TM
nambul
Le cadran numérique de la voiture s'obstinait à changer les minutes en heures, TM s'enfonçait dans l'impression désagréable que rien ne bougeait, nulle part. Son T-shirt collait au siège passager mais il luttait contre son désir de mouvement, de peur que Franck n'interprète chacun de ses gestes comme autant de marques de nervosité. A juste titre. Il avait les deux pieds dedans maintenant et les éclairs de regrets qui le traversaient n'avaient aucune importance : il avait choisi d'être là, rien ni personne ne l'avait forcé, c'était le moment d'assumer.
« - Relax, T-Boy, aucune raison que ça tourne mal. » Franck avait sans doute raison, mais ses mots ne décollèrent pas son T-shirt du siège.
« - Il devrait être là depuis plus d'une demi-heure, rappela TM .
-Et alors ? Tu as mieux à faire ce soir ?
-Non... non non, j'espère juste qu'il va se pointer. »
Terrible mensonge, il espérait au contraire que personne ne viendrait, mission accomplie, retour à l'appartement les mains aussi propres qu'en partant.
Il avait rencontré Franck deux mois auparavant, il avait débarqué chez lui avec son cousin dans l'espoir d'en repartir avec quelques grammes d'herbe, un contact comme un autre qu'il aurait dû ne jamais revoir. Le genre de rencontre qui se déroule généralement dans une tension palpable, une intrusion furtive dans un univers hostile où tout élément extérieur est immédiatement perçu comme une menace. TM connaissait le rituel, une poignée de main qui transforme en une fraction de seconde un billet en quelque chose de consommable, il pensait réitérer ce même échange, d'une froideur terrifiante, avec Franck. Ce dernier s'était payé sa tête lorsqu'en lui serrant la main, TM lui avait déposé vingt balles dans sa paume. « T'es pas dans la rue mon pote. Tu prends une bière et tu te détends pendant que je vais chercher ce pourquoi t'es là. » Il avait donc bu une bière et Franck avait voulu savoir ce qu'il faisait dans la vie, sans obligation de répondre, avait-il ajouté devant le regard méfiant que lui adressait TM. Ils avaient discuté une bonne partie de la nuit, quelques heures avaient suffi à TM pour accorder sa confiance au dealer mais ce qui l'intriguait, c'était les autres types attablés dans la cuisine à discuter tandis qu'un d'entre eux retranscrivait tout sur papier. Il posa la question à Franck, discrètement, qui lui avait répondu que cela ne le regardait pas. Il avait quitté l'appartement au petit matin, emportant un numéro de téléphone.
De fil en aiguille, il se rapprocha et vit en Franck une sorte de maître à penser, le type qui applique sur son intelligence le vernis protecteur de la politesse. Il avait cessé les études au beau milieu d'un doctorat de sociologie et fait de son appartement le point de départ d'une communauté pour le moins étrange. Combats organisés dans la cave, trafics mineurs en tous genres assuraient aux siens une indépendance bâtie dans l'illégalité.
« - Il va venir, affirma Franck, on doit régler ça ce soir, même si on doit passer la nuit dans cette putain de voiture. »
TM s'abstint de répondre il connaissait son rôle et sentait la peur lui tordre le ventre. Il noyait son regard dans les lumières de la ville, lesquelles avaient quelque chose d'hypnotisant et de profondément rassurant.Ses vêtements se fondaient dans sa chair, il sentait la sueur mais faisait l'effort de ne pas y prêter attention, il se tenait prêt à gagner la fierté de Franck, c'était ça, son rôle. Il préférait se taire, ne surtout pas laisser sa lâcheté s'exprimer.
Franck l'avait présenté aux autres, TM était libre de partir mais s'il s'engageait, il leur devait sa loyauté en toutes circonstances. Aucun contrat à signer, aucune caution à déposer, simplement faire ses preuves. Il avait assisté aux combats chaque semaine, puis, le deuxième mois, il avait touché un petit pourcentage. Une somme ridicule, symbolique, histoire de prouver que la loyauté et l'engagement sont à double-sens. TM avait dit oui, à tout, et s'était retrouvé dans cette voiture à tremper son siège.
Un enfoiré de neo-nazi, élevé à coups de pieds par son père encore plus con que lui, avait investi le quartier, amenant avec lui son poison coupé au plastique qu'il vendait trois fois son prix à des élèves de troisième qui se la jouaient gros durs. TM était là pour le faire dégager, équipé d'une lame et d'un cœur qui partait en vrille. Pas gagné. Franck serait là en soutien si les choses tournaient mal mais il voulait mettre sa motivation à l'épreuve, se protéger en lui faisant franchir la ligne.
