Tranchée sanglante
keilasilion
Le LCL Frederick Henker du 21e bataillon de fusiliers du Northumberland consultait le tableau de service dans le mess des officiers . Avec une question qui lui taraudait sans cesse l'esprit : Est-ce que je meurs aujourd'hui ? . Et si c'était le cas quand et comment ?
La mort avait répondu à son appel , en consultant la liste il découvrit son nom .
La grande faucheuse avait décidé de différer son rendez-vous avec lui le lundi qui arrivait , le premier du mois de Juillet 1916 . Il anticipait la peur qui lui nouait déjà l'estomac et la balaya avec l'image rassurante de la campagne de recrutement placardé dans son ancien quartier et qui avait fait de lui un soldat accompli , fier de son régiment . L'armée ne l'avait jamais déçu , c'était plus qu'un service rendu à la patrie , il faisait acte d'une dévotion sans égale . Peu importe qu'il meurt sur les champs de bataille , Les fusiliers de Northumberland surnommé " Le cinquième combat " ne faillirait jamais . Cette idée le rassura un peu . Le gobelet en ferraille dans la main , il sortit de la tente et regarda un instant le drapeau de l'Union Jack qui flottait au grand mât extérieur ou la croix de Saint-Georges , la croix de Saint-André et la croix de Saint - Patrick s'imbriquaient à la perfection . Le LCL Henker se mit à fredonner un air , même loin de chez eux perdu en Picardie , on ne laissait jamais les soldats oublier d'où ils venaient .
« La route est longue jusqu'à Tipperary
La route est longue pour y aller.
La route est longue jusqu'à Tipperary
Jusqu'à la fille la plus douce que je connaisse !
Au revoir Piccadilly
Adieu Leicester square !
La route est longue longue jusqu'à Tipperary
Mais c'est là qu'est mon cœur. »
Henker aurait pu demander son transfert mais selon l'état- major , il y avait urgence . Une bataille se préparait , il n'avait pas encore tous les ordres mais les informations circulaient vite parmi les officiers et les soldats . Même mouise même combat . Un tel déploiement à 45 km de la Somme n'était pas anodin . Les allemands devaient être planqués derrière les lignes fortifiées mais tant qu'il n'avait pas de confirmation du général de sa division , la seule chose à faire était d'attendre les ordres et de spéculer un peu sur l'avenir qui semblait proche . Lundi allait être un grand jour . Peut-être son dernier mais la présence de ses compagnons d'armes le rassurait , plus que cela c'étaient ses frères et ils se battaient tous ensemble pour une cause juste . On avait besoin de nouvelles recrues . Le Maréchal Joffre avait lancé un appel , les britanniques y avaient répondu .
Puisque le jour de la bataille avait été dévoilé sur le calendrier mural , et avant d'aller faire son tour d'inspection chez les hommes constituant le bataillon dont il avait la charge , il décida d'aller dans le hangar où seuls les officiers et les mécaniciens avaient le droit à un accès illimité .
Il regarda Cole , clé à molette dans la main droite occupé à vérifier une des six mitrailleuses Hochtkiss d 'un des trois Mark I qui immobilisés en imposaient . Alignés sagement comme des petits soldats miniatures , Sacré Wells songea Henker il se souvenait des règles d'un jeu appelé Little Wars dont l'introduction spécifiait qu'il était réservé aux garçons et aux filles spécialement douées . Il avait même acheté le jeu pour un de ses neveux avant de partir au front . Il comprenait une boîte de gardes anglais et un canon qui tirait des bouchons . Des jeux d'enfants devenus réels comme le canon de six livres qu'il avait en face de lui , il aurait donné cher pour que ces munitions ne soient que de simples bouchons .
Cole le salua en bon soldat sans retirer toutefois le bout de mégot qu'il avait entre les lèvres . Le tabac était une denrée rare qu'il fallait savourer jusqu'à la dernière bouffée . Henker n'était pas un lieutenant caporal vindicatif ni mal aimable avec ses hommes . Il les considérait un peu tous comme les enfants qu'il n'avait pas encore .
— Rompez sergent !
— Á vos ordres
— Que faisiez -vous sergent ?
— Je vérifiais la mitrailleuse du char d'assaut n°2 mon lieutenant
— Pourquoi ?
— Ordre du général mon lieutenant .
— Répétez -moi cet ordre .
Avec regret il éteignit rapidement son mégot sur le sol , prit une grande inspiration et dit :
— Sergent Cole les trois Mark I doivent être opérationnels pour le premier de ce foutu lundi qui vient .
Henker hocha la tête . Ses craintes étaient définitivement fondées . Ils allaient devoir se battre . Cole l'interrompit dans ses réflexions .
— Vous pouvez me passer le journal derrière vous s'iou plaît lieutenant .
Henker s'exécuta en conservant une partie du journal scolaire . Il y avait un reportage sur un match amical qui opposait une troupe française du corps des artilleurs de la 8 batterie aux anglais . Deux mi-temps et une prolongation . Le score était de 7 pour eux et 2 pour les français .
Cole en attendant le score s'esclaffa :
— Moi on me donnerait le sifflet je le tiendrais correctement ! Et pis c'est tout !
Henker esquissa un sourire en voyant Cole se servir du journal comme d'un banal chiffon . C'est vrai qu'il devait tout rationner même le papier !
Ce soir il écrirait une lettre car son nécessaire d'écriture était quasiment vide . Il préférait donner son papier à lettres à un des soldats dont la femme au pays attendait avec empressement le moindre courrier du service postal . 4000 soldats qui bravaient les limites de l'enfer pour apporter un brin de paradis dans ce monde où les tranchées étaient sanglantes .
Oui ce soir il s'y mettrait car lundi qui sait ? Cela pourrait être son dernier jour sur terre , en France , proche du fleuve de la Somme en 1916 .
C'est le fait de mettre les indices dans un puzzle imaginaire historique qui était génial dans cet exercice .
· Il y a presque 9 ans ·keilasilion
Jolie nouvelle! Je suis surprise de croiser une autre Lecture Académicienne ici!
· Il y a presque 9 ans ·bruitdepapier