L'action d'un homme en mémoire d'un autre... Camille Tupin (1982-2013)
Région parisienne. Dans un ancien entrepôt, une pièce exiguë, aux murs de métal nu et au sol de béton armé. Absence de toute décoration. Lumière entrant par une lucarne percée dans le plafond. Silence.
Dans un coin de la pièce se trouvait un fauteuil fatigué, et en face de celui-ci, une caméra, fixée à son trépied... Ce lieu, c'était un refuge, l'endroit où Il venait "s'enterrer" pour échapper à tout, au quotidien, au bruit. A tout, vraiment. A tout.
Grand, plutôt mince, Il se tenait là, debout à côté de la caméra, fixant le fauteuil de son regard sombre. Il réfléchissait, comme toujours. Comme jamais. Son esprit n'était rien d'autre qu'un mélange hétérogène de pensées, d'émotions, de peurs et de sensations. De colères, également. Mais d'une seule et unique détermination ; Il avait pris sa décision et ne faillirait pas. Hors de question de se démonter maintenant... Alors, sa main approcha du bouton lumineux qui lancerait l'enregistrement symbolisant le Commencement -le début d'une nouvelle vie, ô combien plus dangereuse et pleine d'imprévus.
Mouvement final.
Contact.
Lancement de l'enregistrement.
Contournant la caméra, et entrant ainsi dans le champ, Il avança jusqu'au fauteuil afin de s'y installer. Mains jointes, regard posé sur ces dernières, il se pencha en avant. Ce moment était le sien, il le sentait. Et pour une fois, il se sentait mal à l'aise. Pour lui, ce qu'il s'apprêtait à faire revenait à faire un saut dans le vide, sans harnais, et sans plus de filet... Quitter une vie simple, rythmée par les visites de ses clients à son bureau et les déplacements au tribunal, lui était difficile. Sauter était difficile. Le vide, qui ne l'avait jamais effrayé était soudainement terrifiant... Aussi effrayant que ce qu'il avait vu récemment.
Inspiration profonde, lente, puissante.
Expiration rapide. Souffle d'air chaud.
Il leva ses yeux et les planta droit dans ceux de la caméra -si seulement elle en avait. Il parla, enfin. Si l'idée d'enregistrer cette vidéo lui trottait dans la tête depuis le début de la journée, ses paroles n'étaient rien d'autre que de l'improvisation.
Une fois que ce fut fini, Il récupéra le disque sur lequel avait été gravé l'enregistrement, le fourra sans délicatesse dans une enveloppe en papier kraft et se fit la promesse de jeter celle-ci dans la première boîte aux lettres jaune qui se présenterait à lui.
C'était une manière comme une autre de tourner une page de ce livre incroyable qu'était la Vie et qui se ré-écrivait sans cesse. Néanmoins, la page serait tournée avec violence. Si elle n'était déjà tournée...
Il allait disparaître, purement et simplement, s'évaporer comme une goutte d'eau dans la nature... Pour renaître sous un nom d'emprunt et travailler aux côtés d'une impitoyable femme qui lui avait dit s'appeler Arachnæ. Il allait devenir Ilwyn. Il allait s'accomplir...
Ilwyn...
Nom gallois sonnant comme un hommage masqué à celui qu'il avait perdu au cours d'une sordide affaire qui les avait menés sur les chemins de l'Inconnu et de l'Impossible.
Ilwyn...
"Ilwynog", renard gallois tronqué ; homme qui avait perdu son plus précieux collaborateur.
Paris, trois jours plus tard, en un petit bureau sous les combles d'un immeuble haussmannien. Sous la fenêtre, face à la porte, un ancien établi, transformé en bureau. Un canapé de cuir adossé à un mur, une console chinée appuyée sur celui d'en face. Dans le coin, juste à côté de la fenêtre, une bibliothèque et un fauteuil de cuir. Et un siège à l'assise de tissu fané curieusement placé de travers devant l'établi, comme si la personne qui occupait l'endroit venait juste de partir à l'improviste...
Sur la console trônait une enveloppe brune accompagnée d'un billet de la main de la concierge :
Quand vous rentrerez de Syrie, vous trouverez ceci. Il a été envoyé par la Poste, en recommandé. J'imagine qu'il doit s'agir de quelque crucial élément pour votre travail.
Christine
PS : N'hésitez pas à passer chez moi, si vous éprouvez le besoin de parler.
