UN DROLE DE SERIAL KILLER

hectorvugo

Depuis mon plus jeune âge, je trucide, j'élimine,  je supprime, j'exécute.

Tuer est mon loisir favori. J'exerce cette activité gratuitement pour mon plus grand plaisir. Un plaisir d'ailleurs qui va croissant avec ma progression dans cet art du meurtre.

 

Je suis sur le point d'atteindre l'échelle la plus élevée dans ce domaine, puisque demain je cesse d'assassiner  les lapins.

Je  vais zigouiller un homme.

Grand Dieu un homicide !!!

 

Que de chemins parcourus pour en arriver là.

 

Tout a commencé un jour, il y a longtemps. J'étais minot. Je jouais avec une tapette jaune. J'essayais d'imiter le revers à deux mains de Borg.

Je frappai dans le vide avec insouciance. Le centre de ma tapette percuta de plein fouet une mouche. La pauvre finit son vol contre le carreau de la fenêtre.

Avant même qu'elle ne reprît ses esprits, je l'achevai d'un coup sec. Son corps s'aplatit sur la vitre, laissant apparaître un minuscule amas rouge et noir difficilement identifiable.

J'aurais pu rester scotché d'effroi ou bien pleurer. Au lieu de cela, je pris un pied fou à être nez à nez devant le cadavre compressé de ma petite victime.

Un sentiment de puissance et d'infinie satisfaction s'empara de moi quelques secondes. Sentiment dont je garde, encore aujourd'hui, en mémoire le souvenir.

L'adolescence venant, j'oubliai les mouches pour me consacrer à un animal un poil plus délicat à faucher : le lapin.

Pour autant mon premier meurtre « lapinesque » ne fut pas le fruit d'une mure et longue réflexion.

Je le dus à la conjonction d'une déception sentimentale et du hasard.

Que de lignes jaunes ne franchit on pas par amour !

Je la dépassai allégrement à cause d'Alexandra. Elle me largua un vendredi 13 sous prétexte qu'elle préféra sortir avec un certain Maurice parce que je cite : « lui, il peut m'emmener au cinéma sur son scooter ».

Les dieux n'étaient pas avec moi. D'abord je n'avais pas les moyens de me payer un deux roues, ensuite la RATP était en grève.

Je lui avais proposé un plan B ultra romantique. Nous aurions dû faire le chemin à pied, couper à travers la rue piétonne main dans la main et  rejoindre la salle de cinéma.

Je fis la route seul avec mes souliers, marqué par le refus d'Alexandra, la tête –déjà- à nos souvenirs en commun.

La culture y occupait une place de choix.

J'avais connu Alexandra au CP. Un livre nous avait rapprochés : les aventures de Jojo Lapin. Plus tard, je l'avais embrassé à pleine bouche, comme les grands, un 24 décembre l'année de mes 13  ans. On avait regardé l'intégral des « bugs bunny » dans sa chambre.

Nous deux c'était du solide, une love story gravée sur l'écorce d'un arbre.

Et là patatra. Elle me quittait pour un boutonneux parce qu'il paradait sur sa vespa.

Je les vis, du dernier rang se rouler un patin longuement, incapable de fixer le grand écran avec attention.

Le film n'en valait pas la peine.

Pourtant son titre me marqua au fer rouge : Qui veut la peau de Roger Rabbit ?

C'était la fin de mon premier amour. Je lui dois ma vocation du tueur. Au lieu d'en vouloir aux femmes, j'en ai voulu aux lapins.

On se souvient toujours de nos premières fois, qu'elles soient amoureuses, professionnelles ou autres. On est capable de reconstituer l'enchainement des actions, de visualiser l'endroit où elles ont eu lieu.

Mes premières fois, je les garde pour moi.

Parfois je ressens le besoin de les évacuer quitte en à parler à des murs.

Combien de murs ont entendu l'histoire de mon premier lapin, celui que j'ai égorgé le samedi 14, 24 heures après qu'Alexandra m'ait quitté.

J'avais fait la grasse matinée ce jour-là. Cette phrase c'est pour la version officielle. En vérité, je voulais rester cloitrer dans ma chambre le plus longtemps possible, faire comme les jeunes japonais, qui pendant des jours, des mois, des années même se retiraient du monde, refusaient d'aller à l'école, de dîner avec leurs parents.

J'avais comme simple objectif d'oublier ces derniers jours pénibles en étant à l'abri dans mon univers.

Si j'avais eu des parents nippons, nul doute que je serais resté dans ma chambre. Ils n'auraient pas osé bousculer ma vie privée

Ce phénomène de réclusion voulue est fréquent à Tokyo et déplace beaucoup de psys occidentaux.

Seulement j'occupais la chambre d'un F3 d'une ville de banlieue et ma mère n'en avait que faire de mon projet saugrenu.

Le steak allait refroidir. Papa, lui s'en moquait un peu de toute cette histoire, du moment que j'avais de bonnes notes à l'école et que la prof' principale ne désirait pas le voir, il me laissait tranquille.

