trente ans déjà
johnnel-ferrary
TRENTE ANS DEJA…
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Trente ans déjà qu’il n’était pas revenu dans le village. Trente ans, ce n’est pas une éternité bien sûr, mais tout de même, lui aussi avait changé. Il avait débarqué le matin aux alentours de huit heures trente, une valise et un sac à dos lui suffisait. Gare d’Austerlitz, gare de Coutras, cinq heures de trains en première classe. Pour la revoir, lui dire combien il l’aimait et qu’il l’avait toujours aimé. Certes, elle s’était mariée à un sale flic, l’un de ceux qui arpentent les nuits avec une lourde moto allemande. Il détestait les flics lui qui plusieurs fois, s’était retrouvé en cabane à cause d’un morceau de chiite acheté cinquante balles à un dealer de la gare de Lyon ! Cinq policiers dont une femme lui étaient tombés dessus. Pas la peine de résister sinon de grands coups de matraque en pleine gueule !
- Allez fils de pute, mets toi à genoux et sort ta camelote, lui avait lancé celui qu’on appelait le brigadier chef.
Bien sûr, il n’avait pas résisté et s’était agenouillé. Mauvais souvenir, mauvais trip cette soirée là. Il avait bu, s’était régalé des caresses d’une pute payé deux cent balles. Et voilà ce jeune type lui proposant un morceau de cette substance indélicate susceptible de l’envoyer dans les univers de son esprit convoyeur de balivernes ? Il avait accepté, filant son bifton au jeune mec qui lui, avait disparu dans les espaces insondables de la ville. Un bon morceau de flip, de quoi satisfaire sa nauséabonde destinée qui parfois, dégoulinait d’eau boueuse. Pourtant, il était un photographe de renom, quadrillant de ses objectifs, les silhouettes de ces vedettes du plein écran. Il avait connu Bardot, Demongeot, Cardinal mais aussi Dalida, Sheila et bien d’autres qui font la renommée de ces revues pour midinettes. Flash en boucle, black and white pelliculés, et un nom emprunté par on ne sait quelle sorte d’inspiration frauduleuse : John Lee WATT ! Ses initiales, en bas et à droite de la photo, promettaient le succès auprès d’un public gourmand de ces idoles mises au firmament éphémère de la gloire. Pourtant, au fond de lui-même, restait le visage si pur de cette jeune fille dont il aurait tant voulu qu’elle devienne son idole à lui. Trois reflex en bandoulières, il partait souvent à la recherche de la photo inédite, voire interdite par quelques sauvageons de la censure.
- John Lee, j’ai besoin de la petite starlette qui risque de devenir une icône dans quelques mois, aussi tu me tires quelques clichés de la môme assez croustillants.
Il avait souri et acquiescé. Ok boss, avait-il déclaré. Cette môme, l’une des remplaçantes de Piaf, accrochait le regard et les esgourdes d’un jeune public affamé par ces nouvelles stars montantes. Après tout, le monde avait bel et bien changé en ces années soixante ! A lui de jouer ses cartes et finir en haut de la pyramide en train de s’élever.
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Il l’avait mitraillé en pellicules crachant les courbes de la jeune femme. Toute la nuit pour la finir en corps à corps épuisés de jouissance. Mais les clichés se trouvaient là, sur des kilomètres de pellicules. La beauté de la fille s’étalerait par la suite, tout au long des magasines de modes. Lui s’en foutait, il ne pensait qu’à fuir ce destin dont il avait pourtant choisi le synopsis. Et là, s’imaginant seul dans cette gare de province, qu’allait-il devenir ? Serait-elle là à attendre sa venue ? Lui avait pourtant bien attendu toutes ces longues années avec l’unique espoir de se retrouver face à face, joue contre joue, lèvres contre lèvres. Il marcha vers la sortie où se plantait un contrôleur qui vérifiait les billets. Qu’il tendit à ce type costume cravaté casquette avec le badge de la compagnie des transports ferroviaires.
- Merci Monsieur, et bonne journée lui dit l’homme en uniforme.
