Triste HERCULE
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Triste Hercule
On m’appelle Hercule et avec ma mère je me bats contre le dieu des voleurs pour un bout de terre, le même où l’Hercule grec a jadis accosté dans mon pays.
On m’appelle Hercule parce que moi aussi j’ai mes douze travaux : je pêche, je laboure la terre, je porte l’eau, je monte notre restaurant pour touristes l’été, je démonte notre restaurant pour touristes l’hiver, je nourris les bêtes, je tiens la parabole dans la bonne direction pendant les discours historiques du souverain, je m’occupe de mes frères, je marie mes sœurs, je surveille mon père accro à l’opium, j’aime une espagnole et je me bas contre le dieu des voleurs depuis dix ans.
Je ne sais pas comment Hercule a fait ses travaux sans sa mère ; moi, je n’aurai jamais pu. En fait, je ne fais que 12 des infinis travaux de ma mère. Sans elle, je n’aurais été qu’un pauvre bougre. Avec elle, je suis un triste Hercule, triste parce que je ne suis que son ombre, parce que je ne lui arrive pas à la cheville. C’est elle la mère-courage. C’est elle qui est allée en prison la première pour avoir résisté à notre voisin, un petit blanc, riche mégalo qui veut tout acheter, la terre, la mer, les pierres et les âmes. C’est elle qui ne part jamais de sa terre, qui établit les stratégies, qui placent les troupes, qui avancent les pions, qui devancent les trahisons. Elle envoie ma petite sœur à l’école, mon petit frère faire le guet, mon père dans sa chambre, ma grande sœur à l’étranger et moi au four et au moulin.
C’est elle l’indéracinable. Rappelez-vous, Hercule ne tenait pas en place. Moi aussi, de temps en temps, je ne tiens pas en place. Moi aussi, je cède à l’appel du cœur, à l’appel de la chair, au besoin de m’évader. Alors, je vais voir ma maîtresse espagnole, mon amour impossible. C’est vrai que je n’ai jamais été à l’école, mais je parle couramment espagnol comme tout le monde ici. C’est vrai que ma maîtresse n’est pas blonde (je préfère les blondes) ; mais elle m’aime. Je suis triste parce qu’elle m’attend et que je ne pourrai jamais partir.
Elle pourrait venir, elle ? Mais, non. Elle ne pourra jamais laisser son Espagne de la Barça, des centres commerciaux, des belles voitures, des maisons chauffées, d’internet à domicile, des bars à tapas.
Elle pourrait venir, elle? Mais pour faire quoi ? Cuire un nombre incalculable de pains dans le four en terre, dehors ? Faire la lessive à la main de toute la famille ? Nourrir les bêtes ? Nous lire les innombrables convocations des gendarmes que ma petite sœur déchiffre péniblement ? Se battre contre les hommes de main du dieu des voleurs ? Aller en prison ? C’est triste, mais elle ne pourra jamais venir.
Triste Hercule, je suis revenu et j’ai repris du service ; à pêcher des pieuvres dans les rochers, à guetter les ennuis, à ignorer les petites lâchetés de mon père, à rester à côté de ma mère debout sur cette terre jusqu’à la fin. Triste Hercule, j’attend la mort du dieu des voleurs. Mais, les dieux ne meurent pas ! Si ce n’est pas lui, ça serait un autre dans ce grand far-ouest qui est mon pays. Triste Hercule, je sais que tous ces voleurs qui se prennent pour des dieux, se moquent de notre vie, ignorent l’esthétique de nous autres pauvres, saccagent la beauté de cette terre. Triste Hercule, je sais que c’est la descente aux enfers.
Ce texte est inspiré d’une histoire vraie au Maroc que vous pouvez connaître à travers ce film « HERCULE CONTRE HERMES » http://www.2m.ma/Des-histoires-et-des-Hommes/Des-histoires-et-des-Hommes/Hercule-contre-Hermes2