Tombeaux de l'utopie
salem
J’ai erré pendant des siècles sur leurs tombeaux.
Désoeuvré, hagard, perdu. A la rencontre de… Je ne sais même plus. Je ne suis jamais parvenu à les trouver. Eux-mêmes perdus dans leurs errances, leurs errances mortes et toujours inachevées. Sans le moindre repère, et dont l’objectif s’efface au fur et à mesure de leurs pas, un horizon limité, minuscule et qui n’existe alors plus.
Et alors j’ai erré. J’ai erré pendant des siècles sur des lambeaux. Déchirements accentués par une volonté profonde, une force primitive quasi animale dans l’envie de les découvrir, avant de s’y fondre pour disparaître. Paraître, laisser apparaître ce que l’on a ce que l’on est, pour ensuite tout laisser s’estomper au milieu des cendres.
Et j’y ai cru. J’ai cru errer des siècles parmi des fantômes. Des corps absents, aveugles et aveuglés. Et parmi ces corps absents, j’ai aussi trouvé des corps cachés. Yeux baissés et dos tournés. Indifférence dans les rapports. Comme si planait l’ombre d’une mort, quelconque, mais bourdonnante et asphyxiante.
Il est des choses que l’on veut garder cachées, dissimulées. Il est toujours des choses que l’on veut voir enfouies et noyées, englouties au plus profond des abîmes, isolées.
Un spécimen étrange, sournois disent-ils, fourbe pour d’autres, et dont la carapace recueille les crachats. Je ne suis pas comme vous. J’ai voulu l’être mais je commence à douter. Je ne suis pas comme vous. Une fois de retour il ne me faudra plus me retourner.
Ici je ne vois rien de ce qu’on m’avait promis et raconté.
Ici je ne ressens rien de ce que j’avais tant ou trop espéré.
Des mythes lunaires pour une réalité austère, c’est là le seul constat que je puisse rendre. Et pourtant j’y ai cru, et j’ai erré, des siècles et des siècles sur des tombeaux, sur une lourde dalle que personne ne voulait soulever, spectateur impuissant du cirque terrestre qui est offert, utopie effondrée et à ciel ouvert.
J’ai erré pendant des siècles sur leurs tombeaux.
Lesquels ne se sont jamais ouverts.