Tomorrow comes today

loua

N'importe quoi d'autre.

Nuit noire. Claire, mais étrangement oppressante. Tu sais, un peu comme tu t'attendrais à ce que ça le soit à l'intérieur, sauf que c'est dehors. Souffle court, l'air est immobile comme un tableau mort. Pas une étoile, ciel chargé de plomb invisible, fusil prêt à tirer au moindre effleurement.

Aucune idée d'où je suis. Loin de chez moi. Éblouie par un éclairage public indécent, je m'accroche au bras de quelqu'un, une copine, je pense. On voyage au bout du monde, on est combien ? Sept ? Neuf ? Deux mecs, des potes, des connaissances, je sais plus. J'ai trop bu.

La fille à laquelle je m'agrippe presse le pas en criant, elle dit avoir vu quelque chose devant. Je distingue rien dans la nuit trop épaisse qui m'entoure. Je suffoque. Je m'en fiche.

Elle me traîne, m'entraîne, danse sur les pavés et moi je suis bien obligée de la suivre. Elle me confesse des choses à jamais dire à voix basse, je prends l'air grave de la confidente qui se sent concernée. Le groupe, si bruyant, reste loin de nous, on s'envole dans une bulle quand elle m'embrasse. Elle goûte l'herbe et le Malibu. Elle ressemble à une fille que je pourrais aimer.

Je l'enlace, ouvre un œil. Au loin, tout là-bas à l'autre bout du trottoir, une silhouette inconnue, floue, qui tangue un peu, accoste les deux garçons qui nous accompagnent. Les autres nanas piaillent, j'entends rien de ce qui se passe. J'arrête la fille d'un doigt sur la bouche. Quelque chose cloche.

Mes yeux captent ce qui se passe là-bas et mes jambes se mettent à courir vers eux. J'ai à peine le temps de comprendre, l'information passe pas jusqu'au cerveau. Je me sens comme une caméra sur le tournage d'un film d'action. Trop extérieure. L'un des deux gars a brisé une bouteille, le bruit fait mal aux oreilles, mais je suis la seule à l'entendre, personne d'autre réagit. Il l'enfonce dans le ventre de l'inconnu, comme ça, sans sourciller, et moi j'ai aucune idée de ce qui s'est passé avant. Je me statufie dans mon élan, me mets à hurler, arrête ! L'autre s'écroule sans un frisson, sans résistance, sans un geste.

Raide mort.

Je crie plus fort, mais de trouille cette fois. D'un seul coup dans ma tête surgissent les accusations de milliers de flics, n'importe quoi qui me ferait passer ma vie en taule. J'attrape le bras de la fille silencieuse, choquée, à côté de moi, je me mets à détaler, les autres font pareil. Je dérape un peu dans le sang qui s'étale sur le trottoir, traces de Convers rouges derrière moi, comme pour me pister, je flippe, ça me donne des ailes. Je trébuche, me rattrape, je suis foutue, je le sens. Je me dis que j'ai pas envie d'appeler ma mère depuis une prison à l'étranger. Je me dis que c'est pas ma faute, j'aurais rien pu faire, il était déjà froid quand je suis arrivée près d'eux. Mais les keufs, ils s'en foutent de ça. Je suis foutue.

Derrière nous on entend les sirènes qui mugissent, j'ai envie de vomir. Alertés par un voisin qui aurait entendu le chambard. On est foutus. C'est la seule chose à laquelle je pense.

On est foutus.

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