T'es beau comme une comète, ch. 4
Adoko Palie
Tu marches, incertaine mais désireuse à la fois. Tu sens ton coeur battre si vite dans ta poitrine. Tu as osé. Tu te demandes même si cela n'est pas qu'un rêve. C'est surréaliste ! Toi, bravant le règlement.
Tu te retrouves dehors, si peu vêtue. Un simple t-shirt à l'effigie des Ramones, un short couvrant à peine tes gambettes et puis tes chaussons d'un ridicule infini : grises et décorées en parfait portrait de petites souris.
Ta précipitation est voulue. Ce n'est pas juste pour avoir plus chaud. Tu te serais tout simplement dégonflée si tu marchais plus lentement. Cependant, tu progresses à une allure suffisante pour t'éloigner sûrement de ton studio et t'éviter de rebrousser chemin. Tu ne peux pas revenir en arrière.
Tu évites de regarder derrière toi. Le noir t'effraie. Tu te concentres pour entendre son skate. Tu cours parfois quand tu ne vois plus son ombre. Cela te permet d'avoir moins peur car tu es seule, mine de rien. Tu essaies de ne pas trop y penser et tu te raccroches à son image. Où va t-il ? Il progresse à une allure folle. La panique s'emparera de toi s'il vient à disparaitre.
Quand Emmanuel s'arrête, tu réalises quel bâtiment se trouve devant vous. Celui de la spécialité musique. Alors, il vient jouer une fois la nuit tombée ? Tu te pinces les lèvres et restes derrière un mur l'espace d'un instant. Tu comptes jusqu'à dix et tu reviens dans la lumière. La porte se referme doucement mais sûrement. Tu cours pour la retenir afin de t'infiltrer discrètement. Tu l'entends qui monte déjà l'escalier.
Tu n'oses même plus respirer. Tu fixes le long couloir qui se présente face à toi.
Tu ne peux plus revenir en arrière.
Tes lèvres sont soudainement très sèches, l'angoisse te tétanise un instant. Respires profondément, tout ira bien Hortense. Tu te tapisses dans l'ombre - la prenant comme complice de ton aventure alors qu'elle est à l'origine de tes nombreuses nuits effroyables. S'allier avec l'ennemi pour mener à bien ton rêve : te sentir vivante, ne serait-ce, le temps d'une nuit. « Emmanuel, où es-tu ? » penses-tu
Soudain, un bruit sourd. Ton coeur rate un battement.
Tu arrives finalement à l'étage. L'obscure couloir se présente à toi. Où est-il ? Aucune salle n'est allumée. Emmanuel te rend la tâche compliquée. Tu jettes un coup d'oeil derrière ton épaule puis avances à tâtons. Des notes commencent à résonner. D'abord des gammes. Tu accélères un peu, te rapprochant de plus en plus d'une porte très légèrement entrouverte pour entendre alors, le début d'une composition de Chopin. L'opus 65. La musique vient à sonner jusque dans ta tête. Les palpitations de ton coeur se posent sur chaque note.
Tu te laisses glisser le long du mur et tu écoutes. Tes yeux se ferment comme pour ressentir chaque vibration. Soudain, tu te sens bizarre, bouleversée, envahie d'une profonde émotion. Tes mains s'échouent sur tes fines chevilles.
Tu n'as peut être pas l'oreille musicale mais ce n'est pas difficile pour deviner que Emmanuel est un virtuose. Tu aimerais le voir jouer de tes propres yeux. Tu le sens en total osmose avec son violoncelle.
L'envie de danser t'invite rapidement à te lever pour laisser ton corps s'abandonner à une valse. Il s'étend, se balance. Tes cheveux détachés virevoltent laissant à tes mèches le plaisir de venir effleurer ton visage. Si ton professeur te voyait... On ne danse pas sans chignon ! Tes pas de danse accélèrent tandis que de l'autre côté, le musicien s'échauffe un peu plus. La musique est plus lente, plus dramatique. Tu dépasses la porte par mégarde. Ton ombre se cogne contre les murs et la petite fenêtre au verre opaque qui surplombe le haut de la porte.
