T'es beau comme une comète, ch. 3
Adoko Palie
Face à la salle de danse, tu attends avec plusieurs personnes de ta classe. Votre cours va bientôt commencer. A côté de toi, se tient Eliott. Il te parle de son père. Ce dernier l'a appelé hier soir pour essayer de le convaincre une fois de plus d'abandonner ses études à l'ESA Eliott se met à râler :
— Tu te rends compte ? Cela fait des semaines qu'on ne s'est pas parlés lui et moi. Il m'a envoyé balader la veille de la rentrée et il revient comme si de rien n'était. Ca me dépasse ! Et je ne ferais jamais de droit.
— Tes parents devraient comprendre qu'ils n'ont pas a décider pour toi. C'est ton destin.
— Ils sont bien trop égoïstes pour ça !
Il enrage. Tu le connais trop bien pour savoir dans quel état il se trouve en ce moment. Dans le fond de ses yeux bleus, tu perçois cette tourmente qui le possède, semblable à la fureur d'une mer enragée. Ce qu'il désire le plus au monde, c'est de rendre fiers ses parents. C'est une raison pour laquelle il se démêle ainsi, afin de leur prouver qu'ils peuvent croire en son talent. Cependant, il a l'impression que ses efforts sont vains.
— Calme toi, ça ne sert à rien de t'emporter. Tu risques d'avoir du mal à danser en plus, conseilles-tu en venant poser ta main sur son épaule. Tu lui souris, bienveillante.
— Tu as sûrement raison, répond t-il avant de souffler.
C'est l'heure. Les élèves de troisième année se pressent vers les vestiaires pour libérer la salle. Tu croises le regard de Sarah qui vous salue Eliott et toi. Tu la verras ce soir, il ne faut pas faire attendre le professeur qui met déjà en place la piste audio pour tout à l'heure.
Marlène t'attend à proximité de la cafétéria. Il suffit qu'elle te voit pour venir te rejoindre à pas de course. Tu l'as rencontré à ton arrivée ici et le courant est rapidement passer entre vous deux malgré vos nombreuses différences. Marlène est une fille totalement enjouée. Tu te demandes toujours où elle peut bien trouver cette énergie qui la dévore. Rien ne semble la fatiguer. Rien ne semble pouvoir l'arrêter.
Elle est en peinture. Cela est difficile à croire. Quand elle se retrouve devant une toile, Marlène se désarme immédiatement de toute son extravagance. A travers les couleurs qu'elle aime tant mélanger, s'extériorise tout son talent. Fougueux talent.
— Hortense ! Je suis trop heureuse. Monsieur Lanzac n'a pas arrêté de complimenter ma dernière toile. Je ne savais plus où me mettre !, s'exclame Marlène.
— Tu me la montreras, s'il te plaît ?
Tu la supplies des yeux. Marlène très modeste et pudique sur son talent te promet de t'emmener à l'atelier très prochainement. Tandis que tu passes ton bras autour de sa taille pour l'inviter à rejoindre la cafétéria, un bruit qui ne t'est pas inconnu attire ton attention.
Tu sens ton coeur qui commence étrangement à palpiter et puis soudain, dépassant un buisson, le visage de ce garçon t'apparait. Tu ne peux nier cette joie qui te submerge. Tu ne retiens pas non plus ce petit sourire qui s'invite sur tes lèvres.
Finalement, tu te retrouves avec Marlène et Eliott en train de déjeuner, assis sur l'une des nombreuses marches de l'escalier menant à la cafétéria. Beaucoup d'étudiants ont pour habitude de manger dehors quelque soit la saison. Tu en vois de partout. Attablés sur les terrasses, assis dans l'herbe, sur les bancs. Il y a de la place pour tout le monde.
Vous êtes à la mi-octobre et le froid ne semble pas encore décidé à s'installer. Tu ne vas pas t'en plaindre, toi qui aime être dehors.
— Ca va Hortense ?, interroge Eliott.
— Oui, oui, ça va.
Tu le regardes. Ton expression semble alerter tes amis. Es-tu crédible ?
— On dirait que tu es préoccupée, assure Marlène. Elle fronce les sourcils.
Tous les trois, vous avez tendance à vous inquiéter pour l'un ou pour l'autre. Tu es rassurée, de savoir que tu peux compter sur eux. Vous êtes tous les trois en première année et cela est un soulagement d'avoir des personnes sur qui on peut se tourner en cas de baisse de moral ou de motivation. Tu ne seras jamais seule Hortense.
— Promis, je vais bien.
Eliott et Marlène haussent tout les deux les épaules avant de repartir sur une conversation animée.
