Ultime recours

mlovesw

Est-ce qu’elle avait vraiment le choix ? Dans ce monde où pour baiser, il faut être baisable. Puisqu’elle le savait, qu’elle n’allait pas y arriver. Puisqu’elle le savait, qu’elle ne serait pas comme toutes ces filles. Dans ce monde où la société ordonne que, pour être normale, il faut être à deux. Mais elle le savait qu’elle ne rencontrerait pas l’homme qui allait la faire vibrer, l’homme qui la mettrait en règle avec la société, l’homme qui rassurerait ses parents, qui ferait rire ses amis, qui ferait jalouser ses ex et élèverait ses enfants. Elle le sentait au plus profond d’elle même, elle le sentait dans sa chair, de ces os trempés de cette certitude jusqu’à la moelle.

Tu sais toi ce que ça fait de ne pas être comme les autres ? Tu sais ce que ca fait de plaire et pourtant n’éprouver aucune réciproque à leur désir et à leurs sentiments ? Tu te sens minable toi quand tu rentres seule chez toi ? Tu te sens sale quand tu te forces à sourire à tous ces gens qui semblent être pendus à tes lèvres ? Est-ce que tu te sens mourir quand leurs yeux te déshabillent, que leurs mains te frôlent en cherchant à entrer en contact avec la moindre parcelle de ta peau ? Est-ce que t’as envie de vomir quand tu lis entre les lignes de leur discours, l’amour qu’ils te portent, ce même amour que tu ne ressentiras jamais pour eux ? Quand la colère colle à la peau, indélébile hargne contre la race masculine, qui transpire par tous tes pores jusqu’à les boucher de cette pollution mentale, jusqu’à en faire des comédons qui ne partiront jamais.

Elle a envie de se battre, de provoquer ces gens qui parlent trop et fort, d’en venir aux mains, de cracher ce qui boue à l’intérieur, de hurler dans leurs oreilles inattentives, de s’époumoner au beau milieu de la rue, de les choquer, de les bousculer tous ces petits gens bien à l’aise dans leur société, de danser entre le trottoir et la chaussée jusqu’à user ses semelles. Evacuer toute cette haine, cette énergie négative qui l’empêche d’avancer et de respirer à pleins poumons. Elle n’avait pas le choix.

Sa décision était prise. Elle savait que c’était la bonne et personne n’était en droit de la faire reculer. Le processus était déjà enclenché et rien ne pourrait l’arrêter. Laissez-la, décoller, planer, oublier, s’essouffler, ne plus respirer, avoir la tête qui tourne et les membres coupés. Elle est montée sur la chaise, ses deux pieds bien stables sur le bois couleur acajou. Elle a respiré. Deux inspirations fortes et profondes qui font tourner les petits globules au fond des alvéoles. Elle a tendu les bras au dessus de sa tête, a passé délicatement son crane dans le vide et a reposé la corde qui embrasse à présent le pouls dans son cou. Elle est restée quelques secondes en haut, ses paupières se sont refermées, laissant ses cils faire leur dernières révérence au reste du monde, sans trembler, sans un souffle ; a écouté les battements de son cœur défaillant. Vide. Puis d’un mouvement précis et assuré, elle a fait basculer la chaise en bois qui est venue heurter le sol dans un bruit net et sans résonnance. Elle a senti la corde se resserrer d’un coup, grappiller lentement les centimètres de son cou, cette corde venue récupérer l’étreinte violente qui lui appartient ;  et l’air s’échapper sèchement de ses poumons. Laissez-lui un moment, juste assez de temps pour que cette peur panique de l’asphyxie se mêle au doux désir que provoque la strangulation en elle. Savoureux mélange de ravissement et de détresse.  De la vie et de la mort. Laissez-la se débattre quelques instants, juste assez pour évacuer ce poison qu’elle porte et qui l’a bouffé tant d’années. Laissez-la essayer de capter la moindre particule d’air qui pourrait encore la sauver, tel un poisson la bouche béante et les yeux exorbités. Laissez les bruits de ce corps déjà mort percer le silence d’un cœur vide.

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