Un adieux sans aurevoir

rcclarence

Six heure du matin, l’obscurité colle encore au ciel de Bondi et je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Dans le taxi qui me mène à l’aéroport, le chauffeur me demande si je pars en vacances. La gorge nouée, je n’arrive pas à lui répondre. Dans le miroir de son rétroviseur, il m’observe sans comprendre. Pour cacher mon trouble, je détourne mon regard vers la vitre et je laisse Bondi défiler sous mes yeux.

La plage, ces joggeurs infatigables, le clan des Popeys sur-vitaminés dégoulinant d’auto-bronzant et les filles aux corps rutilants payés à crédit. En regardant la mer, je me dis que même les surfeurs avec leurs combinaisons néoprène moulantes et leurs jolies planches en plastique, vont me manquer. Les voir observer le large avec une moue de connaisseur, prêt à prendre la vague. Puis finalement s’élancer dans l’eau, pour recevoir leurs communions avec l’océan.

De l’autre coté, les cafés commencent à ouvrir. Dans presque tous, je me suis assise au moins une fois. Un sentiment de frustration me transperce. Je donnerai un empire pour être assise à une table autour d’un brunch, que dans ce maudis taxi en route vers l’aéroport. J’aime tellement ce repas qui se fiche des convenances. Il se moque du jour, de l’heure. Il donne un plaisir sucrée ou salée. En un coup de fourchette, il me libère des contraintes. S’arrêtant à tous les feux, le chauffeur n’en fini plus de sortir de Bondi. Je me sens partagée, j’ai envie qu’il se dépêche et je voudrais ne jamais avoir à partir.

Dire au-revoir, s’en aller, laisser derrière soi. Je n’ai jamais été douée pour ca. Surtout si je ne l’ai pas choisit. La ville file vite sous les roues du taxi.

Je regarde s’éloigner les immeubles mangeurs de ciel. Ceux aux pointes si tranchantes qu’ils transpercent les nuages et déchirent le soleil. Et leurs pieds, noir de la cohue travailleuse, semblent figés pour toujours. Je lui jette une dernière œillade à cette citée lumineuse, avant que le taxi sorte définitivement de la ville.

En un instant, ma respiration se bloque. J’ai mal. Tellement mal de prendre cette route aujourd’hui. Rentrer en France à toujours était un plaisir et pour la première fois, ca devient une obligation. Mes larmes sont sur le point de repeindre mes joues mais j’arrive encore à les contenir. Quand je relève la tête, je vois le tarmac défiler au loin. On ne va pas tarder à arriver à l’aéroport.

Le taxi s’arrête enfin mais je n’ai pas envie de descendre. Le chauffeur dépose ma valise sur le trottoir et repars sans un regard, juste en me jetant un « good day » automatique. Il l’ignore mais il n’y aura plus de bonne journée pour moi avant longtemps.

Je tire ma valise énorme à l’intérieur. A peine entrée, l’angoisse me tenaille. J’ai horreur des aéroports. C’est comme un purgatoire des airs. Ni vraiment ici, ni encore ailleurs, je me sens bloquée en partance.

Autour de moi, les gens se disent au-revoir en se serrant très fort dans les bras. Ils se lancent des promesses remplis de téléphones et de mails. Puis, plein de soupirs mouillants, ils se quittent enfin. Je les regarde faire, presque envieuse. Moi aussi, je voudrais qu’on me dise que tout va bien se passer. Le cœur lourd, je me traine jusqu’au comptoir d’enregistrement.

Comme une automate rompu à cet exercice, j’enregistre mes bagages, je tends tour a tour mon billet et mon passeport. Je passe deux fois au détecteur de métal parce que la peinture de l’agrafe de mon soutien-gorge a sauté.  Dans le rayon duty-free, j’achète une barre de chocolat Milka. Celle avec l’enrobage au lait et le biscuit croquant. Je prends toujours celle-là parce qu’elle me rappelle les gouter de mon enfance. Je sais que c’est bête mais je n’y peux rien, ca me rassure.

Je regarde ma montre, plus qu’une heure avant le départ. Finalement, je fini par me résoudre à me rendre en salle d’embarquement. Au milieu des cris d’enfants et des discutions feutrées, je m’assoie sur un siège vide. Pour moi, les salles d’embarquements du monde entier ont toutes la même odeur. Un écœurant mélange d’angoisse, de joie et d’excitation. J’ai pris des magazines pour m’occuper mais je tourne les pages sans m’intéresser aux textes. Je me sens à la fois vide et prête à exploser.

J’entends mon nom résonner dans le hall. Une voix chaleureuse me sollicite au comptoir d’embarquement. Là, une hôtesse me demande si je veux bien échanger ma place avec une autre personne. Un couple ne peut pas s’assoir à cote l’un de l’autre et madame en fait toute une histoire. L’espace d’un instant, grâce à ce couple, j’oublie pourquoi je suis là, alors j’accepte sans broncher. De toute façon, ca ne changera pas grand-chose à mon problème.

L’hôtesse me remercie chaleureusement. Désireuse de me montrer sa reconnaissance, elle entame la conversation et me pose la même question que le chauffeur de taxi. Est-ce que je pars pour les vacances ?

Aucun son ne sort de ma bouche. Je ne peux pas lui répondre. Je me mets à pleurer. Je ne peux plus m’arrêter. Consternée, la jeune femme ne sait pas quoi faire.

Je voudrais lui dire simplement que hier matin, ma mère m’a téléphoné, que je n’ai pas entendue le son de sa voix mais seulement ses sanglots. Je voudrais leur expliquer simplement que mon frère est mort dans un accident de la route et qu’aujourd’hui, je dois rentrer en France embrasser sa dépouille froide. Mais je ne peux pas, c’est au-dessus de mes forces. Quelque part au fond de moi, j’espère encore qu’il sera la pour m’accueillir à mon retour.

Je retourne m’assoir en ignorant les regardant surpris des autres passagers. Murée dans ma douleur je vais faire presque trente heures de vol pour dire adieux au frère que j’ai quitté il y a quatre ans.

  • Sympa cette tranche de vie, on part avec le personnage, on ressent un peu (autant qu'on peut) tout ce qu'il ressent... mais le seul bémol, attention aux fautes! ;)

    · Il y a environ 10 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

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