La porte de la pièce s'ouvrit brutalement, et une athlétique femme à la chevelure rousse et lisse entra. Jetant son sac près de la console, une sacoche sur le fauteuil en cuir, elle ôta ses bottines à lacets d'un seul geste avant de se laisser tomber dans le canapé. Elle était... fatiguée. Rectification faite, elle se sentait toujours aussi éreintée que lorsqu'elle était descendue de son avion, et cela, malgré la douche qu'elle venait de prendre.
Elle avisa finalement le mot et l'enveloppe. Elle poussa un profond soupir et se décida à se lever du moelleux cocon de cuir que constituait son canapé. "Et c'est repartit !", songea-t-elle. Elle se nommait Haruka Hoshizora, et était française d'origine franco-japonnaise : ce double héritage était parfois utile, parfois non. Après avoir risqué sa vie au milieu des rebelles, elle allait devoir écrire son papier et le rendre dans moins de deux jours au rédacteur en chef, qui le lirait rapidement avant de l'amener à qui de droit, qui le validerait ou non... La danse des responsable au journal était toujours la même : la prévoir n'était même plus un amusement pour elle. Bien décidée à débuter son travail, elle se leva, chassant de son esprit toute pensée parasite teintée de morosité ou de désespoir. Elle ne se permettrait de flancher que lorsque l'une de ses sœurs seraient présentes pour la "ramasser à la petite cuillère", comme avait coutume de dire l'une d'elle... En effet, la rousse journaliste ne s'avouait jamais vaincue, faisait tout ce qu'on lui demandait dans les temps impartis, sans prêter attention à la fatigue qui s'installait. Tenace, elle allait jusqu'au bout... Jusqu'à ce que son corps, et également ses nerfs, l'abandonnent. C'est alors qu'elle se sentait en position de faiblesse, et non pas invincible, comme en cet instant.
S'emparant de sa mallette, elle en sortit son ordinateur et, après l'avoir réveillé, lu rapidement le petit mot de la concierge. Elle sourit, pensa au visage débonnaire de la vieille femme qui semblait l'apprécier plus que les autres habitants de l'immeuble, puis elle s'intéressa à l'enveloppe. Celle-ci ne comportait pour toute inscription que son adresse, inscrite en caractères majuscules. Pas d'expéditeur... C'était décidément intriguant. N'attendant aucun document ou information, elle se saisit d'un coupe-papier dans le but d'éventrer l'enveloppe ; d'un geste sec, elle pratiqua une ouverture dans la longueur de celle-ci. A l'intérieur se trouvaient un simple boîtier de plastique contenant un disque et un feuillet où le mot "important" avait été écrit, toujours en lettres majuscules. Haussant les épaules, elle prit le disque et l'inséra dans son ordinateur qui l'attendait fidèlement, ronronnant doucement tel un chat endormi.
Il n'y avait qu'un seul fichier sur le disque, une vidéo.
Une vidéo durant précisément 22:03 comme son lecteur de média l'en informait.
Elle double-cliqua sur l'icône symbolisant le fichier sur son écran. La première chose qu'elle vit fut un fauteuil passablement usé, cousu de tissus noirs et à l'assise rouge. Le décor était quant à lui plongé dans l'ombre... Plâtre, béton ? Elle se voyait incapable de définir de quoi murs et sols étaient faits. Le calme absolu dans lequel était plongé l'endroit la surprit. Où avait donc été enregistrée la vidéo ?
La journaliste, sourcils froncés, ne put toutefois s'empêcher de penser que cette dernière devait être la confession de quelqu'un, qui décidait soudainement de s'expliquer avec le monde au travers d'une seule et même personne : elle. Par ailleurs... Un homme entra dans l'espace que la caméra filmait. Lui tournant le dos jusqu'à ce qu'il arrive au niveau du fauteuil, rien ne permettait de l'identifier. La rousse l'observa marquer un temps d'arrêt, ainsi qu'un silence... avant qu'il ne fiche ses yeux d'obsidienne dan les siens. Ou tout du moins, était-ce l'impression qu'elle eut furtivement, car c'était bien évidemment la caméra qu'il fixait, mais la sensation était... troublante. Elle imagina qu'il s'agissait bien du mot qu'il convenait d'utiliser ici.
