TOURNOI DES NOUVELLISTES Numéro 3 avec PERMIS D'AFFICHER
Françoise Grenier Droesch
Le nouveau monde ouvre ses portes aux auteurs francophones et voici ma deuxième contribution. Ce texte "Permis d'afficher" est dans un registre plutôt noir mais pas gore et traite de la peur.
Ah, ça a marché : je peux coller mon texte dans les commentaires mais pas dans le corps de l'article ! Faut le faire !
· Il y a environ 11 ans ·Françoise Grenier Droesch
Permis d’afficher
· Il y a environ 11 ans ·Minuit. Me voici devant le Ciné C pour une nuit blanche, sous le signe de l'horreur.
Je ne loupe jamais une occasion de découvrir des nouveautés, surtout aujourd'hui. J’ai rendez-vous avec le meilleur choix du moment pour une trouille d’enfer. Mes potes ne vont pas tarder.
Mater des films d'épouvante, pendant la nuit d'Halloween, quel pied !
Il y en a six de programmés et je dois prendre les places avant le grand rush. J'habite à deux pas. Dans un vieil immeuble de plusieurs étages, au dernier avec terrasse et vue sur le quartier. Pas difficile pour moi de traverser la rue, puis l'esplanade où hôtels et restaurants attirent les touristes. Vous verriez le style de ces bâtiments ! D'un très mauvais goût ! De l'architecture contemporaine à ce qu'il paraît, des cubes empilés les uns sur les autres, en fait !
Je traverse l'immense parking, louvoie entre les bagnoles, passe devant la Taverne où quelques clients s'attardent. Le sol glisse car il a plu, il y a une heure. Les lumières se reflètent dans les flaques d'eau. Me voilà devant les portes du complexe où se déroule ce marathon spécial Halloween. Une femme en ressort. Elle tient l'abattant vitré pour me laisser passer. Il n'y a même pas de portes coulissantes. Les concepteurs auraient pu y penser !
Devant les caisses, peu de monde attend. À la jeune fille dans son aquarium, je demande :
― Cinq places pour 30 jours de nuit, l'Opéra de la terreur et Les griffes de la nuit.
Pour me mettre dans l'ambiance je me promène dans les allées où les affichages attirent l'œil et chauffent les imaginations.
Les annonces pour d'autres projections comme Candyman ou Les écorchés se déploient sur les murs rouge grenat. Magnifique ! Je reste à contempler ces affiches. Les lames de la main droite d'un personnage sur l'une d'elle, semblent bien réelles. Elles se mettent à luire anormalement. Pourtant, il n'y a pas d'éclairage directement dessus. Ici, la lumière orangée, venant d'une rampe, fixée en haut des murs, se dilue dans un halo tamisé. En y regardant de plus près, son bras a bougé ! Ses yeux lancent des éclairs. Il a une gueule assez horrible toute ratatinée genre pomme pourrie. Eh bien, ceux qui illustrent les films m'épatent. J'ai vraiment l'impression que ce monstre me regarde. Il a ouvert sa bouche et je respire des effluves de pourriture Je n'en reviens pas : pour la promotion du film, il y a même l'odeur. J'avoue que je n'en mène pas large et des frissons font baisser ma température. Je préfère détourner mon regard de cette tête de mort-vivant.
D'accord, je suis imbattable sur le sujet. Je peux raconter et imaginer des scènes gore en détail et me repaître de la peur des autres qui m'écoutent, mais sentir près de moi, le souffle abject d'un Freddy ou d'une autre créature horrifique, je n'en ai pas le courage. Je m'éloigne pour contempler une autre affiche, celle de ces vampires rouge sang, derrière une pauvre fille armée d'un couteau. Vous me croirez si vous voulez mais la lame étincelle aussi. Du sang perle sur le fil et la pointe, glisse sur le sol, macule mes boots.
