Un chat dans la poubelle

Andrea Borgas

Participation au Concours Transfuge et Welovewords en Septembre 2010 sur le thème de l'Obsession. Inspirée d'un fait réel.



Tout a commencé par une vidéo diffusée mondialement sur le net.

Une dame, a priori banale, marche dans une rue et y croise un chat. Elle tend la main pour caresser le minou puis, après avoir regardé à droite et à gauche, l'attrape par la peau du dos et le jette dans la poubelle toute proche.

Le chat, une chatte nommée Lola, a passé 15 heures dans la poubelle en question, avant d'être récupérée par ses propriétaires qui l'ont retrouvée grâce à leur système de surveillance vidéo personnel.

La dame tortionnaire de chat, mise sous protection policière car menacée par les défenseurs des animaux, a expliqué que c'était « pour rire », une blague quoi.


De là, nous pourrions disserter des heures sur ces exemples flagrants de bêtise humaine : mettre un chat dans une poubelle « pour rire » ou braquer 24 heures sur 24 une caméra vidéo sur sa propre poubelle … mais ce n'est pas le propos.

Non, le propos est dans l'obsession que cette vidéo d'apparence anodine a déclenchée chez moi.

Et quand je parle d'obsession c'est parce qu'il s'agit bien du « symptôme se traduisant par une idée ou un sentiment qui s'impose à la conscience du sujet qui le ressent comme contraignant et absurde, mais ne parvient pas à le chasser malgré ses efforts pour cela » décrit par Wikipédia.


D'abord il y eu un cauchemar. Je me réveillais tremblante, mes yeux et ma gorge me brûlaient d'avoir trop respiré les vapeurs d'ammoniaque dégagées par mes excréments. Une éternité, c'est le temps que j'avais passé dans cette boite sombre, aux murs lisses auxquels il est impossible de grimper. J'avais essayé pourtant, avant que la fatigue et le manque d'air n'aient raison de ma persévérance. J'avais miaulé aussi, chaque fois que j'entendais du bruit à l'extérieur, de toutes mes forces et de tout mon espoir. J'avais finalement eu raison d'espérer puisque l'on était venu me sortir de là.

J'eus du mal à me débarrasser de la peur que j'avais ressentie mais je finis tout de même par me rendormir.


C'est le lendemain sur le chemin du travail que les vrais ennuis commencèrent.

En passant devant ma poubelle j'entendis un miaulement. Je m'arrêtais, tendis l'oreille et l'entendis à nouveau. Ma première réaction fut de me dire que j'étais une idiote encore marquée par son rêve de la nuit mais je ne pus m'empêcher de vérifier, au cas où. Je soulevais le couvercle et regardais à l'intérieur. Rien ! Bien sûr !

Je repris ma route. J'avais à peine parcouru cinquante mètres que cela se reproduisit, devant la poubelle de mon voisin. Je m'arrêtais de nouveau et l'entendis encore. Non !!!  Je ne soulèverais pas le couvercle ! Ce n'est qu'une hallucination auditive ! Il n'y a pas de chat dans cette poubelle ! Je repartis donc, bien décidée à ne pas me mettre en retard pour un délire passager.

Après sept poubelles, je ne tenais plus sur mes jambes, mes mains tremblaient et j'avais peine à respirer, la gorge nouée par l'angoisse. Et si … Si ce n'étais pas une hallucination. Si il y avait vraiment un chat enfermé dans l'une de ces poubelles. L'idée de le laisser vivre ce que j'avais vécu en rêve me tordait le ventre et j'avais la nausée. Je ne pus faire autrement que de retourner en courant sur mes pas et soulever tous les couvercles. J'arrivais au travail avec deux heures de retard et inventais une histoire de fuite d'eau dans ma cuisine pour m'en excuser. Je passais la journée à m'angoisser à l'idée de toutes ces poubelles que je n'avais pas pu vérifier, parce qu'elles n'étaient pas sur mon trajet. Je les voyais vaciller sous les tentatives d'évasion de leur prisonnier. J'entendais les miaulements assourdis par les parois de plastique. Je ne fus bonne à rien ce jour-là, incapable de me concentrer sur autre chose.

Je ne rentrais pas directement chez moi. Je me mis à explorer toutes les rues et ruelles, soulevant les couvercles, me guidant aux miaulements, ralentissant seulement pour ne pas avoir l'air trop « dingue » aux yeux des passants que je croisais.

La tombée de la nuit et le fait que je n'avais pas de lampe torche m'obligèrent à m'interrompre.


Ce soir-là, j'ai compris que je pouvais pas passer mes journées à soulever des couvercles de poubelles. En plus, je ne pourrais jamais y arriver seule, même à plein temps.

J'ai donc trouvé une solution. J'ai pris un mois de congés sans solde et investi dans une perceuse sans fil et l'accessoire qui va avec. Je perce des trous dans les poubelles, trois de chaque côté. Le chat qui s'y trouverait coincé pourra respirer et ses miaulements ne seront plus assourdis. Ainsi impossible de ne pas l'entendre et chaque habitant pourra contribuer à ma mission de sauvetage.

25 000 poubelles en un mois, c'est faisable ? Non ?


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