire, n’est-ce pas que les Dieux ont été bannis de votre monde qui aujourd’hui, retrouve le goût de la liberté ? C’était il y a longtemps, trop longtemps pour que vos scientifiques en viennent à savoir où se trouve la seconde dans laquelle je suis enterré. Mais cette seconde a pour nom… Eternité ?

Johnnel B.FERRARY

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