Maman me sortit de la chambre littéralement par les oreilles, à l'ancienne comme ces institutrices nous tirant les lobs parce que nous n'avions pas appris nos leçons.

C'est physiquement douloureux  pour la victime, mais très efficace.

Je n'en garde aujourd'hui aucune marque, seulement une certaine reconnaissance.

Le repas fut expéditif et silencieux.

Alors que je m'apprêtai à regagner ma chambre juste après le dessert, ma mère m'en interdit l'accès.

-          Tu as vu le temps qu'il fait. Sors un peu

-          Pour faire quoi  maman ?

-          Voyons Marc, on peut faire tant de choses dehors. Je ne sais pas moi, va à la bibliothèque, lis un bouquin.

-          Un bouquin ?

-          Un livre si tu préfères.

-          Bof. Pas envie

-          Même une BD ?

-          A la rigueur.

-          Tiens, tu vas rendre celui-ci à la bibliothèque

-          Maman me tend un livre de poche. C'est quoi ?

-          Un roman policier d'Agatha Christie

-           Je lis la couverture. Drôle de titre Maman…

-          Ah bon

-          Quand même. Un cadavre dans la bibliothèque

-          C'est juste. C'est une habitude  chez Agatha Christie

-          J'aime bien ce genre d'habitude

-          Allez file

 

Il fallait prendre le bus, traverser la ville, et descendre au dernier arrêt. Autant dire une expédition pour moi. Je n'avais pas l'âme d'un aventurier. Je ne dépassais jamais les limites de mon quartier. Par facilité mais aussi par souci de rester au plus près d'un territoire connu.

La bibliothèque se logeait dans un château blanc en lisière de la commune, à vrai dire un hôtel particulier du 19éme siècle avec un vaste jardin.

J'y entrai par la pointe des pieds, intimidé par l'endroit. Trop grand, trop vaste, trop vieux. On y sentait l'odeur des livres anciens, une odeur hybride de poussière et de renfermé. La bibliothécaire était aussi âgée. Elle avait le physique d'une vieille fille, le haut du corps prisonnier d'un chemisier gris fermé jusqu'au col, les jambes cachées par une jupe longue noire. Son visage à peine identifiable se cachait derrière une vaste paire de lunettes en verre fumée, de sorte que son regard restait un mystère.

C'était préférable, car si sa voix avait été le reflet de ses yeux, son charme aurait eu la valeur d'une monnaie de singe.

On l'appelait Madame Bastien. On avait peur de lui adresser la parole. Elle avait le ton sec en toute circonstance.

Elle vous aurait lyophilisé un mot d'amour.

Entre nous, ce fut le service minimum : Bonjour, Bonsoir.

Je lui rendis le Agatha Christie. Elle opina du chef sans un sourire.

Quelle terrible tête de gondole pour vous faire détester la lecture !

Elle y réussissait à en croire la faible assistance. Faible ! J'étais optimiste. C'était presque le néant, à part peut-être un stagiaire ayant pris le livre de poche à peine restituer pour le ranger.

Je pensais avec amusement au titre du bouquin d'Agatha : un cadavre dans une bibliothèque.  Il n'y avait personne à assassiner. Pas un lecteur un livre à la main dans les couloirs, pas un étudiant assis à une table prenant des notes pour un exposé. Le vide, le chômage technique pour un tueur à gage.

Seule Madame Bastien paraissait la victime désignée. Quoique… avec une telle dépouille, il était difficile d'en faire un roman. Pour elle,  une nouvelle suffisait.

 

J'avais rempli ma mission. Je pouvais partir. D'ailleurs je partais.

Quand j'entendis la voix de Madame Bastien crier : Maurice viens ici !!!!

Cet ordre ne m'était pas destiné. Je m'appelais Marc. Elle devait se tromper. Je marchai vers la sortie.

Elle insista : « Maurice au pied !!!! »

Ça devenait gênant.  Je n'étais pas un chien tout de même. Et puis Avais-je donc une tête à me prénommer Maurice ?

Je me retournai et fus sur le point de réagir.

Ma bouche s'ouvrit sans émettre un son devant la scène surréaliste que j'observai.

Un lapin blanc rechignait à rejoindre Madame Bastien.

A ma connaissance, le seul animal accepté dans une bibliothèque était le rat.

Et encore…..

C'était un sobriquet que l'on donnait aux assidus de la lecture.

Mais voir un lapin ici, c'était une grande découverte.

Maurice ne se laissait pas domestiquer aussi facilement. Malgré les ordres de sa maîtresse, il resta stoïque, la narguant même, pointant son nez en sa direction, l'air de dire : ma vieille si tu crois que je vais venir, tu peux te brosser »

Madame Bastien sortit une botte de carottes. L'animal changea d'avis. Il courut vers elle. Maurice était corrompu.

Maurice avait un double désavantage : je ne pouvais pas encadrer son prénom. (le type m'ayant piqué mon ex copine s'appelait comme ça) et c'était un lapin ( le totem de mon histoire avec Alexandra).

