Trois mots sans importance
aile68
Aligner trois mots sans importance, en français ou en langue étrangère, écouter mon père qui parle d'un coeur chaud du plus profond de lui-même, les mots sortent de sa bouche tels de petits pains chauds d'un four généreux et toujours ouvert. Sauver les âmes faibles d'un avenir douteux, utiliser des paroles nouvelles trouvées dans le livre d'une vie trompeuse qui apporte aux hommes tant de rêves et d'illusions perdues. Oui je suis la femme au langage étrange qui sublime m'a-t-on dit les sentiments et des pensées d'outre-tombe, la naissance du monde n'est qu'une histoire de genèse infinie, qui se renouvelle encore et encore, une création faite avec de petites mains d'artiste qui touchaient pour la première fois le terreau de l'imagination. Je suis faite pour une langue imagée, peut-être bizarre, mais personnelle, je suis capable de faire bien, de jouer avec les mots, de les entrechoquer comme les dés du hasard incertain. On m'a dit que je fais de longues phrases comme Proust, excusez-moi mais Proust ce sont des phrases à rallonge, des circonlocutions à se perdre, un dédale de pensées qui déferlent sur des pages et des pages de souffrance et de souvenirs maladifs. J'exagère à peine. Sauver sa vie, sauver la face, parmi la foule de questions qu'on se pose parfois quand on se réveille la nuit et qu'on ne peut plus se rendormir, alors on fait sa journée à la lumière du néon de la cuisine, une lumière blanche et crue qui se répand dans la pièce telle la douleur des âmes seules et endeuillées. Mince ritournelle, heureusement qu'on peut faire de la poésie en parlant, pour ceux qui rentrent du travail lorsque la nuit est bien épaisse, bien installée, le chocolat encore chaud les accueille, et les conduit tout droit à la chambre nuptiale. Sauver sa vie, sauver sa face, suivre le cours du fleuve abondant et généreux, se protéger des mauvais souvenirs, les livrer au fleuve comme un criminel à son geôlier, au juge qui évaluera sa peine, le reste de sa vie.
Se fier au vent, se fier au petit matin prêt à lever le rideau sur une scène inconnue, chausser ses lunettes pour apercevoir les lapins dans la lande, leur longues oreilles qui frissonnent comme des enfants qui s'en vont à l'école en récitant leur leçon. Semer des grains de blé, de poésie ou d'ortie, montrer un visage souriant au retour des champs malgré la fatigue, malgré la peur d'une sécheresse et d'une mauvaise saison, fonder ses espoirs en ses enfants qui grandissent et qui reprendront le relais, une passion pour une terre qu'on travaille et retourne pour la rendre bonne, généreuse.