Il n’a pas répondu, et il est sorti dans la rue. Trente ans, et tout avait presque changé dans son regard. Les murs non, mais les êtres oui. Des ombres devenues, des ombres qui dansaient dans les recoins de sa mémoire. Ils avaient trente ans tous les deux, et le voilà avec la cinquantaine d’une grisaille aux tempes. Il lui avait offert une promesse qu’il n’avait pu tenir.
- Je reviendrais bientôt, et nous serons réunis à jamais, je te le promets.
Parler d’amour n’est pas nécessaire lorsque les âmes se réunissent sous les flots d’un cœur battant la chamade. Certes, et ce n’est pas sans compter avec le destin qui ne cesse de jouer aux dés avec ce que nous sommes nous autres les humains. Tu lances le dé, c’est le six qui sort, tu deviens le patron du monde. Tu sors le deux, tu as une chance de survivre. Mais si jamais tu sors le un, alors là tout est foutu pour toi. Tu deviens le looser, celui qui n’est rien, à peine un corps qui se déplace le long de l’asphalte maudite. Qui ose te regarder sous ce monticule de cartons d’emballage, qui oserait seulement te parler pour simplement te dire un « bonjour » souriant ? Tu sors le cinq, tu as de la chance, te voilà aux manettes du pays, de son économie, tu peux aussi te payer le luxe de parfaire une mission apostolique dans une église, voire une cathédrale ! Le deux, le trois et le quatre, ouvrier en usine, infirmière en vase clos, patron de la multinationale qui fera naître la courbe ascendante du chômage mondial et universel. Ta vie se joue sur une partie de dé, tu ne le sais pas, tu crois à une partie de poker et bien non, juste un dé dans ta main que tu lances à la volée lorsque tu sors du ventre maternel. Pas de bol mon pote, t’as un sacré coup d’bol mec ! Et lui, qu’a-t-il gagné lorsqu’il a lancé son dé ? Pas de six non, pas de un non plus… Et en amour, un équilibre entre le trois et le quatre ? Marié, trois gosses, divorce. Pavillon de banlieue, puis chambres d’hôtels. Des vacances sur la cote d’azur, une pension alimentaire, deux ou trois maitresses pour éviter les putes du bois de Boulogne, de la place Pigalle. Il est devenu le photographe en titre pour les journaux qui vendent du rêve à celles qui ont tiré un deux ou un quatre.
- John, çà te dirait une place à Cannes, tu me rapporte les photos de Brigitte, je la veux en petite tenue.
- T’inquiètes Boss, j’ai le matos pour cela ! mais avant, je dois dans une petite ville où est née ma famille. Juste à peine cinq ou six jours, et je fonce à Cannes.
- Tu dois rencontrer une gonzesse là-bas ?
- Une rencontre avec mon passé d’il y a trente ans.
- Un flirt où un bon coup de baise, rigola son Boss.
- Pas vraiment, juste un certain remixage de mes souvenirs.
- Vas chercher tes billets pour Cannes et reviens moi avec de bons clichés John.
Mais là, plus question de la ville cinématographique mais celle de souvenirs devenus lointains et rongés d’espoir. On ne peut y croire, et bien trop souvent, vingt années sont plus longues qu’une vie entière. Dans ses yeux, elle est toujours présente. Silhouette de femme à la fois tendre et sexy, un sourire aux commissures des lèvres, une poitrine arrogante, cette voix qui faisait battre le cœur de l’homme. Il est là, désormais seul sur le parvis de la gare. Un taxi va quitter l’aire de stationnement avec à son bord deux clients. Des enfants jouent sur le trottoir d’en face. L’hôtel quatre étoiles fait face à la gare, il suffit de laisser sa valise dans la chambre louée, puis partir à la conquête de cette chimère qui hante son esprit depuis vingt ans. Il se souvient des lieux, l’endroit où ils ont fait l’amour la première fois. Sous un arbre par un bel été du mois de juin. Ils avaient dix sept ans, l’adolescence les brûlait, le désir foudroyant ces deux êtres, l’innocence allait fondre comme neige au soleil. Loin des parents, les deux corps avaient su mélanger le sexe avec amour éternel. Oh, ils ne s’étaient jamais vraiment quitté, certes, mais il a suffit d’une erreur de timing pour les rendre lointains et déchirés. La jeune femme de l’hôtel semble particulièrement agréable. Sourire charmeur, un joli corps femelle aux contours idylliques, et une voix douce.
