Tous ceux qui errent ne sont pas perdus - Chapitre 2
Emilie Levraut Debeaune
ambiance musicale : Seeds of Gold, par AaRON.
Elle recule brusquement alors que Johan avance sa main. Le tabouret sur lequel elle était assise produisit un crissement aigu. Johan sursaute et fait un bond en arrière. Ils s'étaient fait peur mutuellement. Les deux jeunes gens restent figés plusieurs secondes, se regardant en chiens de fusil, près à attaquer, ou plutôt à déguerpir, chacun de son côté.
Mais Johan éclate de rire. Un rire joyeux, honnête, un rire de joie. Il se sent ridicule, à la fois de son geste, de la peur qu'il avait eu, et de la frayeur qu'il avait causé à la musicienne, qui le regarde avec de grands yeux, un peu étonnée de cette réaction.
Elle ne bouge pas, toujours à trois mètres de lui, ne sachant vraisemblablement pas comment réagir. Sa main gauche est encore posée sur la harpe, et elle se tient légèrement en retrait par rapport à l'instrument, comme pour se protéger.
Johan ne peut plus s'arrêter de rire. Il en a les larmes aux yeux. Il hoquette. Enfin, il parvient à se calmer, alors que celle qui lui fait face se détend et esquisse même un sourire.
« Je suis désolé, je ne sais pas ce qui m'a pris, vous m'avez fait peur, balbutia Johan.
- Je ne me savais pas si effrayante !
Johan faillit repartir dans un fou rire à cette répartie si inattendue, mais il parvient à se contrôler. Il inspire profondément, souffle, et enfin, frotte ses mains.
- Je ne suis entré que parce que votre musique m'a attirée. Je n'ai pas de meubles à vous confier.
Pas de réponse. La harpiste s'approche lentement de son pupitre et récupère ses partitions, sans lâcher Johan des yeux. Ses mouvements sont nerveux et pourtant ils paraissent parfaitement contrôlés.
« Elle bouge comme un chat » pense tout à coup le jeune homme. Il remarque ensuite qu'elle ne cligne pas. Son regard est comme verrouillé sur lui. Il commence à être mal à l'aise. Le silence ne l'aide pas.
- Vous pouvez faire le tour si vous le souhaitez. »
Ces mots sont tellement inattendus qu'ils le font presque sursauter. Il pensait déjà à marmonner une excuse et à s'enfuir lâchement. Et voilà qu'il est invité à rester ! « Invité » est un bien grand mot, mais bon, l'étrange fille lui a signifié qu'il pouvait faire le tour. Et, il en est sûr, cela avait été dit avec sincérité, bien que sans chaleur.
Ces derniers temps, il avait beaucoup entendu d'hypocrisie, d'ironie, et cette fois, il n'y avait aucune fausseté dans le ton employé.
Il se décide à faire face à son interlocutrice. Elle même le regarde, et plongea ses yeux dans les siens. Sans ciller.
Elle a des yeux bruns, classiques en soi, mais c'est son regard, sa façon de regarder même, qui est dérangeante. Johan essaye de se maîtriser pour ne pas se tortiller de mal-être. De son côté, la jeune femme ne semble pas s'apercevoir de la gêne qu'elle provoque, ou y est au contraire totalement indifférente.
Johan pense « Elle me juge ». Puis rectifie « Non, elle me jauge ! ».
Il lui faut désormais se faire violence pour ne pas détourner les yeux. Il lui semble que son âme est pesée, que tous ses secrets sont dévoilés. Pas qu'il y eut grand chose à cacher mais il n'était pas très fier de sa vie. Il n'avait rien accompli.
Il est interrompu dans ses pensées par un sourire :
« Pardon, j'oublie toujours que fixer ainsi les gens est incorrect. »
Johan allait s'écrier que non, par politesse, mais s'abstient. Il n'ajoute rien. Le silence se semble pas déranger son hôtesse, mais lui trouve que ça devient pesant.
