un avenir tellement prometteur
johnnel-ferrary
UN AVENIR TELLEMENT PROMETTEUR
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La petite fille est morte. Personne ne sait pourquoi. J’ai voulu comprendre, j’ai voulu savoir, et la peur m’est venue pour me défier. Aucun ne savait pourquoi, aucun ne savait répondre, et j’ai tenté de lire autour de moi ces ombres qui la regardaient. Des visages tristes et muets ont répondu à cet appel sans réponse, des lèvres qui n’osaient à peine s’entrouvrir.
- Elle était notre avenir, pleurait une pauvre femme dont les guenilles touchaient le sol mité.
- C’est elle qui l’avait enfanté, me murmura un homme sans visage, des yeux couleur de brume, une bouche sans lèvres.
Alors je suis parti loin de ce lieu qui sentait mauvais et qui me répugnait depuis longtemps. Je savais où je devais aller pour le retrouver lui, et pas aucun autre. Ici, on l’appelait l’ancien, il était si vieux que chacun se demandait pourquoi il vivait encore. Lui, un si vieux, un si tellement ridé, mais une petite fille dont le regard donnait la joie dans chacune des tristesses exprimées. Lui parlait avec difficulté, si faiblement qu’il fallait poser son oreille tout contre sa bouche qui puait la viande tournée. Allait-il me voir et m’entendre, allait-il comprendre les questions que je devais lui poser ? J’ai marché le long du quai, et soudain, il m’apparut. Recourbé sur son ombre que faisait son corps enveloppé d’un pâle soleil. Là, sur le sol, cette ombre qui me regarderait en souriant. Je hais les ombres qui se moquent de chacun de nous, il faudrait les tuer, mais comment ? Je me suis approché de lui.
- Vieux, tu me reconnais à ma voix, tu m’entends ? Je veux savoir, je veux comprendre, dis moi ce qu’il faut pour que je puisse savoir pour déchiffrer cette mort soudaine ?
- Le destin, a-t-il répliqué, le destin et tu le sais, tu veux savoir donc il te faut connaître.
- Oui, mais dis moi alors ? C’est quoi le destin ?
- Tu es un jeune con, fous moi la paix, je suis vieux, j’attends de mourir et elle ne vient jamais, a-t-il grogné.
- Le destin bordel, parle du destin vieux ?
- Tu ne sais donc pas lire, tu ne connais rien des livres, alors tu ne pourrais rien savoir, tu ne connaîtras rien de rien, tu es un imbécile comme tout ceux de ta tribu. Vas te chier petit con !
- Tu te fous de ma gueule vieux, je vais te frapper, et tu auras mal, subitement mal.
- Apprends la lecture, et tu liras les livres que nous ont donné les plus vieux que moi. Alors, tu sauras et la vérité te sautera sur le regard, tu pourras devenir le maître des imbéciles, seulement la mort sera à tes cotés. Je m’en fous de ta mort, tu es un jeune trou du cul, tu es à l’image des autres, retournes d’où tu viens ou vas apprendre les mots des livres anciens. Vas, tu m’emmerdes avec tes questions.
Il laissa tomber sa tête sur son thorax et je crois qu’il s’est endormi. Je ne voulais pas le taper pourtant j’aurais dû le faire pour qu’il m’en dise un peu plus. Je l’ai quitté en me questionnant de l’intérieur. Il parlait de livres et des plus vieux que lui, mais où étaient les livres, et un livre, c’est quoi au juste ? Je ne sais pas. Le sable me giflait par moments, et j’ai caché ma tête dans mes mains. Je n’avais plus peur.
