Thérèse

fragon

Thérèse, elle s'appelle Thérèse. La chambre est blanche et petite. Dans le silence qui emplit de sa résonance toute la pièce, une femme est là qui se tient, informe et blottie au bord du lit. Son visage fait face au mur. Au loin on entend le filet joyeux d'une eau qui coule. Mais rien dans le maintien ou le corps de la femme ne signale qu'elle est sensible à ce qui l'entoure. Ses yeux sont ouverts dans une fixité de statue tragique. Dans le cerveau  pourtant, des fenêtres s'ouvrent tour à tour puis se referment aussitôt. A ces instants furtifs, ses yeux voient.

C'est tout d'abord la douceur d'une peau, la courbure gracieuse d'une cheville, la délicatesse d'une hanche mollement abandonnée. Puis vient l'oblongue tache brune qu'elle n'a jamais su placer au bon endroit sur ce corps tant de fois parcouru. Elle peut discerner encore, le renflement des muscles agiles qui se contractent et durcissent sous le passage de ses mains devenues habiles au fil des nuits. Sur les murs blancs, au fil de sa concentration, des images discontinues se forment comme des ombres plus lumineuses et contrastées. 

La petitesse des pieds, si rare chez un homme, les fesses menues, le bassin étroit. La voici qui distingue entre deux ouvertures fugitives, la nuque virile qu'elle aime empoigner des deux mains pour le plaquer tout contre elle.

Sa bouche tremble un peu. Son ventre se réchauffe. Voici une bouche de poupée, timide mais docile, qui mord dans la chair et grignote des dents ce corps qui la possède.

Plongée dans la pénombre de la chambre, la forme isole maintenant, l'odeur particulière et indéfinissable qui se dégage du corps trop embrassé. Scrutant plus attentivement dans les éclaircies nuageuses qui zèbrent le mur de zones d'ombres et de lumières, son cerveau visualisent des milliers de capsules disséminées à la surface de la peau et qui éclateraient dans une alchimie inavouable.

Le temps passe lentement. La surface grise des yeux se voile.  Le désir vient en vagues douloureuses qui pincent et déchirent les chairs usées et meurtries. Ce sont d'autres images qui remontent ainsi et viennent s'imprimer sur la pâte cent fois lessivée des murs couleur de neige froide. Sous l'odeur de produits de détergents, elle distingue autre chose. Ça reste confus. Dans un effort, le nez se plisse et frémit. De toutes ses maigres forces, elle cherche à reconnaître en fouillant à pleines mains dans les plis de sa conscience. Ça vient doucement, par flux et reflux. C'est ça. C'est la mer. La mer et son odeur de varech. De grandes vagues se mettent à frapper les murs. Les grandes laminaires s'emparent de son champ de vision. Les ombres désormais se divisent en cristaux de verre sur lesquels le corps aimé se déplace. Les aspérités du mur laissent voguer de pâles voiles blanches qui dansent en silence. Et puis plus rien. Aveuglement et étourdissement. Cris et chuchotements -  à peine audibles- . Comme dans un vieux film de Bergman. En une fraction de seconde, les yeux savent ce que le cerveau se refuse encore à admettre. L'homme  a disparu dans le mur liquide. Sur le petit lit, la forme s'agite. On pourrait, si l'on était attentif, l'entendre gémir sourdement, comme un animal acculé prêt à subir les coups de celui qui est sensé lui apporter amour et sécurité. Démultiplication de la lumière. Le système nerveux central se déconnecte.

Maintenant, le bruit de l'eau a laissé place aux claquements des talons. Des portes s'ouvrent puis se referment. Des grincements dérangent la forme qui s'agite doucement. Le bruit s'intensifie et se rapproche. Soudain, dans la petite chambre un chariot métallique chargé d'ustensiles fait son apparition. La lumière d'un néon qu'on allume, déchire la pénombre dans un acte d'une violence inouïe.

......Alors, Madame Thérèse, c'est l'heure de la toilette. Faudrait voir à pas se laisser aller, hein...! Allez, ouvrez les yeux, je crois que c'est  le jour du curé aujourd'hui. Va falloir qu'on se fasse belle !

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