Puis, l'inconnu commença à parler : «
Je m'appelle James. James Matthews. Mon père, américain, officie en tant que professeur de biologie dans une université parisienne : c'est pourquoi je porte un nom anglophone mais parle un français sans le moindre accent. Cela en a surprit plus d'un... Je vais toutefois passer sous silence la façon dont mes parents se sont rencontrés ; il n'y a aucun intérêt à ce que je le raconte ici. La seule chose à savoir est que ma mère croit en tout ce qui touche le spiritisme, le paranormal. Il y a un crucifix au-dessus de son lit, et elle a pour habitude de disséminer gousses d'ail et encens un peu partout dans la maison où elle vit avec mon père... Parlez-lui d'esprits, de génies familiers ou de vampires, et vous serez sûrs d'avoir une bonne oreille pour vous écouter. Ceci étant dit, nous y reviendrons plus tard... Dans un autre contexte. »
Un sourire empreint de lassitude étira les lèvres du jeune homme installé dans son fauteuil à l'écran, tandis qu'il marquait un arrêt. Haruka ne put que remarquer qu'il savait habilement capter l'attention ; son éloquence avait-elle un lien avec... Elle n'eut pas à conclure, il terminait de s'introduire auprès d'elle, son auditrice : «
Autant l'annoncer tout de suite : je suis avocat. Les affaires s'enchaînent les unes après les autres, avec toujours cette presque nécessité de fouiller le passé des uns et des autres, qu'il s'agisse de celui que l'on défend, ou de celui contre qui on se dresse. Le mensonge n'épargne personne et toute information doit être vérifié. Parfois, au cours d'affaires particulièrement glauques, on se sent souillé lorsqu'on s'intéresse à l'autre et à ses petits secrets. Ce n'est pourtant pas la première fois que j'ai cet... exercice à faire. Mais aujourd'hui, le sujet est différent. Oh, oui, bien différent ! Et pour une fois, c'est moi qui vais étaler les miens à vous, Mlle Hoshizora.
Pourquoi vous ai-je choisi ? Je ne le sais pas. Le fait que vous soyez une femme dans un monde d'hommes, et que vous vous soyez imposée dans ce milieu où le machisme règne m'a sans doute plu. Vous êtes l'une des rares à accepter des reportages sur des sujets sensibles et à ne pas hésiter, semble-t-il, à aller au devant du danger. Vous connaissez tout des rues de Paris, de ses quartiers définis comme "chauds" aux quartiers huppés. Et surtout, vous ne reculez devant rien, comme en témoigne le remarquable éventail de thèmes que vous avez eu le privilège de traiter, s'il est seulement possible de parler de privilège et peut-être ne partagez-vous pas mon impression... »
L'inconnu marqua à nouveau une pause ; Haruka n'était pas plus avancée...
Ses paroles prirent en un instant un tour dérangeant : «
Quand pendant toute votre enfance, on vous a bercé de récits concernant un monde caché, une fois adulte, on reconnaît ces histoires comme fantasques : elles ne sont plus réalité. Et pourtant... J'imagine que vous avez déjà eu l'occasion de lire des retranscriptions par écrit de légendes ou de voir des films définis comme "fantastiques"... Et de penser comme moi. Parce que vous ne croyez pas, ou plus, en ce monde fantastique que nous ne pouvons voir, nous, qui ne sommes plus des enfants.
Un jour, j'ai cessé de croire ma mère et j'ai eu tort.
Ce que je vais vous raconter à présent, faites-en ce que vous voulez. Croyez-le. Oubliez-le. Pensez que je suis sain d'esprit. Ou fou, malade, instable... Dangereux. Tout ce qu'il vous plaira !
Je sais ce que j'ai vu. Je sais ce qui s'est passé. Ce n'était pas un rêve, et pas plus de la fiction. Et... Vous serez la première à entendre mon récit.
C'était aux alentours de dix heures, par un froid matin de février, un de ces matins où l'on a envie de rester chez soi dans son lit. Mon associé, Camille Tupin, et moi-même étions partis pour la galerie d'art où avait été froidement assassiné un jeune homme qui approchait de la majorité, Axel Meliot. Des suspects avaient été arrêtés, puis relâchés, faute de preuves. La mère du jeune Axel avait demandé un nouveau procès, avant de l'obtenir. Encore fallait-il apporter de l'épaisseur au dossier pour gagner ce second procès...