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Je me suis endormi, bof, ce n’était pas la première fois. Autour, du gris dans les nuages et du sombre dans ma tête. Oui, les livres, c’est quoi au juste ces putains de livres ? Cà ressemble à quoi ? Il avait dit que là-dedans se trouvait la réponse à toutes mes questions, il est vieux et fou ce type, des réponses dans ce que je ne connais pas ? Alors je me suis levé comme je devais le faire et marcher de nouveau. J’ai regardé le paysage, et je l’ai vu, si haute et si sombre, si majestueuse avec sa grosse tête d’épouvante. J’ai compris, comme par magie lorsque l’eau de la source au milieu de la cité sort de son abysse. Géante qu’elle était, plus gigantesque que je ne pouvais l’imaginer, si haute qu’elle voulait crever le plafond du ciel. Alors, je ne sais pourquoi, une voix à l’intérieur de ma tête vint me susurrer les mots nécessaires pour que je puisse m’approcher d’elle. La Tour du Devin, la plante inconnue qui siffle lorsque les orages grondent. Oui, vas à l’intérieur, me disait la voix de ma tête, et tu les trouveras comme tu trouveras la réponse de cette morte idiote. Je me suis approché, cela sentait fort le souffre, la chiotte que l’on ne nettoie jamais et qui pue la merde et la pisse. Sur le sol, des ossements, des animaux crevés, des crânes dépourvus de regard mais dont les yeux me lançaient des ablutions dantesques. Et devant moi, une ouverture, un escalier en hélix, de la puanteur et des morsures de sang coagulé. J’ai monté les premières marches, puis encore d’autres, et encore d’autres, je ne finissais plus de monter lorsque soudain, je les ai vu les machines mortes ! Si noircies, si grotesques, de gros yeux carrés qui ne voulaient plus voir ce monde dont elles étaient les maîtres absolus. Des centaines de machines mortes, et dans un coin retiré, quelques petites choses qui s’effritaient sous mes doigts. Oui, hurlait la voix de ma tête affolée, oui, ce sont les mots de la vérité, ce sont les livres, le vieux fou disait vrai alors ? Les livres existaient bel et bien la preuve, ils se trouvaient sous mes yeux, dans mes mains, dans la poussière qui s’élevait à chacune des fois où j’en prenais un pour en ouvrir le corps purulent. J’ai regardé les mots, je ne comprenais rien, sauf les images qui ressemblaient aux machines mortes. Et puis, bien après les premières pages, une autre citadelle encore plus gigantesque que celle où je me trouvais. Trop grande, tout en longueur, plusieurs tours élevées dans des nuages blancs et qui la surplombaient. Oui, je comprends, les livres ce sont des objets si fragiles que le temps les peaufine en lamelles de poussier. Mais les mots, je cherchais à comprendre les mots qui tous, se suivaient inexorablement. Alors, j’ai eu peur de trop savoir, de trop comprendre. J’ai toussé à cause de la poussière que lançaient les livres sur mon visage. Et ce visage se mit à me brûler, à me déchirer les cloques qui germaient les unes après les autres sur mon faciès de douleur. Mais j’étais heureux, j’étais aux anges car je venais de trouver les livres des vieux. Mais pour en faire quoi puisque la vérité semblait s’arracher à mon regard embué de larmes sauvages. Je me sentais vidé de ma substance cramoisie, j’allais redevenir un insecte butinant les cadavres tout chauds de ma désespérance. Les livres, la vérité, la réponse. Et si moi j’allais mourir à mon tour ?
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J’ai prié, je prie, je prierais de nouveau car le voile de la semence interdite se diluait lorsque mes yeux rencontraient une lettre, un mot, un vide, une ponctuation. Oui, peu à peu, je comprenais ce que me disaient les livres sans trop bien savoir pourquoi ? Ils étaient vivants ces morts de poussière ? La grande citadelle avait un joli nom crochu : CENTRALE NUCLEAIRE. J’avais l’impression que les livres me parlaient de leurs bouches invisibles mais qui murmuraient à ma pauvre tête remplie du vide interstellaire. Petit, écoutes bien, sois attentif, nous parlerons qu’une seule et dernière fois. La grande citadelle est la source mécanisée qui permet de soutirer à un minéral son sang et le donner aux machines qui vont vivre de ce liquide. Elles fonctionneront tant que la citadelle leur donnera son sang, et vous petites choses dont l’intérêt n’est l’égal que du néant, vous marcherez dans les rues de la cité. Mais si jamais la citadelle ne donne plus son sang, alors les machines mourront et vous ne saurez rien de votre avenir ni de votre présent ni de votre passé. Même la Tour ne saurait vous parler puisque les mots seront arrachés de vos plaintes, de votre orgueil, de vos bouches. C’est la tour la grande tête qui dirige la grande citadelle, mais si cette dernière se tait, la tour ne dira plus rien. Et saches que jamais il ne faudra vous approcher de la grande citadelle au risque de mourir dans les affres bucoliques d’un destin cousu de blancs linceuls. Que nul n’approche la grande citadelle sinon il mourra. Maintenant que se taisent les livres, les mots abscons devenus… Moi, je venais de me brûler le regard dans le souffre de ces livres de poussier gris. La petite fille n’était pas morte du destin mais à cause de la grande citadelle dont le sang impur glissait dans sa jeune empreinte dévoilée. Je venais de comprendre alors que je ne pouvais savoir tout ce qui m’entourait. Il me fallait retrouver le vieux et lui dire que les livres m’ont parlé dans ma tête. Un mot pourtant, s’était glissé dans mon cerveau de jeune con. TCHERNOBLYE ! Ce mot glissait devant mes yeux, il dansait la macabre farandole des morts qui vivaient au sein des ténèbres. Je redescendais les marches qui buvaient chacun de mes pas pour mieux m’aspirer la réponse à mes questions. La petite fille était morte à cause des émanations caustiques que dégageait la centrale nucléaire éteinte depuis des siècles, et qui vivait toujours. Elle devenait la tueuse muette de nos semblables qui n’en savaient rien, sauf que moi…
Oui, je sais, dis-je au vieux, alors parle moi puisque les livres ont parlé à ma tête. Tu dois dire maintenant sinon je te cogne ?