Tu te rassois dans le noir pour continuer d'écouter le bel Emmanuel, avec cet air innocent sur le visage. Cachée entre deux rangées de casiers, tu te laisses transporter.
Il n'y a plus de musique.
Le silence a reprit ses droits dans le bâtiment endormi. Soudain, tu entends la porte grincer et quelques pas. Tu retiens ta respiration et ton coeur s'affole durement tandis que tu replies un peu plus tes jambes contre ta poitrine menue.
Non...tu pries pour ne pas te faire repérer ! Il se rapproche dangereusement. Emmanuel avance dans ta direction. La peur reprend peu à peu sa place dans ton corps. Il faut que tu t'en ailles mais tu n'as plus le temps, tu es pétrifiée. Alors, tu espères simplement que tout ça ne soit qu'un rêve et que tu vas te réveiller. Maintenant !
Ca ne peut pas être la réalité. Toi, sortir la nuit ? C'est absurde ! Et puis soudain...sa voix :
— Tu m'espionnais ?
Emmanuel te parle. Il est là. Tu ne sens pas seulement sa présence ; il te regarde. Tu n'oses pas relever la tête. Tu te contentes de fixer tes pieds. Trouillarde.
Tu fermes un instant les yeux pour trouver le courage de l'affronter. A quoi ressembles-tu ? Quelle image lui renvois-tu ? « Tu es ridicule Hortense…», penses-tu
Doucement, tu tournes la tête. Tu regardes d'abord ses pieds, doucement tes yeux filent le long de ses jambes et plus tu progresses, plus ton coeur s'emballe. Va t-il arrêter ? Et si Emmanuel l'entendait ? N'es-tu pas assez idiote comme ça pour en rajouter ? Quel spectacle ! Le ridicule ne tue peut être pas mais tu pourrais mourir de honte.
Ainsi, tu le vois. Tu te présentes à lui, toute petite. Tes joues rougissent sur le champ quand tu croises son regard. Tu le fuis, peureuse et interdite pour fixer autre chose. N'importe quoi. Le mur. Le noir. L'obscure couloir. Peu importe.
Tu ne peux pas te terrer dans le silence. Emmanuel attend une explication. Tu n'as pas le choix. Rapidement, tu te relèves et recules de quelques pas.
— Non…je…, tu balbuties
Niaise ! Tu ne réalises toujours pas qu'il est là. Soudain, tu as froid. Tu aimerais retrouver le fond de ton lit. Cela te rappelle combien tes jambes sont découvertes. Tu es face à lui, dans ce pyjama ridicule, dans ce short soudain trop court à ton goût. Tu tires sur ton t-shirt par pudeur.
— Je suis désolée. Je ne voulais pas t'espionner, avoues tu finalement d'une voix douce.
Tu ne veux pas qu'il se mette en colère mais dire que tu l'espionnes c'est de la facilité. Ce n'est pas réellement le cas. Tu es venue pour l'avertir. Tu t'inquiètes pour Emmanuel. Tu n'aimerais pas qu'il se prive de son petit plaisir nocturne : venir jouer à sa guise dans la salle de musique mais tu ne veux pas non plus qu'il se fasse prendre une nouvelle fois. A quel prix ? Et si ça lui coûtait sa place dans l'école. C'est déjà compliqué d'y entrer.
— Je vais partir. Je vais te laisser...
— Non !, coupe t-il d'une voix plus forte. Tu le regardes les yeux écarquillés et dans les siens, bien que peu visibles, tu sembles y lire de l'inquiétude. Se ferait-il du soucis pour toi ?
— Viens.
Après un signe de tête, il passe la porte de la salle.
Toi, qui rêvais ne serait-ce d'un regard de sa part au détour d'un couloir, il t'invite à rester. Toi, qui rêvais au fond qu'il te retienne, tu avances doucement et entres à ton tour. Tu refermes délicatement la porte.