- Bonjour Monsieur, bienvenu à l’hôtel Henri Quatre.
- Bonjour Mademoiselle, une chambre pour quelques jours. Je vais vous payer d’avance les deux ou trois jours qui arrivent. Auriez-vous un plan de la ville pour me donner ?
- Bien sûr Monsieur. En voici un. Puis-je avoir votre nom et votre carte d’identité je vous prie ?
- Bien sûr. Je suis Lucien DOVEL et je vis à Paris. Voici ma carte d’identité.
- Merci Monsieur. Voulez vous une chambre simple ou une suite ?
- Une simple me suffirait.
- Très bien Monsieur. C’est deux cent cinquante francs la nuit avec petit déjeuner. Il est servi à partir de huit heures. Vous payez combien de jours Monsieur ?
- Trois jours déjà.
- Bien. Cela vous fait sept cent cinquante francs.
John, de son vrai prénom Lucien, sortit son portefeuille et tendit les billets à la jeune femme.
- Voici les clefs de la chambre numéro quatre et celle de la porte d’entrée. Nous fermons à vingt et une heures. Vous n’avez qu’une seule valise pour bagage ?
- Oui, cela me suffit.
- Parfait ! Voici votre carte d’identité, vous n’avez plus qu’à signer votre fiche.
Lucien a donc signé la feuille sous son vrai nom. Adieu le photographe et voici l’homme amoureux à la recherche de son amour perdu. La femme le regardait en souriant. Elle le connaissait car elle avait déjà vu ce visage, mais où ? Sur le comptoir, un cadre et à l’intérieur, une photo. Celle d’une femme avec ses deux enfants. Lucien ne l’avait pas remarqué tout de suite, mais son regard avait glissé sur le miroir d’un passé révolu. Par contre, d’un cerveau habitué aux moindres détails, obligea son regard de se poser longuement sur cette famille d’où le père était absent. Et là son cœur se mit à battre. Oui, c’était bien elle, sa petite Laurianne au sourire tendre.
- Dites moi, vous connaissez bien cette femme, demanda t-il à la jeune fille.
- Oui, c’était ma mère !
- Pourquoi… C’était, s’inquiéta Lucien.
- Parce que… Elle est… Elle est morte l’année dernière.
- Comment cela, morte l’année dernière ?
- Oui, enfin, je ne voudrais pas trop en parler… C’est une souffrance qui n’est pas tarie.
- Je vous comprends, mais je suis venu ici pour elle.
- Pour ma mère ? Mais qui êtes vous ? Un parent ?
- J’ai toujours été amoureux de votre mère. Un amour d’adolescent qui est devenu celui d’homme. Je suis venu pour la revoir, lui parler. Ce que vous venez de me dire est effroyable. Trente années qui viennent de s’éteindre subitement. Puis-je tout de même savoir comment cette mort inutile ?
- Un accident. Un type totalement ivre au volant d’une grosse voiture, et ma mère qui traversait la rue. Il ne s’est pas arrêté alors qu’elle agonisait. Elle est décédée à l’hôpital de Bordeaux.
- Et ce type…
- Je ne veux pas en parler, j’en suis désolée. Votre chambre se trouve au second.
- Merci Mademoiselle, et toutes mes excuses de vous avoir obligé de vous remémorer tant de souvenirs qui hélas, deviennent les miens. Surtout cette annonce.
- Si vous le voulez, je termine bientôt. On pourrait boire une boisson ensemble. Je sais, je ne devrais pas, pourtant je crois savoir que ma mère ne vous avait pas oublié non plus. Elle me parlait quelquefois d’un Lucien qui était amoureux d’elle.
- Je ne sais si ce Lucien c’était moi, alors disons que je suis ce Lucien dont vous parlait votre mère. Je vous demanderais aussi des explications. Je veux savoir avant de repartir dans mon présent. Cette parenthèse est celle qu’ouvre mon passé. Il est en prison ce diabolique chauffeur ?
- Non, il vit ici, non loin de la gare.
- Je veux tout savoir Mademoiselle, je ne veux pas repartir sans réponse car c’est ma vie qui vient de s’écrouler. Tout un pan de mur qui s’écroule.