Comment expliquer qu'il s'agisse encore d'illusion ? Je sors un mouchoir en papier de ma poche pour essuyer les traces et vérifier que je me fais des idées. Je fixe, consterné, le résultat de mon nettoyage éclair : pas de doute, l'aspect de ce qui est tombé sur mes godasses s'appelle « sang.» Le sang de qui, ça je m'en fiche ! Maintenant, j'ai envie de partir. Un bruit de succion me fait tourner la tête vers les mâchoires grandes ouvertes.
Un des vampires s'est jeté sur une femme que je ne voyais pas tout à l'heure. Il a le crâne rasé et s'adonne à son activité préférée. Il a planté ses canines bien profondément. Les cris terrifiés d'autres personnes accourant devant la fille au couteau, résonnent dans les couloirs du cinéma.
D'autres cinéphiles s'attardent devant ces images qui deviennent vivantes. Ils rigolent. De la 3D gratuitement en avant-première ? Des hologrammes ?
Pourquoi pas mais un pressentiment me dit que ce n'est pas ça.
Ils m'observent d'un air dégoûté, puis rejoignent les salles de leur film. J'ai l'air si bizarre que ça ? Je me précipite vers les toilettes. En effet, mon reflet n'est pas flatteur. Sous ma tignasse noire, mes prunelles dilatées, mes mâchoires crispées, mon teint pâle feraient fuir le plus fidèle de mes amis. J'ai comme un air d'aliéné. Ma gorge est desséchée. Je fais couler de l'eau fraîche et m'en asperge le visage. Ensuite, je bois tout mon saoul.
J'urine, me lave les mains puis rebrousse chemin.
Des paquets de gens empruntent les couloirs, on dirait. Certaines séances vont commencer. Tout a l'air normal. Ils papotent en faisant la queue avant d'être dirigés dans les salles. Ma première impression est démentie par d'autres sons inhabituels qui couvrent les bavardages.
Des hurlements de panique et des grondements de colère me figent sur place. Une peur que je n'ai jamais éprouvée même en visionnant les pires vidéos s'installe en moi, dans mes tripes et mes jambes. Elles tremblent et je dois m'appuyer contre les parois moquettées pour ne pas tomber.
Des panneaux sur pied montrant les dernières sorties me permettent d'effectuer une retraite discrète. Ils sont assez nombreux : en louvoyant entre eux et les murs, je joue à l'homme invisible. Je souhaite le devenir à cet instant précis.
Je me rapproche de la sortie. Les minutes me paraissent interminables. Vivement l'air libre pour dissiper ces visions angoissantes. Je n'ai pas pris de drogue ni bu un verre d'alcool … Les hologrammes ne produisent pas de borborygmes. Ils sont très forts les promoteurs des films mais quand même.
Une dernière fois, je tente de me raisonner. « Péteux, ces représentations ne peuvent pas bouger, réfléchis 5 minutes ! » Je me retourne : mon sang se glace. La fille au couteau me suit et hurle :
― Cachez- vous !
Une horde de ces buveurs de sang s'élance à ses trousses, foulant la moquette foncée du cinéma. Je disparais derrière un panneau espérant qu'ils ne m'aient pas vu. Tels des animaux affamés, ils foncent droit devant sans faire attention à moi. Je n'ose pas sortir de ma cachette, les tempes manquant d'exploser sous la pression de mon sang. Les battements rapides de mon pouls m'empêchent d'agir jusqu'à ce que je risque un regard dans la direction des affichages. Il n'y a pas que les vampires qui se sont échappés. Sur l'affiche de l'armée des morts, les taches noires qui représentent les zombies changent de forme doucement mais sûrement. Elles palpitent et franchissent l'espace qui les sépare de notre monde. De papier, les voilà de chairs putrides et d'os sanguinolents. Des lambeaux de peau les suivent. Ils se déplacent lentement vers la file d'adeptes des nuits blanches.
Cette nuit demeurera rouge et sanglante.
De ma cachette, j'assiste au dépeçage de mes semblables en version vraie et cela manque de me faire vomir. Un de ces revenants passe à quelques mètres de moi, traînant sa victime.
