Tokyo - Moscou, itinéraire délictuel

Collectif D'auteurs Atelier Les Cris De L'écrit

De ville en ville, itinéraire voyou. Impressions de voyage pinté.

Atelier du 4 octobre 2016 / Jean Paul


Tokyo 4h00

 

 Jour de typhon. Cette ville ressemble à Venise. La pieuvre des embouteillages étreint dans ses bras électriques l'immeuble aux quatre-vingts étages. Des clochards prennent un peu de repos sur les dalles de marbre de l'entrée, ou allongés sur des bancs du jardin botanique avec leur attirail éparpillé sous des plastiques, dans la chaleur humide. Du centre vers la périphérie, les bâtiments sont de plus en plus anciens.  Assis au bord de la piscine à débordement, pieds dans l'eau, je profite. J'avais bien dit que j'allais me refaire. J'ai touché le pactole. Mes amis se sont montrés très généreux. Je jouis de ton absence baby et je la joue à fond. Le petit chien ridicule, les billets de cinq cent boules entassés dans la boîte à mouchoirs, le salon encombré de filles aux jambes interminables et aux narines défoncées, le code privé dans l'ascenseur. L'argent n'a plus aucune importance à cette altitude. On ne sait rien de ce qui se passe en bas. On voit loin. Il faut seulement se méfier du thermomètre. Je me passe très bien de toi.

 

Paris 10h30

 

Rue de Courcelles. C'est arrivé brusquement à ce qu'on me dit. J'ai pris l'avion de 20 heures, finalement heureux d'échapper à la torpeur asiatique. Tantine, chère vieille peau. Tu as choisi un 15 août pour manger ton chapeau à voilette. J'ai pris un taxi. J'ai laissé les bagages à la consigne. La moitié du quartier est dans la rue, écrasée de chaleur. Derrière le corbillard le notaire distribue déjà les privilèges aux actionnaires mités de tes secrets d'alcôve. Ton dernier grand succès. Le convoi grimpe à pas comptés le chemin du cimetière de Charonne. Lorsqu'il passe devant les palissades du square, les vieux en pardessus se redressent. La musique du manèges, les rires des filles qu'on pince dans les wagonnets. Les vieilles tirent leurs maris par la manche pour les ramener à la réalité.  A l'arrivée sur le falun, les arrosoirs cabossés  rangés à côté des ordures et des fleurs en plastique les saluent, le cou dressé comme des vipères de tôle. Les cousins sont de corvée pour les condoléances. Salut la compagnie des abrutis ! Pas l'air vraiment content de me voir revenu ? Alors, comme ça vous avez réussi à trouver un cercueil à sa taille. Chapeau. Du sur mesure avec fond renforcé, ça a dû vous coûter un bras.

 

New Orléans 21h00

 

Quartier Français. J'ai eu des remords de m'être montré aussi con. J'ai un peu trop picolé pour les oublier. Quand j'ai trouvé la sortie, je me suis retrouvé loin de l'hôtel, dans le vieux carré colonial. Mais au-delà, ça ne ressemblait pas du tout à ce que l'on m'avait dit. Presque tous les clubs de jazz avaient disparu faute de clients. Ils avaient laissé la place à des bars communautaires tenus par des rappeurs à casquettes. Même une bouteille de southern comfort c'était compliqué à trouver chez l'épicier du coin. Le pays tournait à la bière et au crack. L'Amérique avait laissé tout un pan de la côte à l'abandon dans un coin de sa mémoire. Non, je ne me souviens plus du son des balles perdues. Fini la musique. Les filles en robes à pois s'étaient fait la malle sur le siège arrière. Un bébé d'un an allongé dans son landau a été tué d'une salve de chevrotine en pleine tête par un adolescent, dans la rue en bas de chez lui. La guerre des gangs. Une fanfare ferme la marche. Je déteste les surprises. Je préfère les rancunes. Je préfère la mafia.

 

Moscou 0h10

 

Dernière escale. Les clochers défilent dans la nuit comme des étoiles. La garde nucléaire veille sur des mausolées orthodoxes à ogives multiples. Les russes ont ce qu'ils méritent. Dans les gares les matrones aux foulards fleuris chantent des chansons tristes en vendant aux voyageurs des cornichons craquants et des oignons confits. Moscou, la ville aux courants d'air où le vent des révolutions balaie les peines perdues. Na zdorovié! Je n'aurais jamais cru obtenir le visa. Ce soir, je jouerais le grand duc au théâtre Bolchoï avec des accents plus tragiques qu'à Paris. Je tiens avant tout à plaire à mon public. Il fait un peu froid. Je remonte les couvertures. Que vais-je devenir sans toi ? Que cette heure arrêtée au cadran de ma montre ? J'ai tout appris de toi sur les choses humaines et je vois désormais le monde à ta façon. Je vais faire dans le fac-similé de 500 roubles.

Je n'ai pas peur du plagiat.

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