Tout était si parfait

weshaggy

A cette inconnue du parc.

Elle rayonnait.

Elle chantonnait en se préparant.

Elle avait rendez-vous ce midi. Avec un charmant jeune homme. Elle l'avait rencontré à la soirée d'anniversaire de son frère Ben.

Il avait pris son numéro. Elle avait pris le sien. Elle n'osait pas l'appeler. Lui, si. Trois jours après leur rencontre. Elle riait au téléphone. Elle tombait déjà amoureuse. Il lui proposa un pique-nique pour le samedi suivant. Elle accepta de bon cœur.

Le soleil était au rendez-vous.

Il l'attendait sur un banc à côté de l'entrée du parc qu'il avait choisi, un sac de victuaille bien rempli à ses pieds.

Quand il l'aperçut, il esquissa un sourire, laissant apparaître une fossette sur sa joue droite.

Elle lui dis bonjour timidement. Elle sentit l'odeur de son after shave flotter dans l'air.

Ils choisirent un coin ombragé pour s'installer manger. Ils s'allongèrent sous le plus majestueux des marronniers. Il avait tout prévu, de l'apéro au dessert. Elle parlait en enroulant ses doigts dans ses longs cheveux dorés. Il l'écoutait en la dévorant des yeux. Il la taquinait, elle riait à pleine dent. C'était son plus beau premier rendez-vous. Parfaite alchimie entre ces deux êtres. Il se quitte pour l'après-midi. Elle a la tête ailleurs. Ses pensées sont pour lui. Ils se revoient. Encore et encore. Amour naissant, amour plaisant. Il ne peut plus se passer d'elle. Elle non plus. Chaque minute qu'elle passe à ses côtés est encore mieux qu'un rêve éveillé. Il est sa raison d'être. Elle est sa raison de respirer.

Tous les ans, ils vont pique-niquer sous ce marronnier qui a sceller leur destin. Un an, puis deux. Puis trois, puis quatre.

Et cinq.

Son after shave n'a pas changé. Il a tout prévu comme d'habitude. Elle est heureuse avec lui. Ils planifient leur futur ensemble. Elle veut partir en Thaïlande, lui au Guatemala. Il voudrait avoir un chien, elle, un cheval. Ils se chamaillent gaiement comme des enfants, perdants la notion du temps. Elle ne se lasse pas de lui. Il n'envisage pas de partager sa vie avec une autre qu'elle. Et puis. Bêtement. Tous leurs projets tombent en éclat.

Pas de vent, un très beau temps, et pourtant.

Un énorme craquement.

Une branche du marronnier au dessus de leur tête vient de céder. Non pas une petite branche. Une énorme branche. Plongés dans leur discussion, ils ne se rendent pas compte à temps de ce qu'il se passe. Ils n'ont pas le temps de bouger. Elle n'a pas le temps de profiter une dernière fois de ses jambes.

Elle se réveille dans un lit d'hôpital. Elle ne sent plus ses pieds. Elle ne sent plus ses mollets ni ses cuisses. Elle le voit. Il est près d'elle. Il a les yeux humides.

Elle comprend. Elle se met à pleurer. Elle regrette déjà de ne plus pouvoir gambader. Elle sait déjà que son avenir ne va pas ressembler à ce qu'ils avaient imaginé.

Elle lui dit « va-t'en ».

Il lui dit que sans elle, il n'ira nul part.

Il lui dit que cet accident n'est qu'un nouveau départ, que son amour pour elle n'a pas besoin de marcher pour fonctionner.

Et elle fait l'effort de le croire, tout en sachant au fond d'elle-même que plus rien ne serait comme avant. Elle sentait qu'elle avait perdu bien plus que l'usage de ses deux jambes. Lui aussi, elle finirait par le perdre. Mais peut-être pas. Elle fait l'effort d'y croire.

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