- Que veux tu savoir puisque tu sais tout ?
- Je suis né de qui et de quoi, et si la petite fille est morte à cause du sang de la grande citadelle, je vais mourir aussi alors ?
- Oui, bien sûr, c’est le destin de mourir nous qui sommes des inutiles mécaniques de chair ! Elle est morte, d’autres vont mourir, et toi tu mourras bientôt.
- Et toi, tu n’es pas mort, pourquoi ?
- Je ne suis pas comme vous, je suis un technocybérian évolutif, et qui est devenu à son tour inutile à la grande citadelle. J’étais programmé pour la manipulation des barres de minerai dangereux car les humains ne le pouvaient. Et là tires toi, ne me fais plus chier sinon je vais te tuer.
- Pourquoi me tuer puisque je vais mourir ?
- Casses toi branleur, je ne veux plus te voir, tu sais la vérité alors fous moi le camp. Ouste !
- Ok, je file, mais tu es vraiment un vieux machin pourrit.
Et je l’ai quitté avec l’espoir de ne plus jamais le revoir. Je savais pourquoi la petite fille était morte, pourquoi j’allais mourir. A cause du sang coagulé de la grande citadelle morte depuis bien longtemps. Le destin sans doute ?
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La route m’apparut bien sinueuse, et mon corps se balançait au bout de mes bras. Je souffrais, je me sentais tellement fatigué que j’ai dû m’allonger sur le sol craquelé. Là-haut, dans le ciel, le disque blanc venait de chasser la lumière si intense que nos yeux ne pouvaient la regarder. Partout de la ténèbre à volonté, faisant naître en moi l’inconfort de ma médiocre pensée. Je savais pourquoi j’allais mourir comme était morte la petite fille, mais aurai-je le temps de leur dire qu’à leur tour, cet avenir tellement prometteur n’était qu’un mensonge dans la bouche de notre guide. Oui, à quoi bon les sermons, les prières offertes à des divinités qui jamais ne nous entendaient ? La grande citadelle ne nous protégeait plus, elle se gavait de nos vie afin d’en repaître sa soif de chair tendre.
- Enfants, nous disait le guide, regarder autour de vous la beauté de l’avenir, nous sommes des élus que les anciens appelaient de leurs prières ! Ils nous ont bâtis la grande citadelle afin que nous ne puissions vivre a satiété. Aimons ce que les anciens nous ont offert, et prions dans leurs âmes qu’ils nous ont légué puisque nous sommes devenus eux ! prions enfants de la vie, prions enfants de ce futur comme ils nous le disaient.
Mais la petite fille est morte bien avant que la cinquième lune ne revienne chasser la lumière aveuglante sur ce ciel de nuages ternes. Alors, le sang de la grande citadelle est venu me caresser les os et la chair, et je me suis allongé sur le sol pour ne plus jamais me relever. J’ai attendu plusieurs lunes, j’ai attendu pendant de nombreuses fois que la lumière du ciel en vienne à me ronger les pupilles, et puis mes yeux se sont tus à leur tour. Une douce torpeur m’a envahi, et je me suis senti bien, parfaitement bien. En moi résonnaient les mots des livres de poussière, des mots comme centrale nucléaire, plutonium, danger, avenir incertain… Devant moi, toute grandit, la petite fille me tendait les bras.
- Viens mon grand frère, tu ne dois plus avoir peur, la grande citadelle nous protège, nous sommes en elle car elle a bu notre sang et manger nos corps. Viens, tu ne dois plus avoir peur, il fait bon ici près du vieux qui s’est endormi !
Il n’y avait plus de grande lumière aveuglante ni de disque de lune, mais une douce cloison lumineuse qui chantait dans mon regard. Cet avenir tellement prometteur venait de clore ma destinée. Je le savais maintenant.
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Johnnel BERTEAU-FERRARY est né le 19 Janvier 1953 à PARIS dans le treizième arrondissement.