Togo

François Vieil De Born

Togo 2005.

La latérite ondulée sépare les herbes hautes et parfois s’en échappe un écolier. Mais depuis longtemps les bêtes sauvages ont été pourchassées et tuées et les villageois Lhosso s’endorment à l’ombre fraiche du manguier, dans la stupeur sèche de l’Harmattan.

A Lome le regard blanc glisse faute de pouvoir s’accrocher sur des centaines de visages noirs non identifiés. Les coupes et les motifs, les fractales brillantes et colorées des wax hollandais contribuent à la complexité sale qui sature la perception.

Au grand marché, les Mamas Benz écartent les zemidjans qui manoeuvrent dangereusement dans un agglomérat étouffant de porteuses de fruits cambrées mâchant des bâtonnets, des bassines d’aluminium de toutes tailles, de passants transpirants au visage fermé essayant d’éviter les piles d’ordures et les boues extraites d’égouts qui ne mènent nulle part des liquides innommables.

Au grand hôtel, sous les palmiers, des expatriés variqueux, couperosés, interdits de séjour, des libanais bouffis, suants et suaves, hommes de paille des ministres locaux commercent autour de la piscine, brutalisent les serveurs et promènent de jeunes négresses en quasi liberté qui jouent avec eux pour nourrir les petits frères impaludés et affamés. La communauté du renseignement s’affaire et s’encanaille discrètement. 

Des professeurs de droit décavés, définitivement condamnés avec toute l'autorité de la chose jugée manipulent les textes fondamentaux, fraternisent avec des vendeurs d'armes qui transpirent  l'odeur douceâtre des crimes de guerre.

Sur les murs extérieurs des ministères : « interdit d’uriner : amende 5000 francs ».

Des arbres et des fleurs.

Des arbres anciens dans les collines, lengué, paddouk, kapokiers, acajous, irokos, arbres à pain, figuiers, sous leur couvert organisé, le café, le cacao. En saison sèche, leurs fruits, leurs feuilles desséchées bruissent sous les pieds nus des enfants noirs qui suivent les blancs lourdement chaussés et habillés de vestes à poches, venus pour explorer et déjeuner. En plaine des baobabs, et des arbres jeunes, des cocotiers et des palmiers à huile, des nims, des terminaliers pour l’ombre.

Les gestes des habitants au village et encore à Lome sont lents et souples, économisés et adaptés et leur évitent les suées excessives qui marquent le dos des jeunes coopérants.

Des flamboyants, leurs pétales rouge-orange tombés, sur lesquels s'impriment les pas de la nourrice attentive au bébé blanc, miroitent l'arbre au sol, des bougainvillées épineuses envahissent les murs lépreux et repoussent les voleurs et les émeutiers qui lapident les baies barreaudées et grillagées, des fleurs d'hibiscus aux couleurs lourdes et bruyantes, rapidement fanées, sont ignorées des femmes africaines dont elles assombriraient encore le visage.

A la saison des pluies, le convoi officiel, limousines blindées et quatre-quatre rutilants, toutes sirènes hurlantes, traverse à vive allure les rues et vons submergés, douche et éclabousse les fonctionnaires endimanchés, les cantonniers, les cantinières et vendeurs de rue. Les Kalachnikov sont déployées sur le passage, le M60, affût monté sur pickup Toyota prend la rue en enfilade.

Peurs.

Au passage de l'éclipse, personne dans les rues ou les maquis, les lunettes fumées à l'effigie du Président ont été distribuées et sont portées avec assiduité à l'intérieur des cases soigneusement fermées, aux volets obturés et des maisons aux rideaux tirés. Tous les appareils électriques sont éteints sur la recommendation à la radio de la ministre de la Santé.

"Si un gecko est au dessus de toi quand tu dors tu vas faire des mauvais rêves".

Au Togo il y a des sorciers qui peuvent attirer sur toi les abeilles. Elles te piquent et te tuent ou alors, elles peuvent te protéger et si tu es attaqué, elles viennent disperser ceux qui t'attaquent. Il y a aussi des vieux qui protègent leurs champs ou ceux des voisins contre les voleurs.  Le voleur entre dans le champ et il touche un épi de maïs. Il ne peut plus bouger et il reste là jusqu'à ce que le vieux vienne le toucher à son tour. Les autres peuvent alors le prendre et le battre.

Pour le mal au dos, la graisse de boa.

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