Un gun dans la jarretière.

Alexandra Charre

Ma participation au concours de nouvelles Au feminin de 2013

C'était une ambiance de vieux polar. La nuit semblait épaisse et froide, les bars étaient enfumés, les voitures avaient leurs pneus crevés. Je me souviens parfaitement de ce que je me suis dis à ce moment-là. Je me suis rappelé que les héroïnes à rouge à lèvre et talons n'avaient pas de super héros puisqu'elles étaient héroïnes. J'étais effrayée, mais je ne laissais rien paraître. Pour l'amour du jeu. J'étais prête à dégainer mon flingue caché dans ma jarretière au moindre bruit inquiétant. Mon pas était sûr et précis. Je savais très bien où j'allais et je n'avais pas le temps de faire du charme et des œillades à qui que se soit. Je n'avais qu'une chose en tête. Cette chose m'obsédait. Cette vengeance doucement élaborée. J'étais là, au moment précis où tout allait se passer. J'allais atteindre ce fameux but, mes mains tremblaient, mais je ne m'en rendais pas compte. Je me sentais forte, à l'aboutissement d'une chose longuement concoctée.

Il y avait un avion dans le ciel. Une rupture dans ce calme parfait. Je le suivais des yeux en respirant lentement. C'est ici que tout va commencer. Que ma vie va changer. Que mes actes vont tout bousculer. Je suis arrivée en bas d'un immeuble du quartier Saint-Michel. La lumière de ta chambre était allumée. J'ai souri en essayant d'imaginer quel livre tu étais en train de dévorer. Ton dernier. J'espérais qu'il te reste une bouteille de vin rouge au frais. Celle du Château de Merceau. Ma préférée. J'ai tapé le code sur l'interphone. Deux ans de vie commune dans cet appartement, 10 mois que nous étions séparés. Tout était resté figé, rien n'avait changé. J'ai monté doucement les étages. Par les escaliers. Mes talons cognaient les marches une à une. Au deuxième étage, quelqu'un écoutait du Mozart.Je me suis souvenu que c'est là que vivait M. Louvin. Un brave homme. Toujours d'accord pour nourrir le chat durant nos vacances, pour faire patienter nos invités arrivés en avance ou pour nous dépanner d'un peu de beurre.

Et puis je suis arrivée devant ta porte. La numéro 7. J'ai remis mes cheveux en place et j'ai frappé. Tu m'as ouvert. Après la surprise et l'étonnement, par naïveté sans doute tu m'as laissé entrer. Combien de fois ai-je franchis cette porte ? Combien de choses nous somme nous dites devant celle-ci ? Combien de baisers échangés ?

Sans un bruit, j'ai posé mon sac sur le divan. Je me suis dirigé vers la cuisine et j'y ai vu ma promise. La bouteille de Merceau. Tu m'as regardé et tu as compris. Tu as attrapé deux verres à vin. J'ai débouché la bouteille, comme une professionnelle. Tandis que le vin coulait dans le verre, tu voulais savoir pourquoi j'étais là. J'ai négligée la réponse en demandant si tu avais du Mozart.

Ces derniers temps, j'avais souvent fantasmé ce moment. J'imaginais ta réaction lorsque t'aventurant dans mes bras, tu tomberais nez à nez avec ce gun si froid. Je me demandais si mon charme opérerait, si tu succomberais à nouveau te baladant sur les galbes de mon corps. Je voulais être la dominante et te soumettre. Je voulais que ma chair te rende a nouveau accro. Que tu revisites chaque parcelle de ma peau. Ton dernier plaisir avant la fin. Peut être même que j'attendais que tu me supplie. Comme je t'ai supplié de rester, de m'aimer à nouveau, de nous donner une seconde chance.

Un bruit sec et intense perturba ma mise en scène. Quelqu'un venait de quitter ta chambre en claquant la porte. Cette chambre où je voulais t'entrainer, ce soir encore, avant de décider de ta sentence.

Je m'étais préparée à toutes sortes de rebondissements, à des changements d'avis, à des retournements de situation. A tout, mais pas à cette porte qui claquerait. Lorsque l'on se rend chez quelqu'un , armé d'un gun- que l'on utilisera ou non- il faut un minimum de réflexion et de précautions. Et beaucoup de sang froid. Nous étions là, à nous regarder. Notre immobilité soulignée par cette foutue musique de Mozart. J'entendais les pas s'enfoncer dans la moquette se rapprocher dangereusement de moi. J'essayais de deviner la silhouette de celle qui m'avait remplacée. Était-elle blonde ou brune, séductrice ou réservée ? J'allais bientôt le savoir. J'allais bientôt la détester. Serais-je contrainte de vous tuer tous les deux ? Et puis, il a fait son entrée. Cet homme. Cet inattendu. Vous vous êtes embrassés. J'ai voulu saisir mon arme. Il ne s'agissait plus de bluffer. Les limites étaient dépassées. Un piège se refermait lentement et cruellement autour de moi. L'air de rien, l'homme a saisit le paquet rouge de cigarettes sur le comptoir de la cuisine. Il l'a tapoté contre la tablette et une clope se mit à rouler jusqu'à son autre main. Tu as sorti un briquet bleu de ta poche. Il m'a demandé si je fumais. J'ai secoué la tête en négation. Je ne savais que dire. Je ne savais que faire. Mes mains étaient moites, ma respiration rapide. Tout mon corps tremblait. Je sentais mon mascara couler le long de mes joues roses. Après s'être rassasié de quelques bouffées de carbone, l'homme s'est approché de moi, puis m'a embrassée. Tu as sorti un troisième verre et le disque de Mozart nous a guidés.

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