Tinder ou le marché de l'amour

Sébastian Poulain

L'époque veut que tout s'achète, tout se vend et que tout se consomme. Tout le monde rêve d'amour mais seule une infime catégorie de personnes peut se targuer de connaitre ce sentiment étonnant et fabuleux. L'un des drames de ma génération est son entêtement à vouloir dans l'immédiateté ce qu'il désire, que ce soit dans la satisfaction matérielle ou dans les relations dites amoureuses. Elle souhaite instantanément l'amour pour ne connaitre la personne que par la suite et seulement valider cette relation si l'être supposé aimé est compatible avec ses aspirations, ses désirs, etc. Elle cherche dans l'autre, sa propre personne, pour un amour narcissique, un amour sans souffrance.

Sur Tinder, on met une croix plus qu'on ne valide soit parce que son physique ne nous plait pas ou que la personne ne ressemble pas à notre idéal. On fait notre petit marché en espérant la réciprocité, pour que s'ensuivent une discussion où chacun déclame son CV et sa lettre de motivation et que cela se termine par un entretien pour signer le contrat. Tout est affaire de contrat, et à la moindre contrariété, celui-ci peut être aussitôt rompu par l'un des deux protagonistes. On casse plus que l'on ne cherche à réparer, on souhaite optimiser notre bien-être personnel au maximum, et si ce n'est avec cette personne ce sera avec une autre.

L'amour est contraire à l'idée de l'intéressement. Celui-ci doit être une aventure, un parcours de connaissance de l'autre, une envie de construire à deux et de réparer ensemble si quelques fissures se profilent. Mais non, Tinder a décrété qu'il fallait être « intéressé » ou « pas intéressé » par l'autre. La maxime de cette application pourrait être : « je suis intéressé donc je suis amoureux (se) » ou inversement. Tinder n'est que le reflet de notre époque : Le vide et l'immédiateté.

Albert Camus écrivit ceci dans une correspondance :
«C'est cela l'amour, tout donner, tout sacrifier sans espoir de retour » Aujourd'hui, qui est capable de tout donner et de tout sacrifier sans espoir de retour ?

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