Trajectoire

jd0

Mouvement instinctif de rétractation, les mains agrippées à son sac, à son téléphone, elle crispe son visage lorsque je m’assieds à ses côtés dans la rame du métro. Racisme ordinaire des petites gens. Je ne m’offusque pas, regarde la femme défendre bec et ongles son territoire, son espace, ses objets. Contre quel prédateur ? A son doigt, une alliance en plaqué, la certitude matérielle d’une vie protégée, un vernis. Je ne la méprise pas. Elle s’accroche à ce qu’elle peut, au peu qu’elle a, au peu qu’elle est dans la masse des anonymes. Moi, je ne m’agrippe à rien, pas au passé, pas au présent, je change de wagon, transfuge d’une culture à l’autre, d’une classe à l’autre, d’un monde au suivant qui n’est guère mieux. Je descends de la rame. A la surface des rues, la colère qui brûle, les manifestants sont là, l’indifférence des passants aussi. Les idéaux se consument les uns après les autres. Liberté de la presse tabassée, plaquée au sol, ou bien bradée au plus offrant, Egalité des plus chanceux, Fraternité, fraternité encore un peu et pour combien de temps ? Je poursuis mon chemin, je ne m’attarde pas sur les braises, je prépare mon propre combat. Mobiliser ses forces pour la survie, éliminer les candidats, les concurrents, ne pas se laisser piétiner,  marcher vers, marcher sur, pour atteindre sa place, briguer son poste, acquérir son rang, et laisser derrière soi les cadavres. Jeu de massacres, accepté, encensé comme le seul mode de fonctionnement possible. Je suis presque arrivé à destination, plus que quelques pas et je bascule de l’autre côté de la barrière sociale. Alors, je me déleste de mes principes, les laisse sur le seuil, là où personne ne viendra plus les porter en banderole. Je jette un dernier regard en arrière avant mon entretien. Dans un instant j’aurai franchis la porte de l’entreprise, demain je serai des leurs, pleinement : membre actif dans un état de droit(e).

Signaler ce texte