Pour se donner une contenance, il choisit de faire le tour de l'atelier, comme il y a été invité. C'est plus grand que ce qu'il avait pensé.
Il s'agit d'une grande pièce encombrée de meubles et d'instruments de musique en tout genre, et de toutes époques. Il fait assez sombre, et la poussière ambiante semble plonger l'endroit dans le brouillard. Instinctivement ou peut être pour se rassurer, il se dirige vers un rai de lumière, qui parvient à filtrer de l'unique fenêtre. Étant donnée son emplacement sur le mur, à l'opposé de la porte, elle doit donner sur une cours intérieure.
Au premier abord, il avait pensé que la fenêtre était obstruée par du papier collé sur le verre. Mais non. Il s'agit de pavés de verre de couleur jaune orangée, sauf un carré, bleu clair, d'où le contraste plus fort. Johan approche la tête de la vitre pour tenter de voir à l'extérieur, mais sans succès. Les carreaux déforment trop la vision.
Il recule et se retourne pour observer la pièce dans son ensemble.
Il y a des meubles partout. Pourtant, il n'avait pas eu de difficultés à traverser : il était allé de la porte vers la fenêtre sans trébucher, sans devoir se faufiler.
Il pose les yeux sur l'élément le plus proche. Il s'agit d'un genre de commode, à ceci prêt qu'elle est très massive : très longue et très large. Mais ce qui fait son originalité, c'est la multitude de petits tiroirs qui la couvre. Johan se demande ce qu'on pouvait bien y ranger : les tiroirs sont trop petits pour y faire entrer plus gros qu'un livre de poche, et trop nombreux pour un rangement efficace.
« C'est un meuble d'apothicaire.
La jeune fille avait du voir sa perplexité. Elle continue son explication :
- L'apothicaire range ses plantes séchées dans les tiroirs. Le bois permet à la fois de conserver un minimum d'humidité et de séparer les odeurs de chacune des préparations. Et le nombre de tiroirs indique l'habileté et le professionnalisme du praticien.
- Ça n'est plus utilisé aujourd'hui ? Johan pose autant la question qu'il affirme ce qui lui semble une banalité.
- Non, aujourd'hui c'est revenu à la mode uniquement comme meuble décoratif. Il est impossible d'y ranger quoi que ce soit d'utile.
Johan ajouta, d'un ton rêveur :
- Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien, tout ce qui est utile est laid.
En hochant la tête d'un air approbateur, l'antiquaire compléte :
- Théophile Gautier. Un fervent partisan de l'Art pour l'Art. »
Johan continue son exploration de la pièce. Il navigue entre les meubles, certains classiques, d'autres plus étranges. Posé debout contre un mur, un sommier de bois sombre attend d'être poncé et verni. Des chaises à l'assise explosée sont empilées le long d'un mur. Un fauteuil est couvert du tissu vert qui doit venir remplacer l'ancien, dont la couleur est devenue impossible à déterminer. Une table à laquelle il manque un pied est appuyée sur un tabouret en émail tout écaillé. Des coffres en bois précieux, qui sentent pour la plupart délicieusement bon patientent, se languissent, un de sa garniture de velours rouge, un autre de voir un jour son couvercle réparé. Une énorme table basse est posée à même le sol, pieds en l'air, retournée comme une tortue sur sa carapace, désespérée d'être un jour remise sur pieds. Même un piano éventré se morfond dans l'attente du chirurgien qui lui remettrait les entrailles en place.
Dans un coin, on peut voir un établi, où les outils sont posés en vrac. Certains sont rouillés. Johan s'approche et se rend compte que personne n'avait du soulever un outil depuis bien longtemps. La couche de poussière est impressionnante.
Pourtant, retournée auprès de la harpe, la jeune fille fait sonner les cordes, pour les ajuster ensuite grâce à un genre de manivelle. Elle travaille lentement, teste la flexibilité et la résonance de chaque corde avec application.
