THOMAS

je-est-un-autre

Je est une ombre. Suite de cette drôle de chose qu'est "Le Divan des Idoles", bien qu'en vérité, ce roman s'appelle Thomas.

Thomas se réveille et ses yeux et ses mains lui piquent. Il s'était endormir à même le sol, nu, sur le parquet froid de son appartement en désordre. Au plafond, il avait installé des dizaines d'ampoules tout aussi nues que lui et qui éclairent le couloir qui mènent aux différentes pièces de l'appartement. Il me dit, tu as dormi dans le divan, Jack, et je lui réponds que oui et que ça fait un moment que je suis réveillé aussi alors il se marre passe la main dans ses cheveux me rétorque que j'aurai pu le réveiller mais il avait trop la tête dans le cul pour comprendre ce que je disais. J'aimerais lui proposer un café ou un thé, parce qu'il préfère le thé, mais Thomas me répond qu'il ne sent que le goût du tabac dans sa bouche et rien d'autre, même son nez ne respire que l'odeur du tabac. Il se lève, chancelle, il a un corps mince, squelettique, atrophié, il porte en lui la pourriture de quelque chose qui était plutôt beau auparavant, il respire les déchets, il est un déchet. Debout, Thomas enfile un grand manteau, il marche pied nu sur le sol infesté de morceaux de verre, il sort une cigarette de la poche du grand blaser vert bouteille et l'allume. Thomas est un immense morceau humain d'érotisme, par delà ses yeux creusés par les cernes et son corps sculpté dans le culte des os qui semblent le couper, trancher sa peau de manière violente et douloureuse. Il est beau sans l'être, philosophe de pacotille, un des nombreux paumés du monde qui tourne tourne tourne et plane sans arrêt pour oublier, quoi, je ne sais plus exactement, mais pour oublier. Il regarde par la petite fenêtre de la cuisine, sa clope à la main, et entre deux bouffées, il murmure, tu sais, Jack, toi et moi, nous ne sommes rien, alors c'est pas grave si on meurt. Je hoche la tête. Thomas se tourne vers moi. Il sourit. On entendrait presque le bruit de ses os, de ses muscles, de la mécanique du corps qui actionne tout le bordel pour permettre à cet être tremblant et fragile cette force très douce d'un sourire rouillé. Il tient sa clope d'une façon étrange, les filaments de fumée glissent sur ses cheveux noirs, il s'accroche à la fenêtre, sinon il tombe, et il le sait, il a très bien conscience que le poids de la cigarette dans sa main fine le ferait chavirer, parce qu'il tremble, il tremble tout le temps. Thomas, c'est un mec intelligent, peut être trop même, le genre de type brillant que je ne serai jamais, et qui peux tout devenir, mais qui pourtant n'en fait rien. Ça fait combien de temps que t'as arrêté d'aller en cours, Thomas ? Longtemps qu'il me répond. On peut entendre sa rage et sa violence quand il parle. Il secoue sa carcasse osseuse et ses pensées fantasmagoriques et ses rêves qu'il n'a jamais trop eu. Il dit toujours qu'il ne comprend pas comme tous ces autres êtres humains font pour vivre, parfois, il stagne à la fenêtre, s'assoit sur le rebord, et Jack lui demande s'il va sauter, mais il jure que non, il reste juste là, le regard suspendu sur le vide, la seule chose qui l'attire, et il regarde les spectres qui passent, et si je tombe et que j'en heurte un, un de ces spectres va-t-il mourir, et moi, suis-je si en vie que ça, ou pas peut-être pas, être mort ou être vivant, c'est quoi la différence, tu vas pas sauter, hein Thomas, bien sûr que non, jamais, et Jack essaye de l'emmener loin de la barbarie et de l'absurdité, essaye de lui faire dire que peut-être quelque chose dans sa tête s'est barré très loin, et Thomas parle du ciel, il dit qu'il veut que Jack et lui s'en aille loin, si loin, très loin, bien au delà du ciel, mais c'est pas possible, faut être là, coûte que coûte, et les lumières s'allument la nuit, les spectres avancent et les lampadaires, ces lumières mortes, et les mégots de cigarettes qui dorment, SDF, auprès des réverbères brûlant d'amour humain, de toutes ces formes qui passent dans le bruit de la nuit, les ombres qui s'agitent et Thomas qui entend son cœur battre, et qui sent les lèvres de Jack sur sa nuque, doucement, qui apaise la fatigue, l'ennui, le manque d'épiphanie, tout ça tout ça, essayer d'arrêter de maltraiter ses illusions qui se fondent si mal dans le décor du réel, mais le réel, c'est quoi ?


Mot de l'auteur : Écrire cette histoire me fout la trouille, sincèrement.

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