T'es beau comme une comète, ch. 2

Adoko Palie

   Trois semaines sont passées depuis la reprise des cours. Tu enchaînes les entraînements de danse sans relâche. Le rythme est soutenu, les professeurs en demandent beaucoup, tu dois sans cesse te surpasser. L'excellence est de rigueur à l'ESA. Tu savais à quoi d'attendre c'est vrai, mais l'effort ne te fais pas peur. Il t'est déjà arrivée de prendre une heure ou deux en plus pour perfectionner ta danse. Tu profites du temps qu'il te reste avant la fermeture des locaux universitaires pour occuper la salle aux grands miroirs. Tu t'observes. Attentive aux moindres de tes gestes, tu les étudies minutieusement. Ta persévérance impressionne beaucoup ta colocataire.

   Tu partages avec Sarah, ce petit studio étudiant situé au sein même du campus. Elle aussi est en danse classique. Elle est en troisième année. Cela ne fait pas longtemps que tu la connais pourtant tu l'apprécies déjà énormément. En plus d'être douée, tu la trouves très belle. Sarah t'aime bien aussi. Elle a même pour habitude de venir se confier à toi quand elle est un peu perdue vis à vis de sa relation avec son petit ami. Ca l'aide à tenir le coup...à essayer d'y voir plus clair. Tu as déjà deviné combien Sarah est amoureuse et tu l'envies d'une certaine manière bien que leur histoire semble parfois compliquée.

   Tu n'as jamais eu de petits copains. Oui, tu as vingt ans mais non, cela ne t'ai pas arrivé une seule fois. Tu ne sais pas ce que cela fait d'être éprise. Tu n'arrives même pas à imaginer la sensation que peut procurer un baiser. Quel goût ça a.

   Tu es si prude et innocente. Les garçons t'intriguent beaucoup.

   Le seul moment où tu arrives à les approcher et à exister pour eux, c'est quand tu rêves. Le temps d'une nuit, l'espace d'un instant, tu es leur femme. 

   Aujourd'hui, c'est jeudi. Ton premier cours de l'après-midi a lieu à 15h00. Quand tu ne danses pas, tu lis. Tu es allongée sur l'herbe aussi verte que tes yeux. Leurs pupilles d'un émeraude intense se perdent entre les lignes d'un grand classique de la littérature anglaise dont tu ne te lasseras jamais, Orgueil et Préjugés de Jane Austen. Ta petite robe fleurie et légère te permet aussi de profiter de cette douceur. Le soleil vient cogner ta peau bronzée par cet étouffant été pour parfaire, l'impeccable teint que tu présentes.

   Quelque chose attire ton attention. Tu abandonnes ta lecture. Ton regard court sur les allées qui traversent le parc du campus. Tu plisses légèrement les yeux mais les rouvres quand une silhouette t'interpelle, celle d'un garçon. Celui de la dernière fois...

   Il glisse sur son skateboard et sur le dos, son violoncelle. Tu le suis du regard et l'observes attentivement. Cela dure un bref instant. Il est rapide. Comme un éclair, un coup de foudre qui s'évanouit à peine après avoir été entendu. Une apparition instantanée pour une disparition soudaine.

   Tu tournes la tête, autant que tu le peux pour ne pas le perdre des yeux. Son allure encore, tu aperçois. Tu t'accroches à l'image qu'il projette : un grand brun, sur une planche à roues, une cigarette au bord des lèvres et ses cheveux qui fouettent son visage en vue de sa précipitation.

   Il disparait. Ce n'est pas la première fois que tu le remarques et comme toujours, tu te sens bizarre. Ton coeur accélère, tu retiens ta respiration.

— Hortense ! Je te cherchais partout. Ca va être l'heure du cours de danse.

   Eliott, ton meilleur ami t'interpelle. Tu rêves un peu, c'est vrai.

— Oui, j'arrive. Tu vas bien ? 

   Eliott passe son bras autour de tes épaules et vous filez. Tu laisses derrière toi, encore une fois, ces nombreuses questions au sujet du mystérieux étudiant. Comment s'appelle t-il ? Où va t-il le soir, quand tu le vois passer devant ta fenêtre ? Tu aimerais savoir pourquoi il prend le risque de se faire prendre hors de sa chambre après le couvre-feu ; car à l'ESA, il est interdit de circuler au sein des locaux ou dans le campus après 23h.

   Ce week-end, c'est l'anniversaire de ton frère Gabriel. Il fête ses vingt-quatre ans. Tu es dans ta chambre en train de préparer ton sac. Eliott t'attend dehors devant l'entrée de la résidence des filles. Il est aussi convié chez tes parents. Vous l'avez toujours considéré comme un membre de la famille. En effet, c'est chez toi qu'il pouvait être vraiment qui il voulait. Ses parents espéraient le voir évoluer en droit afin de pouvoir reprendre le cabinet familial mais Eliott aime la danse. La danse classique. Ce n'est pas commun pour un garçon. C'est étrange, comme répète souvent son père pour humilier son fils. Tu l'aperçois à travers la fenêtre.

— Je suis prête !, lances-tu avant de disparaitre derrière les stores.

   Tu as laissé un mot à Sarah sur le frigo de votre kitchenette. Tu embrasses la joue de ton meilleur ami et vous filez jusqu'à la sortie du campus, où un taxi envoyé par tes parents vous attend.

   Vous êtes rentrés tard le dimanche soir. Eliott a rejoint sa chambrée et tu traînes au lit depuis la fin du dîner. Tu n'as toujours pas vu Sarah, elle doit sûrement être avec son copain. Le couvre feu a lieu bientôt et tu espères qu'elle arrivera vite pour éviter tous ennuis. Ce serait dommage. 

   Finalement, tu l'entends rentrer : 

— Sarah ? 

— C'est moi !, s'exclame t-elle de très bonne humeur. 

   Tu sors de la chambre pour la rejoindre et tu l'enlaces un instant. Tu lui demandes comment son week-end s'est passé. Sarah a réussi à passer nue soirée avec son petit ami le vendredi et aujourd'hui elle a passé une bonne partie de son temps dans la salle de danse. Sarah a un examen demain, à la première heure. Tu parles un moment avec elle, buvant un thé devant la télévision puis vous rejoignez chacune votre chambre.

— A demain, bonne nuit Hortense. 

   Et tu refermes la porte. Tu traînes sur les réseaux sociaux et comme toujours, Debussy résonne dans tes oreilles. A 22h45, tu éteins ton iPad. Tu t'assieds face à la fenêtre. Tu guettes, cachée derrière les stores à moitié fermés. Tu attends. Longtemps. Il est en retard. 23h05. Ce n'est pas dans ses habitudes. Finalement, au bout de cinq minutes, tu perçois le bruit que font ses roues sur le bitume. Il approche. Un fin sourire commence à étirer tes lèvres. D'abord, tu perçois son ombre grossir par terre à mesure qu'il progresse. Finalement, il passe devant la fenêtre. Tu le vois, toujours avec son violoncelle sur le dos et sa cigarette au bec. Quelle sale manie !

   Ca ne dure pas longtemps mais il fait son petit effet.

   Tu te laisses tomber sur le lit et tu finis par t'endormir.

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