Trafic

Rosanne Mathot

Les regards sont comme les phares des voitures : ils ne se croisent que pour s'éblouir.

Les mots qui font voyager dans le grand réseau du coeur, ceux qui font que, dans le trafic dense et moite, dans le grand bazar bruyant des gestes anonymes et des pelletées de gaz carbonique, l'on s'arrête, l'on respire dans le calme, 


ces mots qui font que l'on parte à gauche, plutôt qu'à droite, 


- au feu rouge, prenez la bretelle de l'épaule qui brille dans vos phares, allez tout droit jusqu'au croisement, levez les yeux jusqu'aux siens (traits d'union intimes) -  


ces mots-là font que je me suis garée pas très loin de toi. 



C'est sûr : Tu m'as vue. 


J'ai mis la radio peut-être. Et, là, dans le cliquetis des chaînes, alors que je grelottais sur un parking, je me suis dit que le trafic, parfois, ça doit sonner beau, ça doit sonner juste aussi. C'est forcé. Je me suis dite que les regards, c'est comme les phares des voitures : ils ne se croisent que pour s'éblouir.

Alors j'ai laissé venir se caler des échos charnels dans le creux de mon oreille.

Des mots encore.

Mêlés à des images.

Saveur orange. Goût lumineux. Le gout de ta bouche. La couleur de ton plaisir. Et je me dis que - merde quoi ! - on peut bel et bien être hanté par de l'orange et de la lumière.

Mais quand ça arrive, on n'est pas dans la hantise. On est dans l'enchantement. 

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