Nous allions donc rencontrer celui qui dirigeait la galerie et revoir avec lui, chaque élément de cette sordide affaire. La victime avait été attirée dans un endroit éloigné de toute caméra avant d'être... physiquement attaquée. Les dégâts étaient nombreux, et tous avaient été portés à l'aide d'un poignard effilé, poignard dont on n'a pu que deviner la forme et la taille d'après les coups reçus. Et cela n'a pu être possible que là où son corps n'avait pas été réduit à une masse rouge sanguinolente et non identifiable. »
Yeux plissés, perdus dans le vague, de la même façon qu'il s'était noyé en ses souvenirs, l'avocat se perdait dans les détails. Haruka connaissait déjà l'histoire. Elle avait pareillement lu un article, relatant la mort d'un avocat du nom de Camille Tupin, agressé par un chien, alors que lui et son associé de Tupin & Matthews travaillaient ardemment pour retrouver les meurtriers du jeune garçon. Le lien entre cet article et la vidéo qui défilait sur l'écran de son ordinateur restait toutefois floue...
James passa la main sur son visage, comme pour s'assurer qu'il était bien éveillé. Haruka commençait quant à elle à perdre patience... Sans doute cet homme était-il au final dérangé ; il avait après tout avancé plus tôt qu'elle pouvait penser tout ce qu'elle désirait de lui, autant en profiter. Mais c'est alors qu'il reprit, d'une voix hachée mais à un rythme bien plus rapide -sans doute voulait-il en finir au plus vite : «
Lorsque nous sommes arrivés au bureau du directeur, malgré la porte fermée, une odeur âcre, métallique, nous a prise à la gorge. C'était l'odeur du sang. Puis nous avons entendu un bruit sourd, un bruit qui ne trompe dès lors qu'on l'a entendu une première fois. Le bruit d'un corps qui tombe à terre, rendu flasque par l’œuvre de la mort. Glacés, nous n'avions pas encore esquissé le moindre geste car quelqu'un était là, dans le bureau, et nous entendions sa respiration saccadée. Camille faisait face à la porte, et j'étais derrière lui.
Sans que rien ne nous avertisse, le battant de la porte s'est ouvert à la volée et une masse sombre s'est jetée sur nous sur nous, ou plutôt, sur Camille. Il s'est écroulé. Je m'étais écarté, juste à temps. Ce que je voyais de son agresseur m'indiquait qu'il s'agissait d'une femme, de grande taille et à la longue chevelure brune. Sans réfléchir, j'ai tiré sur ces cheveux. Et...
Et, j'ai vu. Ce n'était pas une femme... Ce n'en était plus une. C'était un animal, une bête à la gueule maculée de sang. Le sang du directeur, bien sûr, et celui de mon ami qui gisait là, allongé sur le linoléum blanc du sol. Une large tache de sang commençait à s'étendre sous lui, d'un rouge profond, d'un rouge qui tranchait avec tout ce blanc autour de lui.
"Elle" a poussé un long hurlement. Pas moi. J'étais plus que très probablement en état de choc. "Elle" m'a repoussé brutalement contre un mur. Et puis... "Elle" a disparu. Il n'y avait plus dans le bâtiment que le cadavre d'un homme que j'avais vu une ou deux fois, celui d'un autre qui m'était proche, et moi. Je me souviens avoir hurlé, crié, avant de murmurer : "Pourquoi pas moi ?" Mes nerfs m'avaient abandonnés.
Je n'ai pas rêvé ce que j'ai vu. Mon imagination ne s'est pas jouée de moi.
Mon ami gisait là, gorge ouverte par les crocs d'une créature dont le nom hante notre folklore depuis des siècles. Vampire. Elle était un vampire. "Elle" est un vampire. Et ce jour-ci, elle a tué deux hommes.
Tétanisé, je suis resté là. Avec deux cadavres pour toute compagnie humaine.
