Tueuse

manoue

TUEUSE

Hop, hop, hop, adieu l’enfance solitaire de la rue de Rochechouart, bonjour vaches, lapins, cousins, poussins, bols ébréchés, planète Guy Lux, soupe et pissenlits, oncles et tantes la solidité, bonjour Vladislava, grand-mère totem.

Ma parenthèse d’été, de la poudre joyeuse comme du foin piquant les mollets, les champs libres pour crier, dévaler, crier, dévaler encore, bondir car nous sommes des mouches folles, des bêtes secrètes, mes boucles s’emmêlent, oh joie suprême, je ne prends plus qu’un seul bain par semaine. Ma mère me rase à la rentrée, me récure, me récupère, mais j’aime mon odeur d’été je proteste, elle me protège, elle est moi.

Là-bas, tout se joue, une portée burlesque, façon d’être, immense sur un tracteur, à la traine dans les andains, façon de faire, étirer les pis, charger les bidons, conduire le troupeau, surtout ça, regardez la, la manouche de Paris, elle fanfaronne au cul des vaches en chantant à tue-tête allez ho ho, allez ho ! Les garçons font mon bonheur, tourne petite sauvageonne de nos cœurs, les jours s’allongent, le labeur dure, séculaire, puissant.

Sylvain tombe dans la fosse à purin, Patou s’en fout, Philippe prend des raclées, Alain c’est l’ gros, Jean-Marc l’aîné. Il desserre le frein à main et valse la vieille 2CV dans le pré et vlan s’achève dans un arbre. L’un est sauf, l’autre abandonnée. Depuis la ferme, la carcasse se déglingue, force le paysage à relier nos traces.

Les grands scient du bois, sons aigus, vol de copeaux, l’après-midi s’étire, on glisse dans la citerne vide  avec Jean-Marc, messes basses, sursauts, on file à l’air , course-poursuite au milieu des poules, je lance cap’,  je sautille cap’, je dois avoir 6 ans. T’es cap’ t’attraper une poule ? Débandade quelle rigolade ! Ca glousse, ça file des coups de becs, bat des ailes, perd ses plumes, Jean-Marc à bout de bras triomphe.

«  Elles nagent les poules ? »

Derrière l’écurie, l’abreuvoir près des cages à lapins je m’en méfie un peu, beaucoup, l’eau coule claire mais les algues vertes flottent comme une chevelure démente, le fond mouvant, visqueux est une menace de disparition, gloups, à la trappe et la nuit silence. Mon Oncle Just prétend qu’un lapin a gobé la moitié de son index, je me doute bien d’un racontar ( un accident agricole, je l’ai su plus tard, mon grand-père a été écrasé par sa charrette, mon père dans le ventre encore de ma grand-mère ) n’empêche les cages à lapins j’évite.

Pétillement, ineffable excitation de l’expérience, la peur s’envole, l’oiseau est déjà dans l’abreuvoir, allez ho, nage, oui, on tape des mains, on encourage la leçon de natation, bravo l’animal, éclabousse, pousse tes pattes, hourra, on rit tralala, éclabousse, et puis plus rien. Poule d’eau, poule morte, panique. Ici, floutage et confusion. Mini film en super-8, des bras, des jambes et Vladislava, qui nous aide ou non à fourrer la poule au milieu du tas de purin, ou après elle nous découvre, honteux, merdeux, ou elle dit ou ne dit rien, le film crisse, zébrures et blanc. Plus loin on se cache dans ses plates-bandes, sa petite maison où une vierge change de couleur, le temps, où elle presse des fruits dans un bas, la meilleure glace du monde, où les couvertures et les robes de mes poupées sont des merveilles au crochet, ma magnifique, le jour de ta mort, mes dix ans, j’ai pleuré dix ans, ma force perdue.

Jean-Marc et  moi, accroupis, pénitents. Christiane, ma tante fétiche, nous tire de là. Deux foutues paires de baffes dans la peau.

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