Elle semble évanouie : une femme déguisée en sorcière gothique à qui il manque les jambes. Le tapis rouge qui se déroule devant moi, attise l'appétit des goinfres. Des squelettes sortent aussi des murs tapissés d'illustrations de ces projections destinées à semer l'effroi. Ils se disputent des restes humains.
Si jamais j'assiste à une mise en scène, les gusses qui jouent aux monstres ne peuvent pas sortir des affiches !
Pauvres victimes prises en traître ! Rien n'indique que des morts-vivants vont leur couper la route du rêve en bobines.
Je ne distingue pas mes copains dans la foule hurlante qui se disperse en vrac. Une seule idée m'obsède : déguerpir, m'enfermer dans mon appartement tout proche, heureusement. Vais-je y arriver ?
Pour l'instant, les vampires, les zombies et autres répugnants tueurs sévissent tous dehors. Ils doivent pourchasser les noctambules d'Halloween arrivant en boîtes de nuit ou repartant vers d'autres lieux de réjouissances. J'imagine la panique qu'ils doivent déchaîner.
Il me reste deux mètres à faire avant de pouvoir pousser les portes de ce cinéma de tous les dangers.
Une affiche se déchire, celle de l'Opéra de la terreur.
Des créatures hideuses se matérialisent à ma droite. Je franchis la dernière ligne droite avec l'énergie du désespoir. Je pousse une porte et me retrouve devant le restaurant. A l'intérieur, les morts-vivants se sont emparés des serveurs et du patron. Ils sont reconnaissables à leur uniforme qui ne ressemblent plus à des vêtements tellement ils sont en pièces. Des morceaux de tissu de cette couleur orange tant prisée en ce moment jonchent le sol carrelé. La couleur dominante des dalles est grenat. Les membres sont arrachés et avalés avidement. Lun d'eux me repère.
Courir droit devant. Où ? Chez moi ? Non, ça ne va pas être possible. Des espèces de têtes momifiées apparaissent sur les toits des immeubles et du mien en particulier. L'une de ces horreurs couverte de bandelettes claires s'installe sur ma terrasse. Ses yeux rougis brillent dans la nuit. Sa gueule béante agrippe quelqu'un qui gigote encore. Un voisin ?
Courir vers l'avenue où je rencontre des insouciants pris dans une frénésie de survie. Ils fuient devant l'armée de spectres et d'un ectoplasme cherchant à happer les fuyards. Un cri d'agonisant venant de lui, emplit l'espace. Il hurle et à son contact, plusieurs de ces personnes se mettent à saigner. Du sang gicle de leurs bouches, de leurs bras, inondant la chaussée. Certaines sont décapitées et continuent de courir tels des poulets. Je saute au-dessus des rigoles de sang.
J'approche du parc. Je suis essoufflé mais je ne dois pas m'arrêter. Des vampires me talonnent puis bifurquent au dernier moment pour entrer dans une résidence.
L'affolement est à son comble dans les allées. Le revenant à la main terminée par cinq lames affutées s'acharne sur des promeneurs. Il les dépèce et se repaît de leurs organes. Je me détourne de ce spectacle dégoûtant. Je ne vais pas garder très longtemps mon sang-froid. Je n'en peux plus. Il me faut retrouver mes potes et les prévenir du danger. Surtout ne pas fléchir. Direction le cinéma : il le faut, ils doivent y être. Dans quel état ?
Je ressens une angoisse infernale comme jamais auparavant. J'aperçois les lampadaires du parking, proche du ciné. Sur l'esplanade, devant le cinéma rôdent des Écorchés. Ils respirent la souffrance.
Une main s'agrippe à ma cheville. Je tombe face contre terre. Une autre main me relève : c'est la fille au couteau qui a une scie démesurée dans les mains, maintenant.
― Encore là, vous ? Suivez-moi !
Elle a tranché dans le vif : l'avant-bras d'une abomination a valsé contre une paroi vitrée du cinéma.
Cette femme a une force étonnante. Je ne la suis pas, elle me porte. Je traverse le mur et me retrouve à l'intérieur d'une affiche.
