UN ÉCLAIR BLEU BLANC ROUGE

Edgar Fabar

Quand mon train-train déraille.

De toutes les choses étranges qui ont précédé le départ du TGV prévu à 6h58, il y en a une que je n'ai pas vue venir. À l'angle de l'Avenue Jean Médecin se dresse un modèle de boulangerie contemporaine : caisse automatique et design de station service. Elle se trouve plus exactement sur l'Avenue Thiers, à quelques mètres de la gare. Avenue Thiers dont on omet souvent de préciser le prénom du récipiendaire, à l'inverse de Jean Médecin, que l'on dit toujours d'une traite. Certains prénoms sont comme rayés de la carte. Eh bien, c'est ce qui est arrivé à Monsieur Thiers : son prénom a subi une catastrophe nucléaire, et comme les abords de Fukushima, il restera longtemps infréquentable. Même encore aujourd'hui, on évite de dire à haute voix ce prénom radioactif, de peur d'être contaminé ou d'avoir un enfant moustachu au faux air de berger allemand ou de Marlene Dietrich. Alors, Adios Adolphe et va pour l'Avenue Thiers, tout court. Mais j'ai déjà trop parlé, et il faut encore que je vous raconte l'histoire d'un éclair bleu blanc rouge, car c'est après seulement, que je pourrais finir ma nuit. Mon devoir de mémoire accompli, nul doute que je dormirais enfin comme un amnésique.

Accoudé au comptoir en plexiglas du « Moulin de Nice », j'attendais que des touristes hollandais choisissent le croissant qu'ils s'apprêtaient à vomir à la voie A. Pile-poil sous la plaque commémorative où la République Française fait amende honorable des persécutions contre l'humanité commises par le « Gouvernement de l'État français » en 1940-1941. Dans la vitrine, je cherchais avec quoi j'allais réveiller mon estomac. En douceur de préférence, car l'ogre dormait encore le bougre. Mais comme de juste, je pense un truc et je fais l'inverse. Quand j'ai vu cet éclair bleu, blanc, rouge, cette pâtisserie patriotique qui semblait peinte à la bombe, mon sang républicain n'a fait qu'un tour et j'ai dit comme ça à mon estomac assoupi : « désolé gros, aujourd'hui ce sera fanfare et marseillaise ».

Attention au départ. La sommation venait de retentir quand le petit batave a déposé sa gerbe au pied du monument de la voie A. Il était 6h56. Pourvu que j'aies le temps, ai-je pensé, me levant d'un bond. J'ai avalé les marches du train quatre à quatre. J'ai failli chuter à cause du dégueulis, mais je me suis relevé et quand le sifflet du contrôleur s'est fait entendre, j'ai réussi à placer mon éclair tricolore au centre de la flaque de vomis, sous la plaque qui nous demandait de ne jamais oublier. J'ai repris ma place et j'ai regardé Nice qui s'éloignait sans crier gare.

C'était beau quoiqu'un peu tôt, mais quand ces choses-là arrivent, elles ne demandent pas quelle heure il est, elles demandent juste qu'on les remarque et que l'on ne les oublie jamais.

Paris, j'arrive ma belle.

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