un festival de promesses
Ghyslaine Bobillier
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les jurés
Mesdames et Messieurs les artistes et les professionnels de tous horizons
Veuillez excuser mon intrusion sur cette scène mythique du palais du festival de Cannes. N’ayez crainte, je ne suis pas de ces minables trublions qui, pour honorer un pari stupide, seraient prêts à défiler ici nus.
Si je suis devant-vous aujourd’hui, c’est pour répondre à la promesse que j’ai faite voilà trois ans à un détenu du Texas que la décision d’un juge, a mené sur la chaise électrique le jour où je finissais le visionnage des rushs que nous avions tournés ensemble.
Non ! N’ayez crainte ! Je ne suis pas non plus venue vous faire signer une énième pétition pour l’abolissement de la peine de mort dans le monde, même si ce n’est pas l’envie qui m’en manque. Mais je ne suis pas sûre que ce soit le moyen efficace pour parvenir à mettre fin à cette macabre parodie de justice.
Si je suis devant vous aujourd’hui, c’est pour honorer aussi, bien d’autres promesses :
Celle que j’ai faite à ce jeune homme, qui le jour de ses vingt ans, s’est retrouvé assis sur un fauteuil roulant, fauché par un chauffard multi récidiviste et qui a préféré ne pas souffler sa vingt troisième bougie
Non ! N’ayez crainte je ne suis pas envoyée ici par l’obscur lobby de constructeur de radars de contrôle de vitesse
Si je suis devant vous aujourd’hui, c’est pour honorer la promesse que j’ai faite aux parents de ce jeune enfant leucémique le jour de son décès par défaut de moelle osseuse.
Non ! N’ayez crainte, je ne suis pas venue non plus, vous faire adhérer au don d’organes. Je suis sûre que vous êtes conscients de l’importance d’un tel geste.
Et puis, j’avais encore une autre promesse à tenir et c’est pour ça que je suis devant vous aujourd’hui. Cette promesse, je l’ai faite à une personne qui a passé une bonne partie de sa vie à lutter contre ses démons intérieurs derrière les murs d’un hôpital psychiatrique et qui un jour, préféra tuer ces démons en se jetant sous un train.
Non ! N’ayez crainte, je ne suis pas venue vous proposer un remake de « vol au dessus d’un nid de coucou » j’en serais malheureusement bien incapable.
Alors me direz-vous, pourquoi tant de promesses ? Pourquoi faire tant de promesses qu’on ne sait si on pourra les tenir ? Parce qu’un jour, comme Monsieur Martin Luther King, j’ai fait un rêve….
Mon rêve à moi c’était de pouvoir donner la parole à tous ceux qui ont eu leurs rêves brisés : soit par des circonstances malheureuses, la mauvaise rencontre au mauvais endroit, soit par la maladie physique ou mentale.
J’ai rencontré chacun de ces écorchés de la vie et nous avons fait le pari de jouer à se redonner des rêves comme pour ripoliner de couleurs clinquantes leur existence. Je leur ai offert ma boîte à Pandore, ma palette multicolore, ma navette à chimère… en un mot ma caméra. Je leur ai proposé de refaire, d’après le rêve de Martin Luther King, leur propre poème en images. Pendant tout le temps qu’a duré le tournage j’ai vu des étoiles briller dans leur yeux et mon cœur à moi, grâce à eux, grâce à leur force, grâce à leur imagination, était sur une autre planète, celle du « Petit Prince » de saint Exupéry
Maintenant que le rideau est tombé, et que leur existence a sombré dans l’éternité des ténèbres, c’est vers vous, Mesdames et Messieurs les professionnels du cinéma, que je me tourne afin que ces personnes à travers leurs personnages ne disparaissent pas et que leurs rêves deviennent les nôtres.
Qui mieux que le cinéma peut y parvenir : nous les pourvoyeurs d’onirisme, les dealers de songes, les estafettes du bonheur !
Ce film, leur film, il est là, entre mes mains, mais il n’attend que votre générosité pour illuminer les écrans des cinémas de quartiers de New York à Sidi Bel Abbes et réveiller la fibre poétique qui se cache dans tout spectateur.
Voilà pourquoi, j’ai fait tant de promesses car je suis certaine que, comme notre ami Coluche qui a réussi la mise en place des restaus du cœur, on pourrait, nous tous ici réunis, inventer le cinoche du cœur
Et pour finir, Monsieur le Président, vous avez si justement dit tout à l’heure que le film qui obtiendrait cette magnifique palme devait répondre aux critères de grandeur, d’ampleur d’intention et d’impact qui convient à ce que l’on peut attendre d’une palme d’or ; si tels sont vos critères alors, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs du Jury ne cherchez plus : voilà ce film !