« - Le voilà, la Saxo blanche, complètement défoncée, je t'avais bien dit qu'il viendrait. »
TM sentit ses tempes battre et ses jambes se dérober. A lui de jouer, l'échec n'était pas une option. Il devait intervenir après le deal, sans témoins. Franck lui remit la lame, un couteau de combat noir qui semblait n'avoir jamais servi. La saxo se gara à une dizaine de mètres, TM ne compta pas vingt secondes avant qu'un grand type au crâne rasé ne sorte d'un appartement voisin pour s'engouffrer dans la voiture. La main sur la portière, le timing devait être parfait, il avait la sensation qu'un détail laissé au hasard pouvait tout faire basculer.
« - A mon signal tu fonces, tu sais ce que tu as à faire ? Demanda Franck.
- Oui...oui je sais.
- Ok, courage mec, je sais que tu peux le faire, tout va se passer exactement comme prévu. Si tu gères sur ce coup, je te promets qu'on fera de très belles choses, toi et moi.»
TM n'en doutait pas, de l'argent sale, pas facile pour autant, qui mettrait un terme à plusieurs années de galère. Pourvu que tout se déroule comme prévu...
Alors qu'il faisait tourner cette phrase dans son cerveau, le grand type quitta le véhicule et se dirigea vers son immeuble. Chaque pas qu'il faisait correspondait à dix battements de cœur chez TM. Il referma la porte, les feux de la Saxo s'allumèrent, la cible s'apprêtait à redémarrer.
TM laissa Franck derrière lui et se dirigea vers la voiture blanche à grandes enjambées, priant pour que ses jambes tiennent le coup. Il ne lui fallut pas cinq secondes pour arriver à hauteur de la Saxo, il ouvrit la portière et en un éclair se retrouva sur le siège passager, son couteau sous la gorge du nazillon.
« - Ok, maintenant tu m'écoutes attentivement, si je vois que ton attention faiblit, ne serait-ce qu'un quart de seconde, je t'ouvre la gorge. Est-ce qu'on est bien d'accord ? Fais un signe de tête si c'est le cas, en aucun cas tu n'ouvres ta gueule. »
Il avait déployé toute son énergie à donner à sa phrase l'aplomb qu'elle nécessitait. Le visage apeuré de l'aryen de seconde zone lui conféra plus d'assurance. Celui-ci hocha la tête, les yeux déformés par la peur.
« - On sait que le mec qui vient de te quitter te refile la merde que tu es sensé vendre aux gosses, on sait aussi qu'il travaille seul, aucune appartenance à une quelconque bande et que, par conséquent, tu es le seul pigeon qu'il a trouvé pour ce taf. Alors je vais être clair : si on te revoit dans le quartier, considère que tu es mort. Si ta seule ambition c'est de vendre ce truc infâme, tu le fais ailleurs et à des minables de ton âge. Je repose ma question : est-ce qu'on est bien d'accord ? »
Second hochement de tête, TM se laissait envahir par un sentiment de domination qu'il n'avait jamais connu auparavant, un sentiment aussi puissant que dangereux. Il allait retirer le couteau lorsque des coups de klaxons se succédèrent. Franck. Un regard dans le rétroviseur et il vit une voiture de police, un seul agent à bord mais qui avait bien compris ce qui se déroulait dans la Saxo. Le sentiment de puissance s'évapora aussi sec, ce qui n'échappa pas au nazillon. Il décocha un violent coup de tête à TM qui sentit la douleur transpercer son crâne, il tenta de retrouver ses esprits, ouvrit la portière mais à peine avait-il posé le pied à terre que la voiture démarra en trombe et il fut projeté sur le bitume.
« - T-Boy !! hurla Franck en sortant de son véhicule.
- Pas un pas de plus, cria le policier qui braquait son arme sur lui. »
Malheureusement, Franck n'en avait rien à foutre et accourait vers TM pour vérifier son état. Celui-ci s'était relevé, les bras en sang, et la première chose qu'il parvint à distinguer fut le doigt du flic sur la gâchette. Ce doigt qui n'était guidé que par la peur, si Franck ne s'arrêtait pas, le flic tirerait. Il ramassa le couteau et, sans hésitation, le planta dans la jambe du policier. Le cri déchira la nuit, les fenêtres commençaient déjà à se rouvrir, les curieux ne voulaient rien rater du spectacle. Franck et TM se jetèrent dans leur voiture et quittèrent les lieux à toute vitesse, laissant le flic saigner au milieu de la rue. TM fixaient ses bras qui n'en finissaient plus de rougir.
« - Tout devait se passer comme prévu, murmura-t-il. »
Il allait enfin rentrer chez lui, mais ses mains n'étaient pas aussi propres qu'en partant.
exactement le genre de parenthèses sombres que mon côté obscur adore...
· Il y a plus de 9 ans ·merci !!
wic