Terminale. L'Année Zéro de ta scolarité.

Le point zéro, l'apesanteur, l’œil insensé du cyclone, au milieu des bourrasques électriques de devant et de derrière. La Terminale. C'est plus la Première, où l'on se fait déjà avoir en pensant que c'est la dernière année. Enfant j'avais aucune idée de l'existence de la Terminale, moi j'pensais que la dernière année de lycée, c'était la Première, c'est plutôt logique pour un enfant, une logique qu'il a d'ailleurs du mal à se construire avec ce système éducatif comptant les années à rebours, c'est plutôt funeste. Tic...

Tac. Terminal c'est quoi? un quai? Une gare? Ce qu'il y a au bout du métro, ou de la vie? Apparemment c'est l'année charnière, où on devient adulte. Non. Où l'on rentre peu à peu dans le système social. Ou pas. Et pourtant, la sacro-sainte Terminale ne voudra jamais nous apprendre l'essence du système, on aura jamais de cours sur le fonctionnement administratif de ce pays, le chômage, comment faire ses impôts, les taxes sur l'immobilier, les droits de succession, la TVA, le pouvoir d'achat. Alors on copie les mêmes cours qu'en première, en plus élaboré, en plus occupant. On a que ça à foutre après tout, alors ça va.

Sauf la philosophie, qu'on rencontre enfin. Peut être que la Terminale c'est l'année où on en termine avec nos préjugés? Non. La philosophie ça s'avale en gélule amère pour disparaître dans la chair, ça ne se déguste plus pour monter dans l'âme.

.Terminale. Tu as fait tout ce chemin pour avoir un travail, parce que tes parents t'ont dit que pour avoir un bon travail il fallait faire de grandes études (tes parents ils veulent que tu sois mieux qu'eux, ha), et que pour ça, il fallait avoir un bac général. Scientifique surtout ! Y a plein de place partout !! C'est fou comment ça se fait? Si tout le monde devient scientifique, il y aura toujours de la place pour tout le monde?

Alors toi tu travaille bien, enfin normal tu t'en fous un peu, mais juste assez pour pouvoir aller au lycée. Et puis tu rencontre la Terminale, et on te dit que c'est la crise dans les journaux, et tu te rends compte que les grandes études, ben y a trop de monde maintenant (comme plus tard avec les filières Scientifique tu vas penser...), et que du coup ben t'auras pas de travail, parce que ceux qui ont du travail c'est ceux qui ont fait des études courtes, des apprentissages, des bac technologiques ou pros.

Pis toi t'es là, tu t'imagines avec bientôt ton bac sous le bras, sans trop savoir quoi en faire. Il y a des jours tes amis te remontent le moral, ils te disent "mais non c'est des conneries bien sûr qu'il y a du boulot!", et puis d'autres jours, c'est toi qui le leur soutiens, convaincu fantôme pendant 10min. Alors tu te demande si c'est vraiment utile finalement ces conneries, passer son bac, mais nan nan faut pas y penser ça peut te foirer, tu penses à rien, tu le passes, et après quand tout sera fini seulement tu réfléchiras. Sinon tu auras la tête ailleurs et tu le louperas. Faut pas le louper hein !! Faut pas le louper.

Et puis t'es en Terminale pas n'importe laquelle aussi, en Terminale "L", "littéraire" ils disent aussi des fois (mais là je parle surtout de ma filière tu vois). Ils devraient dire filière "P" comme "poubelle" plutôt, ou "punk", ou "philosophe", ou "pestiféré", ou "politique". En L, on a 8 à 9h de philosophie par semaine, et deux seulement de "littérature" (c'est du français mais sans les cours de grammaire qui vont avec tu vois, c'est pour les intellectuels mais sans le métier qui va avec...tu vois). Mon professeur de philosophie nous a dit trouver la littérature trop abstraite et inutile, je crois que c'est pas trop son truc.

Y a aussi, dans notre filière on est interdit de mathématiques et même après de SV°T et de Ph/Ch. Au début tu penses que c'est bien et puis tu te rends compte de que les sciences pures c'est quelque chose de rigoureux, et que pour faire de la philosophie faut essayer de comprendre des gars qui étaient tous de très rigoureux penseurs, ils étaient d'ailleurs en même temps souvent physiciens ou mathématiciens ou politiciens. Alors on se demande si c'est utile de faire 8h de philosophie sans avoir la rigueur d'esprit scientifique qu'on a en grande partie perdue. Mais on a beau se poser des questions ça change rien aux faits. Les faits c'est que tes notes sont en dent de scie et que ça te donne le tournis ou alors tu t'en branle, enfin, tu fais semblant. Le prof doit avoir des graphiques, il doit essayer de dessiner des sourires aux crocs acérés avec les résultats qu'il nous tamponne à la chaîne. Ouais. Chacun sourit comme il peut, hein. C'est ça, la débauche.

Alors on se raccroche à nos notes, des ignobles chiffres qui nous habituent à la médiocrité et au formatage, qui nous rappellent à chaque dissertation que socialement nous ne seront dans quelques temps en France que des séries de chiffres, jusqu'à notre mort sans doute. Sécurité sociale. Carte vitale. Carte Bancaire. Numéro d'assurance. Téléphone. Numéro de rue. Numéro d'emplacement pour ton cercueil parfois. Des notes qui parfois nous satisfont alors qu'on a rien compris au cours ni ce qu'on a écrit et qu'on le sait. Mais c'est tellement agréable, jouissif presque, de constater que le prof a une plus haute estime de mon torchon que je n'en ai moi-même! Bizarre.

Alors, après l'année de "Première", logiquement, c'est l'année de "Zéro" non? Ca tombe bien, symboliquement, zéro est un cercle, donc l'infini...et zéro étymologiquement, cela signifie "vide". Donc Terminale, purgatoire infernal pour certains. Même après être partis dans une fac lointaine, bac en poche, certains sans le savoir resteront pendant quelque temps encore "en Terminale", parfois longtemps, le temps de grandir.

"N'en doutez pas seigneur, j'ai vieilli" ² est le résumé de mon année de terminale en littérature, qui est la matière-pavillon de ma filière. ça peut aussi être une réponse s'adressant aux gens qui me demandent ce que j'ai pensé de mon année scolaire de terminale...

(² : car les 2 oeuvres de littérature à étudier en Terminale L 2012-2013 sont Lorenzaccio, et Zazie dans le Métro, dont les répliques clés sont respectivement "_C'est toi, Renzo? _N'en doutez pas seigneur.", et "_Tu as fait quoi alors? _J'ai vieilli".)