Très courte nouvelle. Un homme fraîchement séparé se réveille et apprend qu'il est mort.
La soirée touchait à son terme. Simon ne tenait que difficilement sur ses jambes. Boire n'était pas dans ses habitudes, mais ce soir-là il n'avait entrevu aucune autre solution. Simon était désespéré, son existence qu'il croyait heureuse venait de prendre un coup si violent qu'il se retrouvait à présent titubant dans les rues. Pendant cinq ans son bonheur avait été complet, mais tout s'était écroulé en quelques minutes.
Quelques heures plus tôt, Annie, sa femme, lui annonça qu'elle quittait le domicile. Elle avait besoin de changements, à bientôt quarante ans sa vie devait prendre un nouvel élan. Simon était sonné, son incompréhension grandissait au fil de la discussion. ''Je ne t'aime plus. Paul et moi allons emménager ensemble.
-Paul? Paul notre voisin? demanda Simon terrassé par toutes ces révélations.
-Lui-même''. Simon détestait Paul. Un homme arrogant et qui affichait sa réussite sans vergogne. Des femmes différentes défilaient chez lui chaque semaine. Simon ne parvenait pas à comprendre qu'elle puisse le quitter pour cet homme. Sans doute avait-elle été flattée de l'intérêt d'un tel amateur de chair féminine. Il s'était enfermé dans sa bulle, il n'écoutait plus le monologue de sa compagne. Lorsqu'il reprit pied avec la réalité, Annie avait cessé de parler. Elle n'était même plus dans la maison. Les adieux étaient scellés.
Simon ne se souciait plus du chemin qu'il empruntait pour rentrer chez lui, cela n'avait plus d'importance. Son lit vide, son cœur meurtri, sa vie basculait dans un abîme de chagrin si profond que sa vie même n'avait plus d'importance. Les rues étaient désertes, ce qui amena Simon à penser que la ville s'était passé le mot pour ne pas assister à sa déchéance. D'habitude, un silence si prononcé l'aurait effrayé, lui de nature plutôt peureuse, mais ce soir-là il se sentait prêt à affronter n'importe quelle créature sortant tout droit d'une mystérieuse contrée maléfique. Gagné par le courage il se plaça sur la route et attendit qu'une bête motorisé surgisse prête à en découdre. L'attente ne fut guère longue.
Lorsque Simon se retourna, il fut aveuglé par un puissant jet de lumière. Aucun bruit de moteur n'était parvenu jusqu'à lui. Il n'eut pas le temps de réaliser qu'il venait de perdre le combat.
Simon ne se souvenait pas du retour dans son lit. L'alcool ne lui réussissait définitivement pas. Il ne fut pas épargné par la gueule de bois, il le comprenait mais, il n'arrivait pas à expliquer pourquoi des douleurs lancinantes s'étaient emparées de tout son corps. Ce corps maigre, flasque et d'une grande pâleur. En regardant de plus près son anatomie dans le miroir, il repensa à Annie qui était partie. Il ne faisait pas le poids face à son nouvel amant, mais il devait la revoir. La rupture avait été trop brutale, Simon tenait à clore ce chapitre si important dans sa vie, de façon plus douce. C'était décidé, il irait chez elle ce matin même. Il commença à s'habiller. Qu'il était douloureux de lever ses bras. Pourquoi diable ai-je si mal ? Je ne suis quand même pas passé sous un camion, pensa Simon souriant de sa bêtise.
Tout allait si lentement, les gens marchaient d'un pas traînant et tous le regardaient. Simon mal à l'aise avec tous ces regards décida d'accélérer. Tout à coup, il aperçut au loin un voisin avec qui il parlait de temps en temps. Simon n'hésita pas une seconde, il se mit à courir pour rejoindre cet homme qui pourrait peut-être lui expliquer tous ces étranges comportements.
Simon arriva haletant, exténué par cette course. Le voisin le regardait avec son plus grand sourire. Simon trouva ce sourire tout aussi étrange, car ce vieil homme ne souriait jamais. ‘'Monsieur Marr, je suis tellement content de vous voir, s'exclama Simon tentant de cacher son anxiété. Pourriez-vous me dire pourquoi tout le monde me dévisage ?
-Ne vous en faites pas Simon cela ne durera pas. Ce n'est que l'attrait de la nouveauté.
-Nouveauté ? Mais je suis né ici ! s'étonna Simon.
-Comme nous tous Simon, comme nous tous''. Monsieur Marr reprit sa marche tandis que Simon resta seul avec ses
interrogations. Simon comptait désormais sur Annie pour l'éclairer.
Quelle ne fut pas la surprise de Simon lorsqu'un jeune homme à demi nu ouvrit la porte. Ce jeune homme n'était pas Paul. Annie lui aurait-elle menti sur l'identité de son remplaçant ? Simon n'en voyait pas l'intérêt car il ne connaissait même pas ce nouveau visage. ‘'Annie est-elle là ? J'aimerais lui parler.
-Tu ne serais pas le nouveau ? demanda le jeune inconnu amusé.
-C'est une blague j'imagine et j'ai été choisi par la ville pour en être la victime, soupira Simon.
-Moi aussi au début j'ai eu du mal. Enfin comme tout le monde je pense. Bon je vais chercher Annie ne bouge pas''. Simon était agacé, cette impression que l'on se jouait de lui ne lui plaisait pas du tout. Quand Annie arriva face à lui, il fut submergé par une profonde vague de désespoir. Elle était si belle. Sans doute trop pour rester avec un homme comme lui. ‘'Simon je suis heureuse de te voir cela fait si longtemps ! s'exclama Annie réellement heureuse de le voir.
