Transparence
vasa
Je m'appelle Sarah Lebois, j'ai treize ans et je vis chez mes grands-parents, à Saint-André-de-la-Marche, depuis deux mois. A cause de mes résultats scolaires désastreux, je vais devoir passer un an chez les parents de mon père, dans ce minuscule village perdu du Maine-et-Loire. C'est censé me faire du bien, selon ma mère, mais je crois plutôt que je vais mourir d'ennui. Ça, je le pensais encore, il y a une journée. Mais à ce moment-là, je ne m'attendais pas du tout à ce qui s'est passé la nuit dernière... Ce soir-là, dernier jour des vacances d'été, par la fenêtre, je regardais, perdue dans mes pensées, la campagne qui entoure la vieille maison de mes grands-parents. Le lendemain, je devais intégrer un collège qui m'était encore inconnu, et cela m'angoissait un peu. Je décidai de sortir prendre l'air pour me changer un peu les idées et profiter de mon dernier jour de tranquillité. Derrière la petite route qui borde l'antique demeure de mes hôtes, il n'y a rien d'autre que des champs d'herbe jaunie à perte de vue. Traversant la route déserte et m'engageant dans une étendue de folles herbes hautes donnant sur le ciel assombri, je me suis assise sur le sol pour écouter le chant des grillons. Je suis restée là pendant un quart-d'heure, bercée par les stridulements des insectes. Et puis tout s'est arrêté. La nuit était à peine tombée, une brise fraîche soufflait, et pourtant je sentais qu'il y avait quelque chose qui clochait. Une étrange tension, presque imperceptible, qui flottait dans l'air... J'ai levé la tête. Une ombre noire pointait dans le ciel et se rapprochait de plus en plus vite du sol... J'ai crié, me suis levée précipitamment, ai trébuché...et me suis étalée de tout mon long dans l'herbe. J'ai entendu un bruit assourdissant, le crash de quelque chose de très grand et de très lourd, et le sol a tremblé sous mes pieds. Je me suis relevée, tant bien que mal en me bouchant les oreilles pour essayer d'arrêter l'insupportable sifflement qui me vrillait les tympans. J'ai failli m'évanouir en me retrouvant face à face avec un vaisseau spatial tout droit sorti d'un de mes livres de science-fiction préférés. Abasourdie, je contemplai, bouche bée, l'imposant vaisseau gris métallique bordé d'antennes tordues, de voyants lumineux clignotant dans la pénombre et de hublots symétriques, légèrement enfoncé dans la terre. « Est-ce-que je rêve?! », fut la première chose que je pus articuler. C'est alors qu'une porte de forme hexagonale, que je n'avais pas remarquée dans l'obscurité, s'ouvrit dans une fumée verdâtre, comme dans un film, sur trois silhouettes humaines. Une grande, une petite et une qui faisait à peu près ma taille. « Euh...Vous êtes des acteurs pour un nouveau film de E.T., ou est-ce-que vous êtes des aliens venus m'embarquer sans me prévenir avant ? », ai-je demandé d'un ton hésitant. Les acteurs /ou aliens se sont avancés dehors, dissipant la fumée verte. Une grande jeune femme se tenait face à moi. Belle, les cheveux blonds, elle avait de grands yeux sages d'une étonnante couleur violet vif, et arborait d'étranges moignons d'ailes jaunis, froissés comme de vieux parchemins et repliés dans son dos. Sa peau était presque transparente et laissait passer les lumières du vaisseau en travers. Elle était vêtue de plantes et de lianes entrelacées formant un improbable vêtement qui lui couvrait le corps et les pieds. A côté d'elle, un petit garçon aux yeux bleus et aux cheveux de la même couleur me regardait avec curiosité. Vêtu d'une tunique noire trop grande et les pieds nus, il portait de grands bois de renne sur le crâne. Le dernier personnage de cet étrange trio se trouvait à l'écart, flottant dans un manteau de fourrure brun et gris. Mon cœur manqua un battement lorsque je le vis. C'était un garçon de mon âge, aux yeux noirs, avec une tresse de cheveux rouge et deux cornes d'albâtre fichées au milieu du front. Qui étaient ces gens ? Ils m'avaient d'abord semblé être de simples personnes légèrement dérangées, surtout pour atterrir, ici, dans un vaisseau spatial. Mais leurs apparences n'étaient pas tout à fait humaines, et une aura irréelle émanait d'eux. Le garçon aux cheveux rouges me regardait bizarrement... Plus de doutes ; à la façon dont les « aliens » me fixaient avec étonnement, je sus qu'ils ne venaient pas de la même planète... « Qui êtes-vous ? », répétai-je. La belle jeune femme s'approcha de moi, jusqu'à se retrouver à cinq centimètres de mon visage. Curieusement, je n'éprouvais aucune peur.