Bref, je lui en voulais à mort. Je crevais d'envie de lui faire la peau. Dommage, il était mignon, avait le pelage tout doux, le regard assez craquant et ce petit caractère qui l'aurait rendu irrésistible.

Si seulement madame Bastien ne l'avait pas appelé Maurice.

A quoi tenait la vie de ce lapin quand on y pense. A rien. A son prénom, à sa présence dans un endroit ou jamais il n'aurait dû être.

Un lapin ça loge dans une cage à Lapin pas une bibliothèque !!!!

Maurice mangeait avec appétit  et acceptait d'être caressé. Madame Bastien était donc douée de tendresse. Cette découverte adoucit mon regard sur elle.

Les deux s'entendaient bien.

Drôle de couple, l'amour donnait à voir des choses qui dépassaient l'entendement.

Ce n'était pas l'heure de s'attendrir. Maurice finissait sa dernière carotte. Il avait oublié les caresses de Madame Bastien. Il l'ignorait complétement. La reconnaissance du ventre foutait le camp dans la satisfaction de l'estomac.  Du moment qu'il avait obtenu ce qu'il cherchait, l'animal se moquait du reste.

En cela il ressemblait aux hommes

Sur le présentoir à côté d'une boite de fiches et d'une pile de livres, la bibliothécaire avait laissé un cutteur.

Trop occupée avec Maurice, elle ne me vit pas le prendre et le planquer dans la poche de mon blouson.

J'avais en ma possession une arme blanche, l'arme d'un crime dont je savais qu'il serait proche dans le temps. Il me suffisait d'attendre l'instant propice.

 

Maurice faisait le pied de grue face la fenêtre, au fond du couloir ou se logeaient les auteurs de la lettre A. Au lieu de dévorer Aragon et Aristote, le lapin jouait les concierges. Il regardait le parc. Des enfants couraient dans les allées et un vieil homme promenait son chien.

Ils étaient loin, trop sans doute pour être les témoins oculaires de ce que j'avais l'intention de faire.

Je fus résolu à agir malgré mon cœur qui s'emballa. Plus j'approchai de Maurice, plus j'entendis ses battements. J'avançai à pas de loup, glissant sur le sol. Puis, je saisis l'animal par les oreilles avant même qu'il n'aperçût mon reflet par les carreaux de la fenêtre.

Ma victime entre les mains,  je rasai les murs slalomai dans les couloirs, atteignis le hall et la sortie sans être vu.

Un vrai miracle.

Il existait un saint protecteur des meurtriers en herbe. Il veilla sur moi,  me guida tel un gps vers une arrière cours ou j'égorgeai Maurice péniblement. Un vrai travail de sagouin. Encore heureux que j'eus la présence d'esprit de le suspendre  au-dessus d'une grande poubelle. Ca pissait le sang. Je lâchai la dépouille d'un coup sec en fermant les yeux et balançai le cutteur. Un bruit étrange me noua la gorge : celui du frottement convulsif du corps de Maurice sur une paroi. La vie le quittait  en sursaut. Puis plus rien. Le calme, le vide.

J'étais délivré d'un poids et emplis d'un sentiment d'immense satisfaction qui irradiait mon corps, identique à cet état de jouissance qui vous traverse après l'amour et ne vous quitte que progressivement.

J'avais les doigts maculé de sang.  Je remerciai ma mère, à ce moment-là, de me forcer en toute circonstance d'avoir dans mes poches un paquet de mouchoirs en papier. J'en sortis deux pour m'essuyer les mains, puis les jetèrent dans la benne à ordures

 Je fis un rapide inventaire : Mon polo noir était souillé d'hémoglobine, mon pantalon et mes chaussures  n'en avaient aucune tache.

Je pris le bus de retour dans un état presque normal, prenant soin d'attacher mon blouson jusqu'au cou et de mettre mes mains dans les poches.  

Arrivé à l'appartement, je le trouvai vide. Mes parents avaient laissé un mot sur la table de la cuisine : « Ne t'inquiètes pas mon chéri, nous sommes partis en course »

Le saint protecteur des meurtriers en herbes venait de me porter à nouveau secours. Je quittai mon polo noir et le mis dans le sac de linges sales.

Au milieu des tabliers et des chemises sanguinolentes de mon père, il n'avait pas l'air suspect. J'avais oublié de vous dire qu'il travaillait dans une boucherie (encore une œuvre du saint protecteur des meurtriers en herbe).

Quelques semaines plus tard, après avoir visité une ferme ou trois lapins gambadaient, je fus pris d'une soudaine envie de les égorger.

A la question de ma mère, « tu veux quoi pour Noel ? », je lui répondis spontanément : « un couteau comme celui de papa ».

Mes parents crurent à ma vocation de boucher, ils ne firent jamais le lien avec l'assassinat des trois lapins de cette ferme le jour de l'épiphanie.

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