-Mais enfin on s'est vus hier… Simon eut un léger étourdissement par l'absurdité de sa situation. Malgré un léger doute, il en était sûr il n'était pas dans un rêve. Enfin, un cauchemar. Qui est l'homme qui m'a ouvert la porte ? Tu m'avais parlé de Paul.
-Oh avec Paul nous avons rompus peu de temps après ton accident. Je culpabilisais trop et il voyait une autre femme en même temps que moi. C'était prévisible ce n'est pas l'homme d'une seule femme.
-Mais de quel accident tu parles ? demanda Paul abasourdi.
-Avant ton arrivée ici voyons. Je ne sais plus à quand cela remonte, il faut dire qu'ici, tu as dû le remarquer, le temps n'a plus importance.
-Je…Je manque d'air, je ne me sens pas bien, je vais m'asseoir. Simon s'assit sur les marches de l'entrée. Mais où suis-je, que m'arrive-t-il ? suffoqua Simon.
-Mais enfin Simon tu n'as pas deviné ? Tu es mort''. Simon perdit connaissance quelques secondes après.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, Simon se trouvait face à son jeune hôte qui était encore torse nu. ‘'Seigneur, tu es bien réel, murmura Simon''. Son interlocuteur affichait un sourire niais. Annie arriva elle aussi. Elle n'était vêtue que d'une simple chemise pour homme. Elle prit place sur les genoux de son amant. Simon eut à cet instant l'envie de reperdre connaissance. Il avait beau se concentrer, forcer, rien ne se passait. Cette scène le dégoûtait. ‘'Je sais bien que je suis chez toi, mais vous auriez pu vous habiller plus chaudement, ironisa Simon.
-Nous venons de faire l'amour pardonne-nous, répondit une Annie enjouée.
-Wahou ! Hier tu me quittes et aujourd'hui tu me parles de tes prouesses sexuelles avec un inconnu. D'autres surprises ? demanda Simon ahuri.
-D'une part ce n'était pas hier Simon, d'autre part plus rien n'a d'importance ici.
-Oui car je suis ‘'mort'', plaisanta Simon''. Annie se leva et s'installa à côté de lui. Elle avait cet air tendre qu'il ne lui connaissait plus. Annie posa sa main sur son cœur et demanda à Simon de l'imiter avec son propre cœur. Il s'exécuta. Il ne sentait rien, aucun battement. Simon déplaça sa main espérant se tromper en la plaçant trop haut ou trop bas. Le choc fut rude. Alors c'était vrai, il était vraiment mort. Simon n'ouvrit pas la bouche, il se mit debout et se dirigea vers la sortie. ‘'Il s'y habituera, s'exclama Annie''.
Comment se remettre d'une telle révélation ? Simon était en colère. Pourquoi avait-il tant bu ce fameux soir ? Simon n'arrivait pas à s'acclimater à tous ces regards portés sur lui. Il aurait voulu se jeter sur l'une de ces personnes et extérioriser toute sa rage. Frapper jusqu'à se briser les phalanges. Mais au lieu de cela, Simon choisit l'apaisement et s'orienta vers un endroit calme et désert. Seul Monsieur Marr trônait sur le pont. Simon se décida à aller à son encontre. Ils restèrent silencieux
quelques minutes contemplant tous deux le paysage qui s'offrait à eux. ‘'Je ne voulais pas mourir, déclara Simon la voix tremblante.
-Comme nous tous Simon, comme nous tous.
-Pourquoi répétez-vous toujours la même chose ? s'emporta Simon. Monsieur Marr ne répondit rien. Mon cœur ne bat plus… Pourquoi sommes-nous là ? Cette nouvelle existence n'a pas de sens. Je n'ai aucune réponse.
-Comme nous tous…
-Ne recommencez pas ! explosa Simon interrompant son interlocuteur''. Monsieur Marr se tut et s'éloigna. Simon se laissa tomber au sol et se mit à pleurer.
Simon était couché sur la route. Après avoir erré toute la journée il n'avait pas eu d'autre idée que de se coucher là et attendre. Très peu de voitures circulaient en ville, mais Simon était prêt à attendre le temps nécessaire. Il ne voulait pas cette vie. Rien ne lui assurait que cela produirait un quelconque effet. Simon espérait que tout prendrait fin s'il mourrait une seconde fois. A vrai dire Simon couvait le doux rêve qu'avec ce suicide, il ferait peut-être le chemin inverse et reviendrait à la vie. Comment puis-je mourir si je suis déjà mort ? Simon se perdait dans toutes ses théories. Réfléchir ne servait à rien . Attendre. Voilà ce qu'il devait faire, attendre.
Rester éveillé devenait de plus en plus dur. Le sommeil était un facteur qu'il n'avait pas envisagé. Ses paupières n'arrivaient plus à rester ouvertes. Des bruits de moteur se faisaient entendre. Rêvait-il ? Il n'avait plus la force de vérifier. Les phares eux-mêmes ne parvinrent pas à le réveiller.
‘'Simon réveillez-vous. Que faites-vous allongé ici ?''. Monsieur Marr examinait attentivement le visage de Simon sous les premières lueurs du jour. Il l'aida à se relever. ‘'Monsieur Marr, je suis si soulagé de vous voir… Enfin de vous voir en vie. J'ai fait un effroyable cauchemar. Vous étiez là mais ce n'était pas tout à fait vous. J'ai cru que j'étais…
-Mort Simon ?''. Monsieur Marr se mit à rire, de plus en plus fort et d'une façon de plus en plus angoissante. Simon regardait son voisin avec terreur et réalisa que ce rire ne présageait rien de bon.
difficile l'humour noir. Une belle chute quand même.
· Il y a plus de 10 ans ·elisabetha