Titanic, la légende existe je l'ai rencontrée (2)

Corinne Ozenne éditions

Découvrez le premier roman de

Walter OZENNE "Titanic, la légende existe je l'ai rencontrée" 

http://fr.calameo.com/read/0004450257a8870f9afdb

dépôt Légal : novembre 2010

ISBN 978-2-9537844-0-4

Disponible ici :

http://www.coeditions.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=2&Itemid=107

Extrait

...

Le bateau a besoin d'un coup de propre, mais je ne m'en sens pas le courage. Je vais juste changer quelques drisses et vérifier les points d'écoute et les amarres pour éviter tout problème.

À l'intérieur même constat de désolation. Tous les placards sont vides de nourriture. Marc et Pascale ont dû venir manger à bord une fois ou deux cet automne. Je fais rapidement l'inventaire des choses à acheter et me voilà déjà sur la route de la maison.

Le temps n'est pas idéal pour prendre la mer, mais à cette époque il ne faut pas espérer de miracle. Tant qu'il n'y a pas de grosses dépressions au large des côtes cela ira.

Les vieux pêcheurs me regardent passer la digue d'un air incrédule. Il est vrai que ce n'est pas la saison habituelle de sortie des voiliers. Pour moi, pas de saison. Ce n'est pas une balade en mer que je vais faire, c'est une quête. La quête de mon avenir, si jamais il existe.

Pas de grande traversée en perspective. Je vais aller mouiller au large, à l'ombre des regards derrière une calanque dont regorge la région. Pas de risque d'être importuné par des touristes trop curieux à cette époque.

J'envoie la grand'voile, borde les écoutes et prends un cap au hasard du vent : Sud Est. Je vais mouiller quelque part entre le Cap Canaille et la calanque de Figuerolles.

Je ne cherche pas la distance, seule la solitude m'importe.

De plus, il ne serait pas sérieux de s'éloigner en haute mer, les perturbations étant fréquentes et gonflées en cette période de l'année. Je suis perdu émotionnellement, mais pas au point de me jeter dans la première galère venue.

Voilà, l'ancre est jetée. Ici personne ne viendra perturber ma retraite. Juste les vagues pour me chahuter un peu cette nuit peut-être.

Je ferai du propre sur le bateau plus tard. Ce soir je vais tenter de m'occuper un peu de moi et de dormir un peu plus tôt que d'habitude pourquoi pas. Je vais commencer par me préparer un steak avec des petites patates sautées. Profiter que la mer est à peu près calme pour faire du chaud. Il ne manquerait plus que je mette le feu au bateau et le tableau serait complet.

Peut-être vais-je enfin retrouver le goût des choses. Retrouver celui des petits plats serait un bon début.

Seul dans la carrée je mâche cette viande insipide. La rééducation sera longue.

Vu que la méthode « je m'occupe de moi » ne semble pas marcher, je vais mettre le reste de la soirée à profit. Aussitôt fini d'engouffrer mon repas je remonte sur le pont pour tenter de faire un peu de ménage. Il me faut ranger toutes les écoutes et mettre les drisses sur winch et taquet avant qu'un coup de vent ne vienne mettre sa contribution au désordre.

Seul, le voilier me paraît immense. Il y a quelques mois il me semblait que nous ne cessions d'être l'un sur l'autre dès le moindre mouvement. Je revois le film de cette traversée vers la Corse comme si c'était hier. Si proche et déjà si lointain. Tout se brouille.

Le vent dans les drisses du grand mat me semble siffler cet air que tu aimais tant. Je reste quelques instants à écouter ce bruit, cherchant à accompagner cette « pseudo mélodie » dans ma tête. Un grain me rappelle à la réalité. L'eau déferle sur le pont et je n'ai pas enfilé ma veste de quart.

Une fois de plus il faut battre en retraite.

La douceur de la serviette éponge apaise mon malaise en même temps qu'elle absorbe cette eau qui me glace le sang. Je crois qu'il ne me reste plus qu'à me coucher. Sur la table aux cartes le carton rempli de bouquins m'invite à l'ouvrir. Plus tard, ce soir rien ne pourra plus rentrer dans mon esprit.