J'ai finalement appelé le 17. Quand les flics, pardon... les policiers sont arrivés, j'étais juste là, immobile, recroquevillé contre un mur à l'autre bout du couloir, où je m'étais traîné, hagard, pour m'éloigner le plus possible de tout ce sang, sans pour autant trop m'en éloigner... Pour ne pas mettre plus de distance qu'il y en avait alors entre mon associé et moi-même. Camille mort, l'avocat qui était en moi avait laissé place à un enfant terrorisé. Mes peurs ancestrales s'étaient réveillées. »
A l'écran, James se leva du fauteuil et avança vers la caméra... Puis il revint sur ses pas, et commença à marcher de long en large, tout en restant dans le champ. Il s'arrêta, finalement, mais la nervosité que trahissaient ses gestes se retrouvait dans l'intonation utilisée : «
Aujourd'hui, je ne suis plus le même. J'ai... Enfin... Non, je n'ai pas peur. J’appréhende le futur, mon futur. Cette... femme m'a vu, elle connaît mon visage. Peut-être va-t-elle me trouver, mais je vais de toute manière la chercher. Je veux savoir. Savoir pourquoi. Pourquoi elle ne m'a pas tué... Pourquoi elle s'est contentée du directeur et de Camille. Pourquoi... Je ne cherche pas la vengeance. Je veux juste l'empêcher de recommencer. Mais je ne serais pas seul...
Peu de temps après que Camille fut mis en terre, une femme est venue me trouver, me disant que ce que la police avait fait circuler était faux : ce n'était pas un chien qui avait été le meurtrier de mon ami et du responsable de la galerie d'art. Je le savais. Elle aussi. Et elle était certaine que je n'avais parlé pour une bonne raison... On m'aurait cru malade, sujet à des hallucinations ! Elle s'est présentée, brièvement, très brièvement : Arachnæ, chasseuse et tueuse de créatures non humaines. Un petit sourire flottait sur ses lèvres quand elle m'a proposé de me joindre à elle. J'ai accepté. Oui, j'ai accepté... Même si cela impliquait de risquer ma vie à chaque instant. En cet instant, je souhaitais juste que personne ne vive ce que j'avais vécu. Et... j’admets qu'il existait une amertume qui m'a poussé à le faire et sans aucun doute, un désir certain de vengeance. Mais ce dernier a peu à peu disparu, et il n'en reste rien aujourd'hui. Je ne peux pas pardonner à ce monstre, à cette créature, mais je veux la comprendre. Elle est différente de moi, de nous. Elle ne partage sans doute pas nos valeurs, ou même nos pensées ; je veux connaître ces différences.
Hier, Arachnæ a pris contact avec moi, m'expliquant que mon entraînement débuterait ce soir. Elle m'attend. Elle m'attend, et moi, je suis là, à enregistrer cette vidéo... au cas où, juste au cas où il m'arriverait quelque chose. Autant être prévoyant, sachant que je vais me frotter à plus fort que moi...
A partir de ce soir, j'aurai donc deux activités, pas si différentes l'une de l'autre : avocat, le jour, traqueur, la nuit. "Un peu comme un super-héros, sans les super-pouvoirs !", comme l'a si bien dit cette femme dont je ne connais même pas le vrai nom. Toutefois, son léger accent russe m'a indiqué de quelle origine elle était. Reste à vérifier si cette seule information dont je dispose sur elle est vraie. »
L'avocat avança cette fois vers la caméra de façon décidée. L'enregistrement se finit.
Écran noir.
L'ordinateur était devenu un miroir d'obsidienne dans lequel se reflétait le visage songeur de la rousse. Elle réfléchissait, et se mit à parler à haute voix, comme chacune de ces fois où elle devait se concentrer : «
Ainsi, mon cher James, vous avez été le témoin d'une attaque disons... surnaturelle. Une attaque vampirique qui n'a pas été enregistrée comme telle.
M'envoyer cette vidéo n'a pas été la meilleure idée que vous ayez eu. Car je ne suis moi-même pas humaine et vous auriez sans doute du mal à me considérer en tant que telle si jamais vous apprenez ce que je suis réellement... »
Pensive, elle s'empara du combiné du téléphone qui traînait sur le bureau et composa le numéro d'une de ses sœurs. Elle était l'aînée du trio qu'elle formait avec elles, Miyako Lin étant la cadette et Miyabi la benjamine. Et la cadette travaillait en tant que spécialiste pour une agence assez particulière qui était chargée de s'assurer qu'humains et non-humains ne se rencontrent jamais. Toute attaque entre ethnies différentes devait leur être reportée... L'agence comptait néanmoins autant d'agents humains que non-humains, et son efficacité n'était plus à prouver, malgré quelques escarmouches entre agents et spécialistes, qu'ils appartiennent à la race humaine ou non.
Arachnæ était connue de leurs services, et, même si elle travaillait seule, elle leur offrait parfois gracieusement des informations d'importance. Mais si elle comptait vraiment former cet avocat, tout changeait...