« Je suis Ran. Tu es Sarah, n'est-ce-pas ? », me demanda la jeune femme d'une voix apaisante.
- Comment connaissez-vous mon nom ? », m'étonnai-je.
Elle sourit.
- Tu es celle que nous cherchions, dit-elle.
- Hein ?! »
J'avais l'impression d'avoir mal entendu. Que voulait-elle dire ?… Les deux garçons s'avancèrent à leur tour, d'une démarche étonnamment fluide, comme s'ils glissaient sur de la glace.
« Voici mon fils Lubi, et… Sendrel, présenta la femme ailée de sa voix douce. »
Le petit garçon aux bois de renne me sourit de toutes ses dents. En fait…on aurait plutôt dit des crocs. Je sursautai et reculai, un peu effrayée. Je me cognai contre quelqu'un ; je me retournai brusquement. C'était le garçon aux cornes, qui me regardait, une expression indéchiffrable sur son visage de marbre.
« Tu n'as pas à avoir peur de nous. Nous ne te voulons pas de mal, essaya de me rassurer Ran en prenant le petit garçon aux crocs pointus dans ses longs bras transparents. Lubi n'est qu'un petit enfant, tu n'as rien à craindre de lui. Il n'a que cinquante-trois ans, dit-elle en berçant son fils, déjà assoupi. »
Cinquante-trois ans ?! Là, c'en était trop. Qu'est-ce-qui se passait réellement ici ? Je n'avais pas vraiment l'impression d'être devenue folle, mais peut-être était-ce juste un mauvais rêve trop long et que j'allais bientôt me réveiller. Mais au fond de moi, je savais que ce n'était pas le cas. Si ce que je vivais était bien réel, alors… Alors cela me faisait peur, peur d'accepter le moindre changement dans cette vie trop calme. Si j'avais su ce qui allait m'arriver ensuite, j'aurais regretté d'avoir eu cette pensée… « Mais… D'où venez-vous ? Et pourquoi est-ce que vous me cherchiez ? Je… Je ne comprends rien ! Vous êtes… Vous êtes… », balbutiai-je, trop dépassée par les événements que j'étais en train de vivre pour finir ma phrase. Sendrel prit ma main dans la sienne. Elle était glacée, mais à ce simple contact, je sentis mon coeur bondir dans ma poitrine et se mettre à battre follement. Je sentis mes joues s'empourprer. Pourquoi est-ce-que je réagissais comme cela ? Je retirai ma main, un peu trop brusquement à mon goût. Les yeux noirs de Sendrel ne me quittaient pas, parcourus par les mêmes reflets verts qui illuminent mes yeux bruns. Il s'écarta, laissant la place à Ran. Je sentis la température baisser soudainement, l'air s'alourdir autour de nous, et puis soudain, je n'entendis plus que la voix de la nuit parler à mon oreille. Je ne réussis pas à comprendre les mots dénués de sens qu'elle murmurait, mais son timbre unique et merveilleux résonna en moi pendant de longues secondes. Le temps s'était arrêté. Le ciel s'illuminait, les sons montaient, et une forme floue flotta un instant devant moi, dans la lumière aveuglante d'un soleil inexistant. Elle était si proche, je n'avais qu'à tendre la main… Les larmes me montaient aux yeux, je ne savais même plus pourquoi. La ravissante extra-terrestre avait des ailes d'or et de feu, à présent. Elle leva une main translucide à travers les rayons du ciel, qu'elle posa sur mon front ; le ciel comme la main. Quelque chose explosa au loin. Ma vision se brouilla, des voix inconnues s'emparèrent de mon cerveau, et je me sentis tomber dans un tourbillon de couleurs, de souvenirs et d'étranges sensations mélangées… Puis tout devint noir. Quand je me réveillai, j'étais allongée dans le champ, et il faisait nuit. Les lumières s'étaient éteintes. Il n'y avait plus aucune trace des aliens, ni de leur vaisseau . Une chouette hulula près de moi, me plongeant dans une profonde réflexion sur ce qui m'était arrivé, et sur mon avenir. Je ne reverrai sûrement jamais ces êtres vivants venus de l'espace. Ni Ran, ni son fils. Ni Sendrel… Je levai une main tremblante sous la lueur de la pleine lune. Mes doigts étaient transparents. Je plongeai un regard nouveau dans les yeux violets et vifs de la chouette perchée sur un arbre, l'astre de la nuit brillant à travers ma paume. Oui, un avenir bien différent m'attendait...
Remarquable compte tenu de votre âge ! Et, confidence, je ne prise guère la SF... C'est vous dire !
· Il y a plus de 8 ans ·Ana Lisa Sorano