C'est un contraste saisissant entre l'énergie qu'elle avait mis à jouer et la douceur avec laquelle elle pince, tord et redresse chaque note. Johan la regarde faire un long moment avant qu'elle se redresse, sorte une partition et recommence à jouer.
Il semble au jeune homme qu'elle l'avait oublié, mais il ne va certainement pas s'en plaindre. Il reste là, à côté du piano en fin de vie, à écouter. La mélodie lui donne le vertige. Elle prend dans cet atelier hors du temps une dimension physique. Il a mal à la poitrine, du mal à respirer. Il se rend à peine compte que ses genoux cèdent. Comme au ralenti, il tombe.
Il n'a pas le temps de toucher le sol qu'il est rattrapé par deux bras, qui se placent habilement sur ses côtes pour l'allonger doucement au sol. Johan se sent comme dans du coton. Les sons sont étouffés, sa vision un peu floue. Il se sent étonnement bien. Il a chaud.
Il a pourtant tout à fait conscience de son environnement, mais il pense si lentement... Il rectifie : il ne pense pas lentement, c'est tout ce qui se déroule autour de lui qui va lentement. Il flotte complètement. Il plane, comme shooté à l’éther. Il voit que celle qui l'a rattrapé déplace quelque chose, qu'il identifie comme un long fauteuil, ou plutôt un genre de canapé, mais relevé au bout.
Elle l'aide à s'y installer et il y reste un long moment. Elle a tiré son tabouret, et s'installe à côté de lui. Peu à peu, il revient au monde réel et voit que la jeune fille lui parle :
« Vous m'entendez ?
Il lui faut un peu de temps pour trouver dans son esprit, puis pour annoner un simple « oui ».
- Depuis quand n'avez-vous pas mangé ?
Johan reprend rapidement ses esprits maintenant. Il réfléchit et, un peu honteux, annonça
- Hier soir je crois...
Il veut se relever, mais d'un geste impératif, elle lui indique de rester couché. Elle se glisse derrière un lourd rideau, qu'il n'avait pas vu avant. Elle reste absente quelques minutes et revient avec du thé et une assiette de gâteaux.
Johan s'assoit, et s'empare de la tasse. Le thé sentait délicieusement bon. Il en avale une gorgée, ne peut identifier le goût, et en prend donc une deuxième, plus lentement. Non, il ne sait pas. Il interroge son hôtesse du regard.
- Au gingembre. C'est énergisant. Sans compter que c'est très bon. Je le mouds moi même.
C'était plus de mots qu'elle n'en n'avait aligné depuis bientôt 3 heures qu'il était là.
- Prenez un biscuit, je les prépare avec du miel, des amandes et des noisettes. Ça devrait vous revigorer.
Elle parle avec un accent indéfinissable, roule à peine les -r, et ne prononce presque pas les voyelles de fin de mots. Il ne peut rattacher aucun pays à cette diction. Cela fait beaucoup d'inconnues pour une seule journée...
Il grignote le biscuit qu'elle lui avait presque fourré dans la main, et dit :
- Je crois que c'était la musique...
Elle le regarde, sans comprendre.
- C'était si... intense ! Et pourtant, je ne peux pas me souvenir de la mélodie...
Elle se lève pour aller chercher sa partition. Elle la parcourt rapidement des yeux, soupire et l’abat sur une table proche, côté imprimé caché, brusquement, avec colère. La vieux bois de la table gémit sous l'affront.
- Je suis désolée, c'est un peu ma faute, cette partition, est... disons particulière. Pas faite pour toutes les oreilles.
Sans lui laisser le temps de répliquer, elle s'enfuit à nouveau derrière le mystérieux rideau. De la musique emplit la pièce, diffusée par des hauts parleurs invisibles. De la musique classique. Pourtant les notes lui parlent, il a déjà entendu cet air.
