Thé dansant
Jean Claude Blanc
Thé dansant…
S'y abonnent divorcés, les veufs, laissés pour compte
A leur âge avancé, n'ont plus aucune honte
Se refaire une jeunesse avec des jeans moulants
Fréquentant les balloches, rendez-vous des croulants
La plupart l'âme en peine, déçus, désabusés
Alors s'en viennent valser, au son de l'accordéon
Sachant que y'a rien de meilleur pour se refaire une santé
S'y faire une brève rencontre, même si elle n'est pas canon
Grand-messe des fidèles, cocus de l'existence
Histoire de passer le temps, se content des romances
A condition quand même, fortiches pour la danse
Même en milieu de semaine, en retraite, chaque jour vacances
Pour y participer, faut montrer à l'entrée
En guise d'identité, suffit la carte vermeille
Car tellement décatis, risquent pas de tricher
Sur le parquet salon, sûrs de faire des merveilles
Tous logés ces lascars à l'identique enseigne
Se font pas de chichis, se prêteraient leur peigne
Se refaire une beauté, juste avant qu'ils s'étreignent
Enfin pas trop quand même, pour pas que leur cœur saigne
En guise de bienvenue, pâtisseries à la crème
Faiblesse à éviter, ça gonfle l'abdomen
Rigoureuse la règle, le torse encore svelte
Car on ne sait jamais, faire une petite conquête
Ceux qui souhaitent s'y distraire, y trouvent leur bonheur
Mais d'autres (souvent des mecs), éternels jouisseurs
S'y pointent pour se trémousser, de manière moins noble
Artistes exercés, champions de paso doble
Passant d'une main agile, prestement sous la robe
Des dames shampouinées, aux ridules estompées
Donnent pas leur part au chien, en ont apparemment
Pour se faire désirer, plaisantent de leurs regrets
Alors tombent dans le panneau, les vieux beaux Don Juan
Bien loin du LSD, et des raves partys
S'enivrent de chansonnettes, air de Tino Rossi
Le tango, la java, la polka, la bourrée
S'y précipitent sans crainte se marcher sur les pieds
Cette folle sauterie, dure que l'après-midi
Car faut pas rater l'heure de « plus belle la vie »
Mais on se reverra, ayant fait connaissance
Si le destin le veut, heureuses circonstances…
Réchappés du cancer, d'un mariage à la noix
Le corps pétillant, encore endiablé
Que d'énergie féroce leur reste à dépenser
Le fox trot, le twist, le rock, que d'extras
Faut s'essayer à tout, ce qu'on n'a pas su apprendre
Durant cette vie en couple, se morfondre à attendre
Que l'autre veuille bien, sortir de sa télé
Pour aller faire la fête, thé dansant du quartier
Alors cet assemblage de disparates vieilles branches
Présente un avantage de s'en payer une tranche
Inconnus jusque-là, magique découverte
D'anciens désenchantés qui courraient à leur perte
Pourquoi pas par la suite, proposer un pique-nique
Malheureuse expression, qui prête à confusion
Juste bouffer sur l'herbe, putain pas de panique !
Trop âgé pour baiser, le sexe en rémission
Mais de tant gambiller, ça finit bien souvent
Par un de ces terribles cruels attachements
Sans doute idéal, si les deux consentants
Hélas déconcertant, pour le plus exigeant
Célibataire forcé, alors faut oser
Emerger de ses tuiles, la danse est un prétexte
Quitte à avaler du jus de chaussettes poivré
Pour être repéré, s'en vanter sans complexe
Associations de ringards, que devrait subventionner
Les Communes et l'Etat, pour ceux qui mettent l'ambiance
En fait simplement les laisser de côté
Faire leur salle comble, où c'est toujours dimanche
La preuve de ce succès, y'a foule de cacochymes
Qui se méfient au début, visiteurs anonymes
Et puis l'ivresse aidant, en deviennent vite intimes
Même qu'avec complice, arrive que ça rime
Thé dansant l'occasion, le cœur en goguette
Au rythme convenu, celui d'un bal musette
Mais refusé d'office, qui montre sa quéquette
Ce serait désolant, bien plus que malhonnête
La vieillesse, âge d'or, sagement se respecte
Morale de cette histoire, de fausse sauterie
Où c'est obligatoire, d'être gai et réjoui
On ne chasse pas ses démons, en faisant de l'esprit
Ces rendez-vous fortuits, présentent tas d'intérêts
Apaiser le mal vivre, des pauvres délaissés
Appeler ça « thé dansant », ça parait plus décent
Pour ces Etres frustrés, en manque de sentiments
Avant de lever les broches, celles des gambettes, urgent JC Blanc mai 2017 (temps du tango)