― Ne bouge pas et tout se passera au poil !
Je me demande ce que je fais là. D'en haut, je vois ce qui se passe sur la place aussi bien que d'une fenêtre.
J'entends des cris. Des monstres arrivent de toute part mais la combattante restée dehors, en vient à bout à chaque fois, les repousse sans faillir. Du liquide verdâtre, collant, à l'odeur épouvantable s'échappe des blessures et vient m'asperger. Mes cheveux reçoivent des litres de ces matières dégoûtantes ainsi que mon blouson qui m'a coûté une fortune. Mais je suis en vie pour le moment. Prostré. Aux premières loges pour admirer les règles de l'Art : comment écharper son prochain, le déchiqueter ou le mettre en pièces. Les gens se font mutiler par tous les moyens possibles : avec les dents, à la tronçonneuse, par simple contact avec le mal. Mon état mental se dégrade.
Puis l'espace se rétrécit. Je peine à respirer. Je me plaque tout contre le bord de l'affiche pour espérer avaler un peu d'air. De mon côté c'est irrespirable. Non, pas un souffle ne vient caresser mon visage en sueur.
De la pluie dégouline sur les toits et nettoie le sol ensanglanté.
J'entends des voix. Un groupe de jeunes gens s'est rapproché de mon affiche.
Je reconnais mes potes ! Je voudrais tant qu'ils me sortent de là. En même temps, que font-ils dans ce cinéma, intacts, propres sur eux, sans déjection aucune ? S'ils sont rescapés de cette nuit de terreur sans nom, pourquoi reviennent-ils sur les lieux du cauchemar ? Ils pensent sûrement être en sécurité, ici, et ils se trompent ! Je leur crie : Hé ! Écoutez-moi ! Fuyez ! Ne restez pas dans les parages ! Vous allez vous faire bouffer ou pire !
Alex envoie un coup de coude à Léo :
― Vise un peu le type sur l'affiche, il ressemble à Nico. Tu ne trouves pas ?
― Sans déconner, oui. À part qu'il a la tête de travers, la bouche aplatie. Nico est plus stylé. Lui, sur l'image, il a l'air d'avoir avalé un TGV : un truc de dingue.
― Où se cache-t-il d'ailleurs ? Il ne devait pas nous acheter des places pour cette nuit ?
― Aucune idée, son portable se bloque sur répondeur. J'ai essayé de l'appeler une bonne dizaine de fois. Il ne répond pas le bougre! Maintenant, c'est trop tard ! Nico, si tu nous entends, les films étaient top !
― Je ne comprends pas ! D'habitude, il ne rate jamais une nuit pareille ! Il aurait pu nous prévenir qu'il changeait d'avis.
― Mouais, si ça s'trouve, il voulait passer la soirée avec une copine ! Quel faux-cul ! Il a tout raté !
Ils se mettent tous à ricaner en se dispersant sur le parking. Il n'y a plus de traces des combats acharnés de la nuit grâce à la pluie battante. C'est le petit matin.
« Mais non, c'est pas ça du tout ! » Ma voix ne perce pas la mince prison de papier. Je n'arrive plus à bouger. Je veux déchirer le papier, prendre mon élan, franchir la barrière invisible qui me sépare de mes copains, sauter devant eux. Mon cerveau ne commande plus. Il imagine les gestes, sans fin. Mon bras ne se lève pas. Mes pieds ne se décollent pas. Tout mon corps se fige derrière des points et des lettres majuscules.
Je les vois s'éloigner sans un regard et je sanglote sans pouvoir m'arrêter, enfin, j'imagine les larmes qui coulent.
FIN
Françoise Grenier Droesch
Mon texte n'apparaît pas ! Pfff ! Je ne sais comment faire pour le coller et pour mettre un lien ! http://notre-nouveau-monde.blogspot.fr/2013/10/3eme-tournoi-des-nouvellistes-8eme-de_19.html
· Il y a environ 11 ans ·Je le mets là mais je doute pouvoir coller tout mon texte là aussi !!!
Françoise Grenier Droesch