Transhumance
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Au départ, Olivia n’y croyait pas. Elle avait déjà tout tenté pour retrouver une vie normale. De régimes miracles en cures d’amaigrissement, de diètes forcées en traitements de choc, tout ce qu’elle avait réussi à faire en quinze ans d’efforts et de rebonds pondéral, c’était se rapprocher inexorablement du seuil de l’obésité morbide. À 45 ans et un mètre soixante-huit, elle était la funeste propriétaire d’un quintal et demi de chairs envahissantes, qui faisaient d’elle une quasi handicapée.
Malgré les discours culpabilisants des médecins et de la famille, la volonté n’avait rien à voir là-dedans. Après chaque tentative désespérée, chaque dépassement de soi pour reprendre le chemin de la « normalité », son corps se protégeait en s’enveloppant d’une couche supplémentaire. Plus elle s’astreignait, moins elle contrôlait, enchaînant crises de boulimie et dépressions fulgurantes. À l’image de sa silhouette élastique, l’emprise qu’elle tentait de regagner sur sa masse graisseuse en croissance continue s’effilochait comme un brouillard informe. Son avenir, c’était la mort par étouffement adipeux ou la chirurgie bariatrique, la gastrectomie ou le « bypass ».
Jusqu’à présent, elle avait toujours refusé de se faire charcuter, telle une oie trop grasse dont on agraferait l’estomac ou amputerait la panse. Même refus lorsque son mari, Jules - de plus en plus fluet par rapport à elle - avait menacé de la quitter en amenant les enfants... Son intégrité conservée, elle l’avait payée au prix de sa raison de vivre. Et pris vingt kilos au passage.
On l’avait alors présentée au professeur Kurosawa, un neurochirurgien virtuose. Olivia, qui s’était imaginée une opération à cerveau ouvert, avait été promptement rassurée par le souriant nippon.
- Rien de tel, chère madame. Il s’agit d’une simple injection intracrânienne, un sérum dont chaque millilitre contient un million de machines minuscules appelées nanobots. Ces nanobots communiquent entre eux et sont capables de se déplacer dans votre matière grise. Ils vont coopérer pour neutraliser les mécanismes cérébraux responsables de votre affection.
- Est-ce que c’est douloureux ? Ou dangereux ?
- Non ! Non ! Pas de douleurs, aucun danger ! Chacune de ces machines est dix fois plus petite qu’un globule rouge, vous ne sentirez rien. Ce sera comme une libération, vous serez à nouveau capable d’exercer votre pleine volonté sur le monde.
Une fois la tête rasée – adieu, crinière flamboyante ! - et l’anesthésie locale en place, un assistant lui avait présenté l’aiguille devant s’enfoncer dans ses méninges : quinze centimètres d’acier manipulés par un bras robot ultra précis, chargé de forer son encéphale sans la moindre lésion. Olivia avait failli hurler. Elle se rappelait qu'on lui avait percé le crâne avec un trépan à vilebrequin. Le reste demeurait flou, brèves réminiscences d’hommes masqués et gantés s’agitant autour de sa tête en lui posant d’innombrables questions. Puis les nanomachines s’étaient répandues en elle, à l’assaut de ses neurones malades…
Les premiers jours, Olivia ne se sentait pas fondamentalement transformée. De façon presque fortuite, elle avait constaté qu’elle n’avait plus à lutter contre ses pulsions. Quelque chose en elle avait chamboulé ses habitudes, faisant perdre une grande part de son attrait à la nourriture. Plus de « tentations », encore moins de « frustrations ». Sereine, apaisée, elle n’éprouvait plus cette obsession particulière pour les mets gras, sucrés ou salés.
Au fil des semaines, elle se mit à fondre, retrouvant les plaisirs simples d’une alimentation équilibrée, devenue aussi naturelle et nécessaire que de rire ou respirer. Telle une sculpture libérée de sa gangue, la véritable Olivia transparaissait peu à peu sous la masse affaissée de ses ex boursouflures. En moins d’un an, elle avait changé quatre fois de garde robe et était repassée sous la barre des 65 kilos, ce qui ne lui était pas arrivé depuis la fin de son adolescence. Kurosawa lui même était surpris. Plus époustouflant encore, son corps était ferme et harmonieux, alors qu’une telle perte de poids aurait du s’accompagner d’une peau distendue, retombant en plis disgracieux sur son ventre.
- L’action des nanobots dépasse de loin ce que nous en attendions.
