Un Chat Roux

eaurelie

Un chat roux, qui n'en a jamais vu?
Un chat roux dort sur son plaid. Boule de poils crème sur fond gris noir. Le chat roux dort, roulé en boule. Ronronne en rond. Un chat roux aux yeux verts. Des yeux verts qui ont vu tellement. Des yeux verts si semblables à ceux de la jeune femme qui se tient à côté de lui, puisant dans sa douce quiétude, une source bienvenue d'apaisement et de salut. Cette jeune femme, un peu perdue, entre les sens, les passages piétons, les ponts, les directions à prendre, les directives à suivre, les sauts dans le vide possibles, les chemins tracés sagement suivis. Cette jeune femme, homme, femme, elle ne le sait pas encore. Se sait femme mais, par refus, par gêne, par mal-être, s'imagine revêtue de testostérone et de virilité. Etrange, tout ceci. Etrange que cette perdition des genres et des identités. Etrange aussi que cette douleur sourde qui pulse en son sein. Sein si opulent. Si richement et si gracieusement donné par Mère Nature, à une femme qui se sent homme en elle. Elle vient là d'instaurer une vérité qui n'a pas fini de la hanter. Mais elle reste là, finalement, la main si fine, si petite, distraitement enfoncée dans le poil ô combien soyeux d'un chaton roux endormi. Elle reste là, à calmer les pulsations sourdes et profondes d'un coeur déjà rempli de vides et de douleurs. Ce genre perdu, elle le doit à un homme, un vrai, qui aurait voulu être femme. ils s'étaient bien trouvés. Puis il était parti. Devenu homme dans les bras d'une femme, pour de vrai. Mais pas elle. Alors, elle, déjà si fragile, a éclaté en milliers d'éclats de rêve. Eclats de rêve qui ont volé aux quatre coins de son être. Impuissante, elle s'est vue ravagée par la douleur. Ravagée par une douleur qui mangeait les descriptions, les mots, les idées même de douleurs à exprimer. Elle était emmurée vivante, au sein de chairs en feu, en organes déchirés, en plaies béantes. Hurlement silencieux d'une douleur qui n'a plus de mots à disposition, plus d'exutoires. Chairs à vif, elle a continué à vivre pourtant, bien obligée. Et dans la foulée de cette perte sanglante, s'est vue vivre son premier vrai décès. Puis un deuxième. Cette femme, qui se tient assise, la main dans les poils soyeux d'un chaton roux qui dort, est une survivante. Une âme vide, creuse, remplie de néant et de fausses joies. Une âme qui continue à sourire de ses lèvres gercées à la douceur d'un chaton roux qui n'a rien demandé à personne. Une survivante. Une enveloppe bien en chairs et en formes, mais fonctionnant biologiquement uniquement. Les émotions sont pour les forts. Elle n'en fait plus partie. Elle a rendu sa parfaite tenue de guerrière devant le désastre et la déroute de son armée de défenses. Eparpillées aux quatre vents, les défenses ont crié grâce et se sont éteintes. Les unes après les autres, garnisons après garnisons. Alors cette femme, qui de la main droite, caresse le poil soyeux d'un chaton roux qui dort, tient de la main gauche, un stylo. Un stylo qui écrit de nombreux mots, agrémentés de virgules, de points, de larmes, de cris silencieux. Cette jeune femme ré-apprend à parler. Petit à petit. Vivre, c'est l'étape suivante. Plus tard.
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