- C'est le Nabucco, de Verdi, idéal pour calmer les esprits troublés.
Sans rapport avec ce qu'elle vient de dire, Johan demande :
- Est-ce que je peux vous poser une question ?
Elle le regarde sans répondre. Johan se lance :
- D'où venez-vous ?
Elle le regarde un long moment, sans rien dire. A nouveau, il se sentt comme si son âme était jugée. Elle tourne enfin la tête, et, d'un air triste, répond :
- D’Islande. J'ai aussi habité un temps en Écosse, puis à Londres, et finalement je me suis retrouvée ici.
- Ça fait du voyage ! Votre vie a du être mouvementée !
Elle a un petit rire.
- C'est vrai. »
Mais elle n'ajoute rien.
Le silence met Johan mal à l'aise, aussi tente-t-il de relancer la conversation sur l'atelier, sur les meubles, sur le travail que cela représente.
Les réponses qu'il obtient sont à la fois très précises et très évasives. Il peut demander n'importe quoi sur les meubles, elle lui donne leur nom précis, l'époque de laquelle ils datent, leur histoire... Il apprend ainsi que le canapé sur lequel elle l'avait installé est une méridienne, meuble typiquement français, qui était apparu au milieu du 18e siècle, et qu'on l'appelle ainsi parce qu'il a été conçu pour y faire la sieste dans l'après midi.
Par contre, il ne peut obtenir aucune information sur où il a été récupéré, depuis quand, où en sont les réparations. Cela peut venir d'une nécessite de discrétion envers un client, mais il ne peut s'empêcher de penser qu'elle cache quelque chose.
Tout à coup, son téléphone sonne. Il se précipite sur son sac, et répond. Il adresse en même temps un regard désolé à son interlocutrice. Ce n'est qu'an ami qui l'invite à boire un coup le lendemain soir. Il raccroche.
Il cherche la jeune fille des yeux, et la trouve vers l'établi, où elle sort avec soin des feuilles d'or de leur papier de protection. A coté d'elle un grand récipient à fond plat semble prêt à les accueillir. Il soupire. La magie est brisée. Il prend congé un peu maladroitement, et elle répond à peine. Un peu déçu, il sort.
Il parcourt quelques mètres, surpris de constater que la nuit tombe déjà. Cela fait donc plus de 5 heures qu'il est entré dans l'atelier. Il n'a pas vu le temps passer. Il a faim. Il remonte le col de son blouson, s'ébroue et se dirige vers les quais du Rhône, d'où il pourrait reprendre le tram et rentrer chez lui.
Alors qu'il allonge le pas, il entend une voix l'appeler. Il se retourne. Celle avec qui il avait parlé tout l'après midi se tient juste là. Elle lui tend la main.
« Je m'appelle Eressië ».
oui c'est ce que je compte faire (plutôt au présent, je pense que c'est plus dynamique). je corrigerai au fur et à mesure. Disons que je n'ai pas très confiance en moi et que je mets cette histoire ici dans le but de recueillir des avis de lecteurs afin d'affiner mon texte.
· Il y a plus de 12 ans ·Emilie Levraut Debeaune
Bonnes relectures à vous, alors ! A mon avis, soit vous mettez tout au présent (avec un peu de passé selon la trame de l'histoire) ou tout au présent (avec un peu de passé selon la trame de l'histoire)...
· Il y a plus de 12 ans ·lafaraday
pour la concordance, j'ai commencé à écrire au passé simple et suis venue après au présent, donc il y a certainement des corrections à faire. Quant aux répétitions, c'est la première fois qu'on m'en parle, je vais me relire pour y faire plus attention. Merci de votre intérêt.
· Il y a plus de 12 ans ·Emilie Levraut Debeaune
Vous avez un problème de concordance des temps et des répétitions inutiles : laissez de l'espace à l'imagination du lecteur !
· Il y a plus de 12 ans ·lafaraday