Un été pourri.

petronille

Mado a sorti le pansement. Marc l’a mouillé avec le mercurochrome. Et l’autre, Je veux pas, ça va faire mal ! Une chochotte, ça saignait presque pas, à croire qu’il avait juste envie de me faire gueuler dessus. Ses parents, toujours en train de le surveiller. Attention, ils lui répètent. Et à moi, que j’aurais pas dû l’emmener sur les rochers, il est trop petit, tu comprends ? Il était content, pourtant. Un crabe, un gros, avec des pinces… même que mon doigt… le salaud ! Je l’avais sorti de son trou avec un crochet que j’avais trouvé derrière une cabine pourrie. L’autre, le chouchou à sa maman, il est rudement fier de venir avec moi. Quand tout va bien. Pas s’il dérape sur les algues, avec les rochers dessous. Bon, il a glissé. A plat ventre le con. Il gueulait, il se tenait le genou, peut-être cassé, Mado va me prendre la tête… elle a couru tout de suite, lâché son bouquin dans le sable, fourré son môme dans ses bras. Pas contente.

Déjà qu’elle me prend en vacances, je devrais être gentil, raisonnable et tout. Moi je l’ai pas forcée. La maîtresse m’a dit Tu en as de la chance, des gens qui pensent aux autres enfants, c’est mieux que la colonie. Je suis pas si sûr. Marc il dit Au lit à 10 heures, et Mado elle fait pas souvent des frites. A la colonie y’avait des frites. Et de la purée mousline. Sa purée, à Mado, je l’aime pas.

Il a un pansement, comme s’il était à l’hôpital. Et vous restez bien tranquilles, maintenant, c’est d’accord ? Il veut jouer aux petits chevaux. Un jeu pour les mômes. Il se la pète parce qu’il sait compter. A cinq ans. Moi, à cinq ans, je savais ouvrir la porte de l’armoire fermée à clé. Celle où la mère range le chocolat et le lait en tube, celui qui coule dans la bouche tout sucré. C’est Kevin qui m’a montré. Un bout de fil de fer, c’est fastoche. Kevin me montrera d’autres trucs, il m’a promis.

Les petits chevaux, c’est vraiment grave. Compter j’aime pas trop. Pas la peine d’être en vacances si c’est comme à l’école. Mais Marc et Mado ont dit Vous jouez gentiment, le temps que le genou s’y catrise. La plage c’est mieux. Comme chez moi quand je descends dans la rue. Pas la mère sur le dos. Ici ils sont deux, ça fait beaucoup. Je crois pas que j’aurai envie de rester jusqu’au bout.

Les pique-niques c’est un truc idiot. Du pain avec quelque chose dedans. Moi j’ai ça tous les soirs, pâté ketchup. Ou mayonnaise en tube, encore mieux. La mère quand elle rentre elle est trop fatiguée, elle dit, pour faire à manger. Je savais pas qu’on mangeait chez nous comme chez les riches. Mais nous, au moins, on met la télé. Ici faut un coin avec de l’herbe, une couverture par terre pour pas se salir, Mado regarde le ciel et dit Comme c’est beau la nature ! Marc fume sa cigarette, Une seule mon chéri, tu m’as promis d’arrêter, et puis il s’allonge et roupille. Moi je m’emmerde, je dis On va aller faire une cabane. Ne vous éloignez pas trop, promis ?

Avec leur pique-nique à la con, on a raté le noyé. Les gens en parlaient à la pharmacie où on s’est arrêté le soir, acheter du nouveau pansement. De la réserve au cas où. Déjà que la cabane on avait pris des risques. Marc a dit Faut bien qu’ils s’amusent. Le noyé ç’aurait été mieux. La sirène, les pompiers sur la plage, tout comme à la télé. J’ai dit Moi je voudrais voir un noyé. Marc a dit C’est pas beau à voir. Mado a dit C’est pas un spectacle pour les enfants.

Il en a eu marre des petits chevaux, et du 1000 bornes, et de ses autres jeux débiles, il a dit mon genou ça va. Mado a dit Fini de chercher des crabes, vous restez près de la petite piscine, tiens, viens mettre tes flotteurs. Il a l’air malin, avec ces trucs orange autour des bras. On a passé la rangée des parasols où les filles se font bronzer les seins à l’air, avec les mecs qui leur tartinent de l’huile dessus. La piscine, de l’eau même pas aux genoux, juste bon pour des mioches de cinq ans. C’est nul. Je me suis assis sur le rebord, quoi faire ? Et si je pissais dedans, pour voir ? Plein de mômes sont remontés vers la plage. Pas le mien, trop fier avec ses brassards. Je lui ai dit Je te montre un nouveau jeu, couche-toi dans l’eau. Il a hésité, je l’ai un peu poussé, Mais si c’est drôle, tu vas voir. Et puis j’ai mis mon pied sur sa tête. Pour rire. Comme le jeu du foulard dans la cour à l’école, quand le surveillant regarde pas. Lui il connaissait pas le jeu, il bougeait, j’ai dû appuyer plus fort, il arrêtait pas de gigoter, avec ses bras et les flotteurs orange qui s’agitaient au-dessus de l’eau. Il trichait, c’était plus drôle. Je l’ai lâché. Mais même ses bras s’étaient arrêtés.

C’est comme ça que j’ai quand même vu un noyé, cet été-là.

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