Un express pour l’(e dés)Amour ?

elcanardo

Une nana hors du commun, un tempérament de feu, des yeux de braise, un visage lumineux, un coeur en flammes, une chaleur hispanique... Badaboum..badaboum.. fait le coeur quand je laisse mes pensées errer dans la nature, enfin dans ma nature. Ce nirvana, ma quête de la femme parfaite est devenue pour mon équilibre mental et sentimental un danger permanent. Plus que jamais, aujourd'hui, j'en suis convaincu. Une fois cet idéal atteint, l'incendie menacerait, la fournaise m'étoufferait, la flambée pourrait bien être l'ultime, l'embrasement serait sans aucun doute fatal. Oui mais voilà... J'ai tellement passé de temps à souffler sur les braises pour maintenir l'illusion de la rencontre suprême (chaque jour de plus en plus improbable) que je ne connais plus la chaleur des flammes, l'incandescence du sentiment d'aimer comme si j'étais naturellement devenu amnésique. Comment m'y prendre ? Saurai-je encore plaire ? J'ai chaud. Une fable apprise il y a longtemps ne cesse de tourner en boucle depuis ce matin...

"- Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ?

- Nenni." (*)

Quatre ans de vie de célibataire m'ont laissé le temps d'imaginer, d'espérer, de fantasmer mais aussi maintenant de redouter ce que pourrait être une vie à deux avec moi dedans. Mes échecs nombreux en la matière ont été autant de tempêtes, elles ont fait de moi un naufragé des temps modernes, à la recherche d'un ciel sans nuage. Difficile aujourd'hui d'avoir un regard neuf et neutre sur ma propre situation. C'est pour cela qu'il m'a semblé opportun de partager mes doutes avec Jean-Paul. Noctambule invétéré et beau parleur notoire, on le dit terriblement efficace dans le domaine de la séduction. J'ai testé mais je ne sais pas encore si j'approuve. Suite à un bref exposé de ma situation, m'accordant gracieusement quelques minutes de son temps précieux, il a été expéditif... Petit clin d'oeil à mon attention que j'ai supposé complice, il m'a déclaré, sans nuance : "- Aucun problème, j'ai ce qu'il te faut. Evry, restaurant La Nacelle, samedi prochain, le 25 à 19h30. Habille toi cool, propre et sois à l'heure... Fais moi confiance, ça va tomber !". Une carte glissée dans ma main, il a enchainé par un mouvement d'épaules pour "rechausser" sur sa frêle carcasse sa trop grande veste zébrée de blanc et de noir. Nouveau clin d'oeil enrichi d'un petit sourire de côté, il m'a gentiment écarté du bras me laissant ainsi comprendre que l'entretien était terminé. Un autre gars, l'air nigaud, apparemment tout aussi désemparé que moi s'est alors dirigé vers lui. Rideau. Le petit prospectus vantait une soirée "speed dating" ("recontres rapides") en préparation durant laquelle "des célibataires vont se retrouver sur des sons électro dans une ambiance de folie"... (sic) ... "Et la tendresse, bordel ?" (**)

"- M'y voici donc ?

- Point du tout." (*)

Je me suis senti vraiment vide et incompris à cet instant...désespéré aussi. Quel besoin avais-je de me confier à un "spécialiste" en la matière ? Lui raconter mon intimité ne m'a apporté que de nouvelles noises au final : me voilà "recruté" pour une série de rencontres brèves programmées. Parler à toutes ces femmes, devant tous ces gens qui vont nous observer. "Mais que diable allait-il faire dans cette galère ?" (***). La seule évocation de l'évènement me ramène inéluctablement à l'image subliminale de l'élevage en batterie de poules et poulets, auxquels on brise les pattes afin de s'assurer qu'ils vont rester à la place désignée (re-sic)... "Tiens, prends ton cocktail aux couleurs perroquet, prends ta liste de numéros et va les rencontrer. Tu changes de table toutes les sept minutes. Puis tu reviens là et tu nous donnes le numéro de celles que tu veux que l'on te plume..." : ça y est, c'est sûr je déraille maintenant. J'ai vraiment très chaud.

"- M'y voilà ?

- Vous n'en approchez point." (*)

De plus en plus angoissé, me voilà déambulant dans la ville, apprêté vestimentairement chargé d'une dizaine de petits sacs, je suis branché en mode pilote automatique. Chaque petit sac contient une petite boite de nougats et une fiole de vin doux de noix (produits de mon terroir natal garantis sans nitrates ni phosphates). Ces petits présents sont pour mes futures et brèves "partenaires". Cette attention que je veux noble peut paraître quelque peu désuète, mais je m'en servirai comme sujet de discussion tout en espérant que le chrono tournera vite et donc en ma faveur. Je n'en parlerai d'ailleurs pas à Jean-Paul. La gorge est désespérément sèche malgré la demi-douzaine de verres d'eau enfilée dans la dernière heure. C'est avec la vessie prête à exploser et donc adoptant une démarche en canard que je m'engage dans la rue de ma destination finale. Le palpitant ne décélère plus depuis maintenant un peu trop longtemps. Je brûle à l'intérieur ! L'encolure de ma chemise toute neuve pourtant encore lâche il y a quelques instants s'est diablement resserrée. Je délace la cravate. 19h22..!! P'tain que le temps passe vite. Je continue de gonfler me semble t-il, tant et si bien que maintenant j'ai l'impression de porter autour du cou une collerette immense, brûlante et lourde d'amidon, comme si je venais de défoncer un nymphéa complètement desséché et en feu à l'aide de ma tête. Pauvre (gre)nouille sans plus aucune embarcation sur laquelle me tenir... 19h29. La main frémissante sur la poignée de la porte d'entrée, les battements de mon coeur se noient dans les basses exacerbées de la soirée déjà lancée. Je ne les sens même plus. Je perds pied !

"La chétive Pécore

S'enfla si bien qu'elle creva." (*)


(*) Extrait no 1 d’une fable de Jean de la Fontaine, « La grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf »,  Livre I, fable 3

(**) Film (1979) de Patrick Schulmann

(***) « Les fourberies de Scapin » – Molière

Signaler ce texte