Trois cent millions

Jean Claude Blanc

A déguster ce texte des Frères Jacques, avec doigté évoquer cette lutte pour naître ce passage du néant à la vie...

                             Trois cents millions

 

Nous sommes trois cents millions massés derrière la porte

Trop serrés pour remuer, trop tendus pour penser

Une seule idée en tête, la porte, la porte, la porte

Quand elle s'ouvrira ce sera la ruée

La course à la mort la tuerie sans passion

Un seul gagnera tous les autres mourront

Même pas numérotés, seul un instinct nous guide

On nous a baptisés les spermatozoïdes

 

Le prix de la victoire, c'est une fille de joie

Nous sommes 300 millions et un seul l'aura

Elle se fout du vainqueur, elle ne choisit même pas

Elle se donne à tout le monde, mais un seul à la fois

Elle attend bien tranquille dans son palais douillet

Le confort y est total et les visiteurs discrets

Pas de nuit pas de jour, pas de bruit que l'amour

L'amour, l'amour, l'amour, l'amour, l'amour, l'amour

 

Nous bougeons lentement, faut pas s'ankyloser

Quand on est devant la porte, on voudrait s'arrêter

Si elle ouvrait maintenant je serais bien placé

Mais non les autres poussent ça y est, je l'ai dépassée

Et la ronde continue, la ronde des prisonniers

Mais ce que l'on attend, c'est pas la liberté

On ne se parle même pas, on garde les yeux baissés

On ne regarde même pas ceux qu'il faudra tuer

 

Soudain on s'arrête tous

Plus personne ne pousse

C'est l'instant qu'on attend

Très subtil le changement

On ne voit rien mais on le sent

Dehors ça bouge lentement

On espère on redoute

On bouge plus on écoute

 

 

Ça y est c'est parti, la porte est ouverte, c'est la ruée au dehors

Ne pas s'affoler, ne pas s'affoler, sinon c'est la mort

Pas partir trop vite, la distance est longue, faut pas s'essouffler

Déjà les premiers ont été massacrés, bousculés, piétinés

Ce qui se passe devant, c'est pas important, du moins pour l'instant

La mort vient dans le dos, le croche-pied vicelard et le piétinement

Le fouet bien en main, j'en vois un qui s'approche, je l'attends

Il est à ma portée, je me retourne, vlan, d'un coup de fouet le descends

 

Faut être attentif, tous les nerfs tendus, prévoir le danger

Tout ce qui se passe autour, faut en être conscient, sentir et frapper

Quand l'un tourne le dos, s'il est à la portée, on lui règle son sort

C'est la règle du jeu, la moindre pitié entraine la mort

Sacré nom de dieu, un coup de fouet à sifflé derrière mes oreilles

Mais j'dois être cinglé de philosopher en un moment pareil

Le fouet tournoyant, je cavale à mort pour me dégager

Le danger écarté j'reprends mon train, faut pas s'énerver

 

Déjà la moitié, les trois quarts sont morts, ça s'est clairsemé

On court plus lentement, on piétine des corps, on est fatigués

Courir, courir, courir, courir, courir, courir

Tenir, tenir, tenir, tenir, tenir, tenir

Ceux qu'ont la rage de vivre, n'y a que ceux-là qui tiennent

Maintenant on se bat plus, oh ce n'est plus la peine

Les mecs tombent un à un, morts avant toucher le sol

Exténués, épuisés, vidés, rincés, ras le bol

C'est bon se laisser choir, dormir comme les noyés

Mais ceux qui se laissent tomber, c'est pour l'éternité

 

Soudain je l'aperçois, il est devant mes yeux

Il est là devant moi ce palais merveilleux

J'arrive ma toute belle, encore un p'tit effort

Et je plonge dans la vie, en sortant de la mort

Mais non ne suis pas seul 2 mecs m'ont précédé

Tellement épuisés, qu'ils trouvent pas l'entrée

Je leur tombe dessus, les écrase, les bouscule

Je leur piétine la gueule, pénètre dans l'ovule

 

 

Que c'est beau, que c'est beau

J'entre dans un Paradis

Elle est là cette garce de vie

Pendant 9 mois entre elle et moi

Ce sera l'Eden, le Nirvana

J'suis vainqueur de 300 millions

Je sors du néant, j'ai un nom

C'est merveilleux l'existence !

Ça commence par des vacances !

 

Que c'est beau, que c'est beau

Je vais en jouir à plein de ces 9 mois sans problème

Tranquille baignant dans l'huile, sans amour et sans haine

Sans froidure ni chaleur, surtout sans société

Parce que les autres ces vaches, m'attendent à l'entrée

Tous les autres vainqueurs, ceux qui sont d'jà dehors

Ils m'attendent pour se battre, pour voir qui sera le plus fort

Ouais quand je sortirai, n'y aura plus de vacances

Pendant 70 ans la bagarre recommence !

 

C'est la vie….c'est la vie…c'est la vie

 

 

 

Février 2021 JC

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