Un amour de Joseph Kessel

rosaleb

Je n'avais lu de lui que Le Lion. Et puis, d'une lecture à l'autre, j'ai redécouvert Joseph Kessel. Et sa vision très noire de l'amour m'a surprise, j'ai eu envie d'en parler avec vous...

N’y a-t-il pas d’amour heureux ? Les écrivains ont une grande tendance à dire « non ». Et, si l’on s’appuie sur la lecture de trois des plus célèbres romans de Joseph Kessel, la réponse est toujours et encore « non » ! Trois portraits de femmes. Trois drames. Trois issues dramatiques.

Dans Belle de jour, Séverine, pourtant mariée à un homme quasi parfait, se trouve incapable de gérer son désir autrement qu’en se prostituant et en se donnant à des hommes brutaux. Explorant la dichotomie éternelle entre la noblesse des sentiments et les exigences du corps, ce roman a fait scandale à sa parution en 1928. Rongée par la culpabilité, Séverine ne peut assumer ces deux versants de sa personnalité, par crainte du scandale mais surtout de perdre l’amour inconditionnel de son mari. Elle en arrive à tenter de faire éliminer celui qui pourrait mettre à jour sa double vie. Le mari, blessé accidentellement lors cette tentative de meurtre et infirme à vie, ne pardonnera pas à sa femme sa trahison. Finalement, l’héroïne renoncera pour toujours à ses besoins physiques pour consacrer la fin de son existence à laver sa faute. Tristesse 1-amour 0.

Beaucoup de culpabilité aussi dans l’amour qu’Elsa, dans la passante du Sans-souci, porte à son mari, interné en camp de concentration en Allemagne, et qu’elle avait régulièrement trompé du temps de leur vie de couple. Afin de se racheter, l’ancienne chanteuse à succès allemande, réfugiée à Paris, sans le sou, finit également par se prostituer afin d’aider financièrement son époux. Pas de plaisir à la clé, mais le sentiment de faire le bien, au péril de sa santé, de sa jeunesse, de sa fraicheur. Les sentiments de son mari, très purs au départ, et tout au long de la séparation forcée du couple, se transforment brutalement au moment des retrouvailles : la déchéance physique de sa femme, bien qu’héroïque, et preuve d’un amour inconditionnel, éteignent le désir. Reste la noblesse de l’amour… là encore insuffisant. Elsa avoue à son mari qu’elle s’est prostituée, non dans l’espoir d’être pardonnée mais de provoquer un soupçon de jalousie… et préfère mettre fin à ses jours plutôt que de vivre sans cette flamme. Tristesse 2- amour 0.

Et puis, il y a les amants du Tage. Kathleen est une femme beaucoup plus effacée qu’ Elsa ou Séverine et c’est bien malgré elle qu’elle exerce un pouvoir destructeur sur l’homme dont elle va tomber amoureuse, Pierre Roubier. Celui-ci a déjà tué une femme, sa femme, qu’il avait surprise en flagrant délit d’adultère et sa jalousie est maladive : il ne peut supporter l’idée que Kathleen a eu une vie de femme mariée avant lui. Malgré l’amour, malgré le désir, il n’y aura pas d’issue heureuse. Tristesse 3 – amour 0.

La messe est dite : que les femmes soient fautives ou non, elles semblent à chaque fois au cœur de l’échec amoureux. Elles sont torturées, elles souffrent par amour, par culpabilité et ne peuvent trouver le bonheur en couple. Les hommes, s’ils sont de nature plus simple au départ, souffrent par contagion et y perdent leur équilibre, leur liberté, leur santé et presque leur vie. Joseph Kessel raconte un conflit perpétuel entre le désir et l’amour, comme deux parties de nous totalement indépendantes et presque sans lien. Comme si l’un excluait de fait l’autre. Les couples installés ne peuvent de fait jamais être heureux. La jalousie de Pierre, puis la mort de Kathleen dans les amants du Tage les empêchent de vivre ensemble, les protégeant finalement d’une déliquescence programmée de leur couple. Il n’y a pas de solution heureuse : si le désir l’emporte, on perd l’amour. Si l’amour gagne, c’est le désir qui disparaît. Et au final, les héroïnes doivent choisir entre la mort comme Kathleen et Elsa, ou une vie consacrée à expier leur faute, une vie de remords comme Séverine.

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