- Je vous comprends Monsieur. Pour nous aussi, c’est tout un pan de mur de notre famille qui s’est écroulé lui aussi. Mais on ne peut rien contre le destin.
- Je sais, sauf si les dés sont pipés.
- Pardon, questionna la jeune femme.
- On dit parfois que le destin joue aux dés. C’est une image, rien de plus ! Je monte, à plus tard.
Les escaliers sont revêtus de moquette, les murs sont de marbre, ou tout du moins parfaitement imité. La chambre est spacieuse, stylée. Il n’aime pas le style ancien mais cela n’a plus d’importance. Dans sa tête vient de fleurir une fleur que l’on déteste. Celle d’une vengeance sanglante. Il a toujours avec lui son arme, un colt 45 prêt à l’emploi. Il vient de décider que le dé concernant ce type, ce sera lui qui en décidera le chiffre. Le cinq, celui des doigts d’une main qui tient un révolver. La sienne !
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La femme n’a pas voulu trahir une forme de serment. Ainsi, Lucien ne sait toujours pas qui est le meurtrier de celle qu’il aimait. Ni son nom, ni même son profil. Mais son patron peut lui donner l’information qu’il cherche.
- Salut Boss, je téléphone de la gare de Coutras où je me trouve actuellement. L’année derrière, ici même dans cette ville, a eu lieu un accident meurtrier dû à un chauffard ivre. Trouvez-moi le nom de ce chauffard… C’est une information strictement personnelle, je sais… Il se pourrait qu’il s’agisse de l’un de mes cousins, vous comprenez… Bien, merci Boss, je vous revaudrez çà… Bien, je vous rappelle dans une heure… Merci Boss, à plus !
Maintenant, il va connaître l’identité de ce salaud qui par son alcoolisme, a détruit son seul espoir, celui de retrouver cet Amour unique après trente ans déjà ! Certes, tuer n’est pas facile, mais il se souvient de sa guerre dans les dunes et dans le sable du désert. On tuait, on mourrait pour sa liberté, pour le monde moderne, pour ce Dieu d’une inexistence prolixe. Lui a tué, il a faillit mourir sous les balles d’un ennemi qui est devenu son meilleur ami bien après d’une âpre discussion politique. Mais cela, ce n’est plus qu’un souvenir enfoui dans les mémoires qui sont chargées de souffrance et qu’il faut éteindre. Une heure, cela passe vite parfois, mais pour lui, cela ressemble à l’éternité. Il a donné le numéro de téléphone de l’hôtel, et il attend bien assis sur un confortable fauteuil Louis XV. Il boit un whisky sec, et regarde sa montre. La jeune femme se trouve derrière son comptoir et par instant, lui jette un regard furtif. Qui est vraiment ce type, que veut-il vraiment ? Son histoire est-elle réelle ? Et ce désir de vengeance, futilité ou non ? Elle lit sa fiche. Un nom, il lui est inconnu, et pourtant, il lui a avoué l’Amour qu’il voulait retrouver, a savoir sa mère ! Pourtant, jamais celle-ci ne lui a jamais parlé de ce Lucien ? Non, elle s’en rappellerait, ou alors sa mère cachait des mystères à ses enfants, ce qui n’est pas impossible ? Perdue dans ses pensées, elle imagine sa mère dans les bras de cet inconnu, et soudain, la sonnette du téléphone retentit. Elle décroche le combiné, dit « Allo… »
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Ce matin, il s’était réveillé de bonne humeur. A peine six heures trente, et le voilà debout. Une bonne douche, un cahier sur lequel il a noté le nom de l’assassin et son adresse. Certes, il eut la chance pour lui car bien qu’ivre, on lui a reconnu des circonstances atténuantes. Il n’a pas tué volontairement, et comme il était l’un des membres de la fraction actives du grand parti politique qui use les bancs de l’assemblée nationale, il s’en est bien sorti. Au grand dam de la famille de Laurianne ! Six mois effectifs, le reste à demeure. Il est vrai que personne ne l’a vu sortir depuis, comme si l’affront d’un tel désastre vis-à-vis de la famille de la femme semblait fortuit. A croire comme si cet homme avait quitté le domicile et le territoire ? Lucien a décidé de questionner la jeune femme. Il lui faut la description de l’homme, sa photo, il pourra ainsi surveiller la maison d’où il doit se terrer. Puis il ira devant lui, parler de la femme qu’il a tué avant de sortir son arme et le frapper mortellement. Seulement la jeune femme semble ne pas vouloir en parler. A croire que cet accident… Non, il se refuse de réfléchir à une telle perspective honteuse. Et pourquoi la fille aurait-elle manigancé un accident pour évincer sa mère ? Ou alors, elles étaient l’une et l’autre la maitresse de l’homme en question ? Jalousie, vengeance ? La fille fait tuer sa mère pour garder son amant ? Lucien veut la vérité, il l’a veut coute que coute même si il doit obliger physiquement la fille à parler. Oui, il suppose que la vérité est là, sous ses yeux. Il s’approche de la jeune femme.