Allongé sur ma bannette je scrute la cabine. Sur les étagères prône un livre que tu as apporté cet été : "Les Fleurs du mal". Je n'ai aucun grief particulier contre vous Monsieur Charles Baudelaire, mais là je crois que ce soir je ne vais pas honorer votre présence.

D'un geste brusque je renverse le livre qui tombe au sol éparpillant quelques feuilles décollées.

Je me retourne, la tête dans l'oreiller et sombre dans un profond sommeil.


Cela faisait longtemps que je n'avais pas dormi aussi intensément. Les vertus de la mer sans doute. Toujours est-il que ce matin je me sens apaisé. Sous mon pied le papier crisse. Ce maudit livre. Je l'avais oublié celui-là. Pourquoi mon destin me rattrape-t-il toujours aussi vite ? Cette fois-ci c'en est trop. Je rassemble l'ouvrage effeuillé et jette l'ensemble à la poubelle. Enfin une bonne résolution.

Je profite de quelques croissants encore frais en décortiquant le journal de la veille. La une annonce « 550 morts en Égypte : la porte maudite ». Engageant lorsqu'on est sur l'eau de savoir qu'un bateau s'est débarrassé de sa porte, faisant par la même plus de cinq cents morts.

Les navires ont une vie propre, je le savais déjà. Peut-on imaginer qu'un bateau puisse se saborder lui-même ? Sans pousser la réflexion trop loin, force est d'admettre que chacun a une âme propre. Mon voilier a bien des grincements propres, ses réactions, ses caprices. Par exemple, pourquoi cette satanée écoute bâbord de yankee cherche-t-elle toujours à s'emmêler sur son winch ? Ça reste pour moi un vrai mystère.

Brave bateau, il faudra un jour que je daigne te redonner l'allure de ta jeunesse. Il est vrai que j'apporte plus de soin à l'Alpine.

L'idée de le vendre pour ne pas le voir dépérir m'a souvent effleuré, mais je n'ai jamais pu jusqu'alors m'y résigner. Ce bateau je l'ai acheté avec mon père il y a longtemps. Depuis quelques années il me l'avait donné. De temps en temps il sort avec, lorsqu'ils viennent me rendre visite. Mais de moins en moins. C'est mon bateau maintenant. Je le partage avec Marc, cela m'aide à payer l'entretien et l'anneau dans le port de Cassis.

Je crois que je vais le vendre rapidement maintenant. Je ne pourrais plus prendre le même plaisir qu'avant à le barrer. Une partie de son âme s'est éteinte avec Amandine.

Je vais profiter du ciel clément de ce matin pour brosser le pont. De toute façon il va falloir que je m'occupe si je ne veux pas me taper la tête sur le mat. Le pont me paraît encore plus grand qu'hier.

Cela fait une heure que je frotte. L'eau de mer n'est pas la meilleure pour faire du travail propre. Là n'est pas le problème. J'ai enfin réussi à avoir une occupation qui m'a ôté ton visage de l'esprit. Comprend bien Amandine, loin de moi l'idée de t'oublier. J'essaye seulement de réapprendre à vivre. Je ne suis pas mécontent du résultat  : le pont a un aspect moins pouilleux. De là à dire qu'il est propre …

Jour après jour la vie reprend son cours. Une petite victoire chaque jour.

Un livre part là, un petit plat par ci. Cela fait déjà dix jours que je suis seul au milieu des calanques. Le temps déplorable m'a empêché de mettre le nez dehors depuis trois jours. Heureusement qu'il y avait ce carton de livres. Du coup j'ai relu avec un peu de joie « La nuit des temps » de Barjavel. J'ai toujours adoré ce livre.

Trois jours aussi à ranger les placards les uns après les autres et à recommencer. Je connais leur agencement par cœur. Je pourrais faire un inventaire précis sans avoir à en ouvrir un seul.

À la radio du littoral la météo n'annonce pas d'accalmie. Les renseignements pris au sémaphore avec la VHF ne font que me confirmer que la dépression est bien installée sur nos côtes. Il y a même un coup de mer qui est prévu pour demain soir. En même temps je m'attendais à quoi en prenant la mer en plein hiver ?

...

Signaler ce texte