Un dimanche au chocolat-théâtre
the-others-and-us
Installez-vous, installez-vous
Allez-y, entrez
Les enfants devant, à l’arrière les parents
Elles ne veulent pas, elles préfèrent rester sur nos genoux
Impressionnées par le brouhaha des cris et des rires des uns
Des discussions post-brunch du dimanche des autres
Elle n’est pas très rassurée, elle sent la tension des excités du front
Les lumières s’éteignent progressivement
Chut!
Le comédien entre en scène, avec une petite mélodie enfantine en fond
Lumières chaudes, le soleil levant
Aujourd’hui il sera jardinier
Porte une chemise à carreaux, un chapeau de paille et des bottes en caoutchouc.
Quel cliché, ils nous suivent partout, en sommes-nous tous ?
Il apprend, ludique, l’art de cultiver
Il apprend, patient
Il chante le nom des fruits et légumes, et leurs couleurs
Tant bien que mal il essaie de se faire entendre
Lorsqu’il souhaite faire participer les enfants indignes de lui
En appelle 4, et 6 montent sur la scène
Il est vite débordé parce qu’aucun ne l’écoute
Son scénario tombe progressivement à l’eau
Comme l’homme attaché à la pierre qui coule au fond du fleuve
Et les parents ne bougent pas d’un poil
Pour remettre en place l’ingrate progéniture
Un audacieux du premier rang se met à escalader la scène
Il déclenche la folie de ses partenaires bouillants d’un après-midi
Qui tentent à leur tour de grimper
Grattent la scène à s’en arracher les ongles
Comme des prédateurs en cage et fous
Devant l’alléchante et juteuse proie
Je vis un véritable concert de rock en miniature!
L’artiste, las, se dit que son travail n’est en sécurité nulle part
Même dans cette tranquille banlieue ouest de familles aisées
Qui ont payé en solde leur ticket d’entrée
Les chiards auront éternellement les yeux rouges
Assoiffés de son sang d’homme de divertissement
La représentation se termine difficilement
Avec pour grand absent l’attention des enfants
Et déjà tout le monde se lève, s’habille et sort
«Merci à vous, cher public, et si vous voulez retrouver les chansons du spectacle oublié, achetez pour 10 euros mon CD»
Solitude trop bien connue de l’intermittent du spectacle
Cheveux toujours là mais grisonnants
La quarantaine entamée et des poches sous les yeux
Brillants de vivre son rêve d’enfant.
Il remballe ses accessoires fabriqués main en papier d’espoir
Et rejoint les spectateurs aveugles au goûter des morveux rois
Des mamans enroulées dans des colliers de perles
Importées du Pacifique pour les grands noms de la joaillerie
Des chemises et jupes bleues Versailles
Mocassins de peau et trop de parfums de luxe s’entremêlent
Quelques papas qui se sont fait coincer, regardent leur montre
Boit son chocolat au goût de théâtre, ignoré de tous.