- Vous avez l’air soucieux, Professeur. Pensez-vous qu’il y ait de quoi s’inquiéter ?
- Je ne crois pas… Toutefois, il s’agit d’un protocole expérimental. Si vous constatez quoi que ce soit d’étrange ou déplaisant, vous nous prévenez dans la minute !
Des choses « étranges », il devait s’en produire d’autres. Mais rien de déplaisant, tout au contraire : rapidement, Olivia se rendit compte qu’elle avait le pouvoir de modeler son corps par simple concentration mentale. Un matin, alors qu’elle se contorsionnait pour observer une série de vergetures sur ses fesses, elle vit l’une des zébrures vibrer, puis se confondre avec la pâleur laiteuse de son épiderme. L’une après l’autre, les marques inélégantes disparurent sous son regard incrédule.
Quelques temps plus tard, ce furent des ridules sur ses paupières qu’elle réussit à gommer par la seule action de sa volonté. À force d’exercer ses talents, son pouvoir gagnait en puissance et en efficacité. Olivia rajeunissait à vue d’œil.
- Il y a une erreur sur votre fiche, décréta un jour la nouvelle assistante de Kurosawa, pas encore dans la confidence.
- Oui ?
- Mon écran indique 46 ans, alors que vous faite quoi… 25 ans au plus ?
Les fabuleuses transformations de son corps ne suffisaient pourtant pas à son bonheur. Cloitrée dans une chambre d’hôpital, astreinte au secret par l’équipe de neurochirurgiens, l’absence de contacts avec ses proches lui pesait horriblement.
Que pouvaient bien penser ses enfants ? Qu’elle les avait abandonnés, ou bien qu’elle était morte ? Comment réagiraient-ils à la vue de cette quasi inconnue ? À présent qu'elle paraissait à peine plus âgée que son ainée, accepteraient-ils de croire qu’elle était encore leur mère… ? Sa stupéfiante jeunesse, cette beauté éclatante mais usurpée, étaient au final des cadeaux empoisonnés la contraignant à vivre comme une paria, loin du monde.
Olivia décida d’organiser son évasion. Un soir, alors que Kurosawa officiait au bloc opératoire, elle subtilisa ses clefs et se glissa dans sa voiture. Une fois installée dans l’habitacle de plexiverre, le véhicule lui demanda où elle voulait se rendre. Olivia n’en avait pas la moindre idée, elle avait perdu tous ses anciens repaires. Du doigt, elle caressa la courbure du tableau de bord aux formes biomimétiques. Comme si un dialogue silencieux s’était établi entre elle et la voiture, celle-ci démarra aussitôt, s’élançant vers une destination inconnue. La « jeune femme » s’endormit tranquillement, tandis que le bolide filait sur l’autoroute.
Au matin, elle se réveilla au bord d’une plage qu’elle reconnut à l’instant. L’endroit exact où, 30 ans plus tôt, elle avait vécu une brève et folle passion avec un garçon qu’elle avait malheureusement perdu de vue.
Descendant de voiture, Olivia marcha sur le sable coloré par les lueurs de l’aube, les pieds léchés par les vagues. Après quelques minutes de balade solitaire, un autre promeneur parut au loin. Son cœur s’accéléra malgré elle, tout comme ses pas. La silhouette grandissait, Olivia commençait à distinguer les traits de son visage. Son cerveau lui répétait que c’était impossible, mais ses yeux ne la trompaient pas… Elle parcourut les derniers mètres en courant.
- Pierre !!!
- Olivia… C’est toi !? Mais comment…
Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Riant, pleurant, Olivia plaqua ses lèvres aux siennes en un baiser passionné, le faisant rouler avec elle sur la grève.
Merci pour votre lecture et votre appréciation. Ce texte répondait à un thème ("Rendez-vous involontaire" ), je souhaitais illustrer la notion "synchronicité" en partant d'une situation de départ complètement opposée de la fin, effectivement assez "guimauve" :)
· Il y a environ 11 ans ·hidden-side
Ah, ces thèmes imposés ... Mais du coup l'angle d'attaque est original, les nanobots c'était une chouette idée, et c'est vrai que je m'attendais plus à une fin qui dérive complètement.
· Il y a environ 11 ans ·hel
Je dois dire que l'histoire est assez prenante et bien rédigée, jusqu'à la fin un brin trop chamallow pour moi.
· Il y a environ 11 ans ·hel