Travail préparatoire

nambul

Son reflet dans l'écran l'effrait. Il ne cesse de remuer sur sa chaise, l'immobilité l'use et malgré une obéissance permanente, il a perdu le sérieux de l'écolier et l'aplomb des statues. Il navigue sur son ordinateur, la page de faits divers, promenade virtuelle d'horreurs en horreurs mais le sourire en coin. Il travaille pourtant, regrettant de ne jamais céder à l'envie d'être ailleurs, faisant défiler les articles.

Morts, agressions, litres d'hémoglobine, des dizaines d'histoires glauques en puissance, un lot de terreur à changer en mots pour celui qui remue sur sa chaise. Le goût des explosions sur la langue, il tente de prendre la mesure des choses car tout ce qu'il lit est local, agrandir l'échelle semble impossible et l'imagination dit non. Baladé d'un extrême à l'autre, la stupeur, la désillusion, la terreur forment le premier camp, celui des gens sains d'esprit sans doute, peut-être. L'autre, c'est celui de l'évidence, celui qui prétend que l'homme a toujours tapé sur sa femme, que les flics ont toujours tapé sur les jeunes, que les cons ont toujours tapé sur les cons et qu'à part désespérer, on ne peut rien y faire. Les faits divers n'ont qu'une fonction, enfoncer les pieds des gens si profondément dans le sol qu'ils y demeureront. Les lâches resteront chez eux, les ignorants y verront une question de race, les ciblés se défendront vainement par écrans interposés et au bout du compte, tous auront peur.

Et lui, il écume des pages de désinformation pour raconter des histoires. Est-ce là le rôle qu'il doit jouer? Et puis, ce qui lui file la nausée, c'est ce troisième camp qui se dessine timidement. Celui qui chuchote qu'en fait, ces bribes de propagande détiennent peut-être quelques morceaux de vérité. Des morceaux qui dorment en tous. Ces anonymes pressés jusqu'à l'explosion sont nés quelque part, ils n'apparaissent pas du néant afin de commettre leur méfait. Et lui, il se sent menacé par l'explosion, parce que trouver de l'inspiration là-dedans, c'est déjà révélateur. Il ne se fera pas sauter le caisson à force de foutages de gueule mais il a l'intuition du pessimiste : ces pages de faits divers sont annonciatrices. Elles lui montrent les poids invisibles qui pèsent sur toutes les épaules et les assassins cachés derrière les anxiolytiques.

Alors il ne sait pas trop de quoi il va parler, mais ses hauts-le-coeur l'intéressent plus que la morale.

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