Trésor

Joshua D.

La vie comme une feuille.

Fin Novembre

En cette fin d’année, les températures sont au dessus de la moyenne, mais toujours en dessous du seuil de tolérance de tout un chacun.

Dans le vent de novembre, parmi les feuilles brunâtres du vent de la ville, le bout de carton gris virevolte.
A quelques vingt mètres d’altitude, tout est différent. Il décrit des ellipses et des courbes dans l’air, mais malgré les bouffées et les espoirs, sa trajectoire tent indéniablement vers le sol.

Fabien regarde les voitures passer en bas. Elles sont pleines de cadres pressés et surement frustrés. Sans le savoir un morceau d’histoire, de son histoire, passe au dessus de leur tête.  Il les regarde souvent passer, dans la journée. Il parle à certains d’entre eux. Il a fait partie de leur caste, dans une autre vie.

Casser la routine meurtrière, c’est ce qui l’avait habitué, depuis quelques semaine, à ne plus prendre l’ascenseur pendant sa pause de midi. A la place, il prenait les escaliers de secours, prétextant quelque excuses à ses collègues, un désir d’exercice physique, pour se soustraire à ce groupe socialement convenu pour se faire la belle, quelques dizaines de minutes par jours, non pas dans la rue, mais au sommet du petit immeuble où loge l’entreprise qui l’employe.
Du haut du bâtiment, il avait, à l’aide d’une vieille caisse en bois savamment placée, aménagé sont point de vue sur son petit monde toxique : les bâtiments, ce boulevard passant, les gens qui y circulent. Il se sent étranger à ce spectacle brunâtre, ses codes, leurs motivations.
C’est pour ça que, quelques minutes dans la journée, il regarde les gens passer, en bas, sur le boulevard.

Le carton gris, déchiré, vole. Le vieux bâtiment, le bitume et le ciment humides, les feuilles mortes, il vole parmi tout ceci, dans le brouhaha de moteurs en contre-bas.

Fabien sent le vent, l’air, circuler sur sa peau. Les tourbillons soulèvent son caban, découvre la capuche de son sweat-shirt. En tirant sur sa cigarette, il sent le zigzag d’un larme sur sa joue.
Il observe le carton gris voler, d’abord pas très loin de lui. Il le suit des yeux parmi les feuille, le regarde partir. En s’éloignant et en perdant en altitude, le carton gris l’oblige à mettre un pied sur le rebord, pour que Fabien puisse suivre sa course.
Le carton touche le macadam froid et mouillé. Profitant d’une accalmie dans la circulation, il se couche sur le goudron, s’imbibe d’eau.
L’homme, en haut du petit immeuble, a les deux pieds sur le rebord. Il tire sur sa cigarette, les yeux rivés sur le carton en contre-bas. Bouffée sur bouffée, le regard fixé sur l’objet, il scrute l’objet qui ne bouge pas. A vingt centimètre du vide, lui non plus.
Les feux passent au vert, les voitures démarrent. La bouche ouverte, ses yeux ne perdent pas son objet du vue.
Concert de moteurs en accélération, de métal fuyant, de véhicules fonçant. Fabien perd l’objet des yeux et voit ses voeux d’avenir disparaitre.

Vingts centimètres.

Il tire longuement sur sa cigarette, regarde le ciel à sa vertical. Le regard dressé et les bras détachés du corps, il se sent seul, mais libre, détaché de tout.

Les nuages, le gris et le vent de novembre.

Face au vide, dans un position quasi-messianique, sur la pointe de pieds, il croise les doigts. Les yeux grands ouverts et regardant le ciel d’étain, Il se penche légèrement en avant.

Dans le passage infernal des pneus, plus bas, un bout de carton gris se fait malmener. Soulevé par le passage des autos, puis aplati, il se détruit, se soulève et se couche.
Sur une face du bout de carton gris déchiré, on peut y lire “Restaurant Le Trésor”, sur l’autre, un adresse très très loin d’ici.

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