- Dites moi, quelles sont votre relation avec l’homme qui a tué votre mère ?
- Oh non, il ne l’a pas tué, enfin je veux dire…
- Dire quoi, Mademoiselle ? Que vous étiez l’une et l’autre la maitresse d’un seul homme, et que vous le vouliez pour vous seule n’est-ce pas ?
- Mais Monsieur, comment osez vous dire…
- Allons Mademoiselle, un peu de tenue, je connais bien l’âme humaine croyez moi. La jalousie entre la mère et la fille pour un seul homme…
- Non, vous vous êtes trompé Monsieur. Ma mère voulait se présenter aux prochaines élections afin de devenir Maire de la ville. On l’a tué pour qu’elle ne se présente pas aux élections, mais il a fallu taire ce meurtre pour éviter tout scandale à la commune. Ils ont payé un type pour la tuer, puis ils l’ont fait acquitter par un jury acheté. Maintenant, quitter la ville Monsieur, désormais votre vie sera en danger dès qu’ils apprendront que vous connaissez la vérité. Vous aimiez ma mère, j’en conviens, mais elle avait changé. Rudesse, narcissisme, volonté farouche de détruire ceux qui voulaient l’empêcher d’accéder au trône du pouvoir, même minime qu’il soit ! Partez, quitter la ville, oubliez votre amour d’enfance car il n’est plus. Tenez, voici votre argent. Il y a un train en partance pour Paris dans quatre heures.
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Lucien n’a rien dit, et il s’est éloigné du comptoir mais a fait semblant de remonter dans sa chambre. Et la fille a décroché le combiné du téléphone et composé un numéro sur le clavier.
- Allo, c’est moi. Il est dans sa chambre. Oui, je lui ai raconté ce que vous m’aviez dit. Je crois qu’il est tombé dans le panneau… Oui, je comprends, il retourne à Paris dans le prochain train… Il sait que tout cela est la vérité, mais je me méfie de ce type… D’accord, je lui ai redonné son argent, il va quitter la ville… Oui, je sais, c’est à vous de jouer… Non, il ne devra jamais divulguer ce qu’il croit être la vérité… Je raccroche !
Lorsque le train a quitté la gare de Coutras, Lucien savait déjà qu’il ne reviendrait plus dans le village de son unique amour. La jeune fille lui avait-elle dit seulement la vérité ? Bah, à quoi bon chercher ? Dans deux jours, il serait à Cannes avec ceux qui fabriquent des histoires qui ressemblent à la vie. Le train est arrivé. Un compartiment libre, ce qui était impossible vu le nombre de voyageurs en partance pour la capitale. Mais il a choisi l’un de ceux où seulement trois personnes s’y trouvaient. Il s’est assis dans ce compartiment où se trouvaient déjà deux hommes et une femme. L’un des types fumait, l’autre lisait un journal. Il eut comme un frisson le parcourir. La femme tournait la tête vers lui. Une blonde platine, bien habillée, une sorte de bourgeoise qui devait rejoindre son amant à Paris ? Lucien la dévisagea lui aussi, et là, il s’aperçut qu’elle ressemblait à s’y méprendre… Non, c’est impossible ? Elle est morte n’est-ce pas, ou alors sa mémoire se jouait de lui ? A leur tour, les deux hommes cessèrent de lire et de fumer afin de porter leurs regards vers ce nouvel arrivant. Il comprit tout de suite et ferma les yeux comme pour attendre son châtiment suprême.
Johnnel B.FERRARY