Triste décadence
Mini Pouce
Triste décadence.
Celle d’une société prête à tout pour se sentir vivante. Pourtant il n’y a aucun doute sur nos pratiques, une lente autodestruction que l’on appelle vulgairement « expérience ». Nous sommes là tous les soirs, prêts à tout pour noyer notre existence dans ce verre bien trop vide, mais surtout nous sommes trop las d’y croire, déjà à notre âge.
C’est certain, nos parents auront fait leur possible, on ne peut pas leur reprocher, ils ont voulu nous élever avec amour, tenter de nous préparer à cette lutte pour la survie. Mais déjà eux n’y croyaient plus… Ils avaient bien compris que cette vie n’était qu’une belle façade et qu’au fond, ils avaient procréé des futurs monstres.
La société nous fabrique à son image, parfaite de l’extérieur mais complètement pourrie dans les entrailles. Nous sommes beaux et surtout nous avons cette arrogance que seuls les jeunes peuvent encore avoir, nous maîtrisons parfaitement l’art du paraître et pourtant… Pourtant à l’intérieur, nous manquons de tout, nous n’avons plus aucun espoir quant à notre devenir. Nous vivons pour vivre.
Alors chaque soir nous sortons comme des bêtes assoiffées de sang, le soleil s’est enfin couché nous devenons alors tous identiques. La lumière des lampadaires devient insuffisante pour nous nous distinguer les uns des autres, aux yeux des passants nous apparaissons comme des animaux, le visage blanchâtre, les yeux rouges et le corps complètement ébranlé par l’alcool. Nous traînons nos corps tel des zombies, de rue en rue, à la recherche de ce breuvage qui nous donne l’impression d’une seconde vie. C’est un peu comme un jeu, nous risquons cette gorgée de trop qui nous rendra malade pourtant nous savons qu’avec de l’entraînement nous pourrons toujours faire plus, toujours mieux dans la déchéance.
La nuit sera encore passée bien trop vite, comme un train sans gare nous aurons continué notre route sans savoir où déchargée ce trop plein de vie.
L’éphémère nous caractérise parfaitement, nous sommes cette société de consommation : « tout doit disparaître », dévoré en un instant, nous usons et détruisons tout ce qui nous entoure.
Nous traitons les autres comme nous traitons ces objets de consommation, on prend, on utilise et l’on jette. Une fois toute la vie aspirée nous repartons à la recherche du nouveau. Le bonheur nous fait peur, mais encore plus un bonheur sans ombre, un bonheur que rien ne semble arrêter. Par peur de dépendance, il est préférable de jeter avant, il faut juste consommer, y tremper les lèvres et découvrir ce plaisir sucré.
Ce soir encore je suis sortie bien trop tard de cette école qui a promis de faire de moi quelqu’un. Un quelqu’un que la société devrait respecter, un quelqu’un qui devrait avoir un métier avec des responsabilités et me permettant de gagner suffisamment d’argent pour nager aisément dans ce monde. Alors j’y crois de toute façon je n’ai pas vraiment le choix, il faut bien s’occuper, se fondre dans la masse et épouser le moule de cette existence de toute façon déjà bien trop formaté.
Mes rêves en poche, je continue d’avancer, en fait il faut que je corrige, les rêves de cette société, car en réalité nous n’avons plus vraiment le droit de rêver, car rêver c’est déjà se rendre compte de l’impossibilité de faire quelque chose. Toute notre enfance, on nous laisse miroiter, on croit bêtement que nous pourrons faire de notre vie un conte de fée, et puis un jour on comprend que finalement notre vie va se dessiner en fonction d’un panel de choix approuvé par tout un monde.
Sous prétexte que j’en ai un peu plus sous la caboche que certains, on m’a confié la lourde mission de montrer l’exemple, de faire baver les plus démunies. On me dit de suivre ce cursus scolaire, de réussir et de saisir l’opportunité du métier bien payé qui se cache derrière. Et puis après ça on me dit de fonder ma famille et d’entretenir à nouveau le mensonge collectif.
Aujourd’hui nous sommes encore jeunes et ce sentiment de révolte nous habite toujours, nous allons le sucer jusqu’à la dernière goutte, profiter de ce plaisir de vous choquer et de vous contredire. Juste encore quelques instants, juste encore quelques années avant que l’appel de la nature face de nous ces robots bien pensants, ces robots si bien formatés.
Mais pas ce soir, ce soir nous décidons de profiter encore une fois de la nuit et de tous ces secrets. Nous allons encore vous scandaliser, nous allons encore vous prouver que nous sommes vivants et que pour déjà il est trop tard. Vous avez pris l’habitude de nous en vouloir, de critiquer cette jeunesse bien trop délurée, pourtant elle n’a pas changé c’est la même depuis la nuit des temps. Une jeunesse qui veut vivre et vous narguer chaque soir. C’est un jeu entre vous et nous, vous en connaissez les règles, nous poussons les limites jusqu’au bord du raisonnable et vous de votre côté, vous jouez vos farouches et vos exaspérés.
Qu’il est facile d’oublier cette euphorie de nos jeunes années… on se sent un jour épuisé de lutter contre tous, alors on se range, on décide de notre place dans cette pièce de théâtre et on joue notre rôle comme de véritable pantins. C’est exactement ça la vie, un jeu de marionnette où la mort tire les ficelles.
Ce soir encore j’aurai passé quelques minutes devant mon armoire à réfléchir à la tenue la plus excitante, il est important de faire monter le désir ou en tout cas de le laisser croire. Mon maquillage est déjà parfaitement élaboré, une tenue de camouflage élégante pour ressembler à tous les autres.
Je ne vais pas mettre longtemps à retrouver mon clan, nos habitudes sont les mêmes depuis un moment déjà, nous agissons comme des chasseurs, en réalité nous sommes plutôt la proie dans cette société, car tout est fait pour provoquer l’envie et l’impulsivité. Nous craquons forcément.
Le premier verre est toujours délicat, il a ce goût un peu amer, celui de souvenirs déjà trop présents dans ma tête. Il vaut mieux le boire cul sec, après tout c’est la tradition ? Les autres passons sans trop d’épreuve et très vite on oubliera de compter. On sent la chaleur de cet alcool descendre dans notre corps et animer de vie quelques instants chaque organe de notre corps. Le feu brûlant de ce verre va faire renaître des parties de mon être que j’avais presque oubliées.
On vis sa vie sans visage
· Il y a environ 14 ans ·En changeant de masque avec l'âge
On vis sa vie en vies à vies
Et on s'avise en vitesse
De se trouver un alibi
Le temps d'une vie
Le temps d'une envie.
(Elisabeth Wiener)
Je trouve que ça colle bien à ton texte... et à la réalité...
amouami
Très beau, vraiment, c'est rare de capter ça... le texte donne envie de vous rassurer, de vous dire que la beauté existe dans tous les cas, quelque part dans les interstices du monde, même si face à toute une génération d'attardés le mot est un peu léger vain, et inutile. Je m'en vais faire un tour sur votre page :)
· Il y a plus de 14 ans ·Rébecca Brocardo