Traversée [Diptyque I]

--mephisto--

J’ai traversé, des vies durant

Des siècles d’amertume, des jungles sauvages

Entre feuilles blanches et papiers froissés de honte.

J’ai accumulé des instants à la beauté fulgurante

Car entre mes yeux plissés, je m’imprégnais du monde

J’ai caressé de mes doigts, effleuré avec mes sens

Des lueurs tamisées, des lendemains de tempête

Dégageant l’espoir d’un recommencement.

Happé par le tendre remous des vagues dociles

J’ai tenté mille fois la traversée ; mille fois j’ai échoué.

Dans l’écume poreuse, je me suis noyé ; on m’a ressuscité.

Je n’ai fait qu’une bouchée des horizons venant à ma rencontre

J’ai épuisé tant de montures, tant de souffle fut dispersé

Que par-delà les steppes infinies, mes yeux se sont ternis.

Et puis, j’ai écrit. Je me suis dit : « Tant qu’à faire, raconte un peu. »

Alors, face aux voyageurs égarés, j’ai énoncé :

« Je suis le phare et le prophète, le soleil et le blé.

Mon âme se projette sur vous, tels l’ombre et le vent ! »

Et que croyez-vous ? Qu’ils m’ont cru ? Qu’ils m’ont proclamé roi ?

Qu’en ont-ils fait, ces braves gens, de mes histoires, de ma mémoire ?

Décousues de part en part ?

Rien. Un souffle silencieux. Un refrain monotone. L’absence.

Alors, le frisson de la solitude s’est emparé de moi.

Alors, lentement, j’ai rangé ma plume, me suis allongé sur ce lit de paille.

J’ai levé les yeux une dernière fois, fixé le plafond. Le ciel.

Un ciel blanc, fissuré et impénétrable, qui me contemple et que je hais.

Et tandis que dehors, le vent transperce la nuit

Ici, peu à peu, la bougie s’essouffle, mon cœur se resserre.

On est un jour de tempête, et demain est encore loin

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