tout ça pour un bout de viande entre les jambes

sunderland

Les poupées gonflables, ça l'intéressait pas. Il trouvait que les gueules étaient pas réalistes et ça lui donnait l'impression de baiser dans un dessin animé. Il avait essayé, il savait de quoi il parlait, hein. Et puis il fallait se faire chier à gonfler le truc, les jointures n'étaient pas forcément bien étanches (le matos était fabriqué dans des camps de vacances chinois), du coup quand il appuyait trop fort il finissait, en quelques minutes, par copuler avec un ectoplasme.

Baiser des trous juste pour se vider les bourses et jouir de l'électrojaculation, très peu pour moi. Je veux une histoire d'amour. Mais l'autre, là, il me disait souvent qu'il trouvait sa joie à troncher des vagins-ventouses (manufacturés en Albanie) achetés dans des magasins de sexe, des gadgets à plaquer aux murs, voilà, il limait les murs, m'assurait qu'au final il s'en contentait, qu'après ça y avait juste besoin de nettoyer la plastomatrice, et encore. J'hésitais alors entre pleurer de rire et l'abattre d'une balle de miséricorde en pleine tête.

Un jour, j'ai découvert qu'il y avait un sex shop dans mon quartier. Pendant longtemps je suis passé devant l'entrée sans faire attention: elle est planquée derrière un arrêt de bus et à moitié enfoncée d'un étage, c'est un rez-de-chaussée qui s'enfonce déjà dans le marasme avant même que tu aies ouvert la porte. Des volets métalliques sont perpétuellement fermés, tu ne vois rien à travers la porte qui n'affiche qu'un "open" de néon rouge. Régulièrement, quand j'attends le bus, je vois des types entrer et sortir. Logiquement, tu te dis: "Fais pas style, Paulo, on sait très bien que tu y vas aussi! T'es un tocard de la bite comme les autres, t'es même un hypocrite, tu fais genre ça m'intéresse pas mais tu y vas, ou alors tu en crèves d'envie, ce qui revient quasiment au même!" Si tu te dis ça, c'est que tu ne m'as pas compris. Je ne fréquente pas ces lieux.

— C'est parce que t'es radin, et chômeur en fin de droits! Sinon, tu irais! Peut-être même que tu y allais, avant ta déchéance!

Et Momo qui me sort: "L'autre jour je faisais mon jogging dans le bois près du Pourtalès et putain je me suis fait courser par un pédé!"

Moi aussi, à une époque, je faisais du jogging. J'y croyais. J'étais en tenue et tout, hein. Je voulais transpirer, perdre du poids, affermir le coeur et les jambes. Ha. Je courais dans la forêt qui touche directement la ville. Compiègne. La forêt de Compiègne, donc. Une des plus grandes forêts domaniales de France. Un des trois poumons de Paris (avec Fontainebleau et Rambouillet). De temps en temps je croisais des nanas qui couraient aussi, mais à trois ou quatre, jamais seules. Vers la sortie du bois, pas loin du carrefour improprement appelé "Carrefour Napoléon" (il s'appelle en réalité autrement, mais c'est une habitude persistante de l'ancienne population), j'apercevais, jour après jour, le même roman-photo posé sur de l'herbe, des feuilles; il se flétrissait toujours un peu plus au contact du sol humide mais on arrivait encore à voir de quoi ça parlait: de baise.

Je ne suis jamais allé électrojaculer au bois. Le jogging en forêt pour trouver de la chair à baiser? Non merci, camarade. Je n'ai rien contre l'amour bucolique, note bien, mais voilà: le mot important, là-dedans, c'est "amour". Au milieu des arbres ou ailleurs, peu importe, dès l'instant qu'il s'agit de cela. Je me souviens de cette nana que je connaissais (trop bien, trop mal) quand elle et moi étions à la fac; un jour, elle me raconte qu'elle se promenait en forêt avec de ses copines, une grosse chaudasse, et le copain de cette dernière. Ils roulaient en caisse sur des chemins. Puis ils s'arrêtent, à un endroit, continuent un peu à pied, comme ça, sans but véritable. Les deux tourtereaux se retrouvent un peu en avant, main dans la main, puis au bout de quelques minutes la chaudasse se retourne vers ma condisciple et lui dit: "Je suis désolée, ça te gêne pas si on s'absente quelques minutes? C'est que (le prénom de son mec) veut absolument que je lui fasse un câlin, il en peut plus!" Alors ok, ils s'enfoncent dans les taillis, tandis que l'autre se fait chier à attendre dans la bagnole. Elle avait déjà son gars à elle, cela dit (bien entendu, ce n'était pas moi), donc il n'y avait pas de quoi en faire une histoire. Moi par contre, j'en fais une histoire, encore une de ces ridicules petites anecdotes avec lesquelles j'ai si souvent l'impression d'emmerder le monde. Mais c'est comme ça. Je n'avais pas de copine, à l'époque. Si j'avais été à la place de l'autre, moi j'aurais vraiment tenu la chandelle. Il m'est d'ailleurs arrivé de le faire, en d'autres circonstances. Une fois en particulier, et ça m'a beaucoup irrité et attristé mais, évidemment, j'ai tout gardé à l'intérieur de moi. Je devais probablement (je n'en ai pas eu conscience, sur l'instant) réserver ça pour l'écriture.

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