C'est la fin de la journée. Tu sors de ton cours d'histoire et fouilles dans ton sac pour chercher les clefs de ton studio. Tu ne prêtes pas attention à ce qu'il se passe autour de toi mais tu finis par relever la tête quand un écho de voix te parvient jusqu'aux oreilles.
— Je l'ai vu aussi ! Je ne sais pas où il va mais il va finir par s'attirer des ennuis !
— Tu sais qui c'est ?
— Il est en troisième année. Manu...Il s'appelle Emmanuel. Ca a toujours été comme ça parait-il, il sort après 23h. L'an passé, un surveillant l'a surprit dans le campus. Mon frère me l'a dit.
— Je le trouve bizarre ce type.
— Mais il est canon !
Elles rient comme deux idiotes avant de filer jusqu'à la sortie du bâtiment. Les portes se referment lourdement sur le silence qui a reprit place autour de toi. Un air grave étire tes traits fins et l'inquiétude se lit aussitôt sur ton visage. Voilà que tu te fais du soucis. De qui parlent-elles si ce n'est pas de lui ? Alors, il s'appelle Emmanuel ?
Dans ta tête, il y a déjà bien trop de questions et cette conversation en créée de nouvelles.
Faudrait-il que tu le préviennes ? Tu as l'air de ne pas être la seule à remarquer ses virées nocturnes.
Tu penses encore à ces filles et à leur conversation. Tu ne sais plus vraiment où donner de la tête. Pourquoi t'inquiètes-tu autant pour un garçon que tu ne connais absolument pas ? Lui-même, n'est même pas conscient de ton existence. Tu te demandes si ce ne serait pas raisonnable de l'oublier. L'obsession qui semble t'animer en devient trop dangereuse et honteuse. Pour quelle genre de personne passes-tu ? Une folle, sans doute.
Assise sur ton lit, tu regardes ton poisson rouge nager dans son étroit bocal. Tu penses lui changer pour lui offrir plus d'espace. Cela doit être ennuyant de tourner en rond. Tu soupires et approches de l'aquarium. Igor est ton compagnon, celui à qui tu te confies vis à vis de ce garçon. Il ne risque pas de te juger. Tu chuchotes :
— C'est étrange, n'est-ce-pas ?
Igor semble écouter.
— Et de quoi parlaient ces filles ? Tu crois que je devrais l'oublier ? Tu crois que je devrais essayer de parler à Emmanuel ? Et s'il avait des ennuis ?
Tu soupires puis jettes un coup d'oeil par la fenêtre. Il fait nuit depuis longtemps. Ta chambre est plongée dans la pénombre. Tu observes la rue en silence. Les réverbères éclairent la route. Tu distingues la silhouette de ce banc, là-bas à quelques mètres de ta fenêtre. Son ombre se projette sur la pelouse.
Il est bientôt 23 heures et l'appartement et bien silencieux. Sarah n'est pas là. Elle a dut partir chez ses parents dans le milieu de l'après-midi pour soucis familial. Tu espères que ce ne soit pas trop grave.
Emmanuel ne va pas tarder à faire son apparition. Installée à ton bureau, tu regardes la dernière aquarelle que tu as faite pour patienter sa venue. Tu te demandes s'il y a quelques traits à retoucher mais tu te convaincs vite que ça gâcherait finalement ton dessin.
Soudain, tu entends ce bruit significatif, celui que tu connais par coeur, celui que tu sais reconnaître depuis des semaines. Tu éteins rapidement la lampe et tu regardes comme une voleuse, sa silhouette filer devant ta fenêtre.
Ton coeur palpite, tu retiens ta respiration.
Rapidement, tu fais les quatre cents pas. Tu as rallumé et tu t'interroges. Y vas-tu ? Tu regardes Igor pour chercher du soutien et un possible conseil dans ses grands yeux globuleux. Tu es bien trop peureuse. Tu n'as pas le culot bien qu'une virée nocturne peut t'enchanter. Dans tes rêves les plus fous, sûrement - tu te laisserais guider par cette folie.
Tu l'envies. Tu aimerais faire comme Emmanuel et agir comme bon te semble. Ecouter, ne serait-ce qu'une fois tes désirs les plus fous, perdre un peu de ta raison et vivre dangereusement.
Tu n'as pas jamais été habitué. Tu as toujours été une enfant sage, n'attirant jamais d'ennuis. C'est ton éducation. C'est sans doute cela ton problème. Tu n'oses pas. Tu es bien trop innocente et sûrement très ennuyeuse. Ta vie manque d'audace.
Ce soir, bien que tiraillée, tu finis par rejoindre le fond de ton lit. Tu fermes les yeux et tu te promets à voix haute qu'un jour, tu le suivras. Comme son ombre. Tu partiras, dans ces intrigantes et si attirantes aventures nocturnes.
Tu t'inviteras.
Tu découvriras.