Un hiver à Paris

amazeg

Pitch :

De nos jours, à Paris : un jeune homme se travestit et prend avec succès l’apparence d’une femme attirante pour séduire celle qu’il aime qui, quant à elle, aime les femmes, sans deviner ni maîtriser où le conduira ce déguisement.

La durée de l’histoire : celle d’un hiver. Le lieu : Paris, un appartement, la rue, différentes sorties. Il y aura peu de personnages : quatre principalement (le jeune homme, son oncle âgé, M & sa colocataire), & d’autres moins présents (amis, cousins, téléphone, Internet).

Fin de l’automne 2010.

Un jeune homme dans sa vingtaine s’installe à Paris, dans une petite chambre qu’il parvient à louer. A côté de petits boulots (réceptionniste d’hôtel, livreur, &c.), il attend et tente de rencontrer des filles dans cette ville si peuplée, qu’il rêve pleine d’activités, de vie & d’intensité : il recherche, en quelque sorte, son « éducation sentimentale ». On l’entend exprimer ses rêves et ses espoirs plus ou moins naïfs dans un premier chapitre, ainsi que sa relation d’amour-haine à la ville. On apprend qu’il veut tourner la page sur ses déceptions, et qu’après plusieurs frustrations, il se rêve désormais en homme neuf, en séducteur un peu macho, un peu poseur & beau parleur. Il se donne des airs virils & s’occupe de gonfler sa confiance par des mots, devant un miroir, ainsi que de gonfler son corps en se rendant au club de gym le plus proche.

Alors qu’il n’espérait plus grand’ chose côté sentiments (entre désillusions amicales & soucis pécuniaires), l’amour semble se faire chair lorsqu’il rencontre la nouvelle colocataire d’une de ses amies de courte date. C’est une rousse de petite taille au sourire irrésistible, de quelques années son aînée. Elle est la première femme qui lui fasse battre ainsi le coeur ; cette rencontre le sort brutalement de sa réserve & de son indifférence. Elle s’appelle M. Elle est jeune encore... et un peu excentrique. Ses réflexions et ses idées sont inattendues, son regard, comme son être, insaisissable. Rapidement, elle prend une grande place dans son imaginaire : quelque chose en elle, dans son intensité, un je-ne-sais-quoi de vie, fait qu’elle incarne à ses yeux à la fois l’inconnu et l’interdit, le sauvage et le farouche. Elle  est souvent très belle, avec ses longs cheveux, mais son visage change constamment, comme la mer, et son caractère. Par allusions, on comprend qu’elle n’entretient des relations amoureuses qu’avec les femmes. Pourtant, après s’être rapprochés alors qu’ils apprenaient à se connaître et à développer leur amitié, le jeune homme et elle se retrouvent bouche contre bouche, corps contre corps ... ce qui le laisse plus perplexe que jamais. Cette rencontre occupe le deuxième chapitre.

Quand il s’aperçoit de la « cristallisation » de son amour, et de la force de son désir, notre jeune homme s’efforce de créer entre eux une véritable relation, avec quelque succès dans un premier temps. Ils passent ainsi une nuit d’amour prometteuse. La journée qui suit est très romantique : les deux protagonistes se rendent dans un bois de banlieue, près de la famille absente de M, où ils courent, marchent, parlent, dansent, se roulent dans la neige et se murmurent légèrement des mots d’amour. Ils font de la luge, glissent sur un lac gelé, s’y allongent, &c.

Mais l’idylle prend fin brutalement, M le rejette sans lui laisser d’espoir, quelques jours plus tard. Elle lui a dit, entre maints autres paroles : je crois que je t’aime. Il n’a retenu que le je t’aime ... il va vivre un intense chagrin. Elle s’échappe, s’affirme incapable de l’aimer comme une femme aime un homme. Ce quatrième chapitre est composé de quelques mots écrits, paroles téléphoniques, et surtout d’efforts pour oublier M. Il neige dehors. C’est l’hiver pour de bon, cette fois. La douceur se mue en amertume. Notre amoureux éconduit ne se laisse pas aller et se console en sortant davantage. Malgré la désillusion il est excité d’avoir trouvé l’amour et des mouvements inconnus de son coeur. En façade, pour ses amis, il est gai comme jamais, sûr de lui, et beau. Et s’il oublie parfois ce qu’il fait en soirée, par excès d’alcool, s’il se réveille à tel ou tel endroit avec des choses écrites sur le corps ou des habits souillés, et parfois des filles à ses côtés, il ne parvient pas pour autant à oublier la chaleur de M. En son for intérieur il passe du désespoir à des consolations variées. Plusieurs amis sont plus ou moins impliqués, et on assiste à des conversations imbibées plutôt amusantes, parfois avec des inconnus qu’il prend à parti. Cependant, ses journées sont solitaires. Il lui arrive de les passer à dormir & à regarder sans trêve des comédies romantiques américaines. Ou bien il écoute obsessivement du flamenco, Juliette Gréco & Billie Holiday, Tom Waits & Leonard Cohen. (On découvrira parmi les traits de sa personnalité un penchant pour les classiques, du début à la fin, il témoignera d’un certain décalage, charmant ou drôle). Il devient dépendant de ces artifices, et des rêveries qu’il fait dans son lit où il reste à demi endormi jusqu’à plus de midi, quand il le peut et ne travaille pas le matin. Puis il découvre un grand réconfort : passer son temps dans des éléments liquides. Les larmes parfois. La journée, après avoir fait de la musculation avec un certain acharnement, il se rend à la piscine où il nage avec rage, puis sous la douche dont il sort avec peine. La nuit, c’est plutôt dans l’alcool qu’il se noie. Cet hiver-là, s’il neige dehors, son coeur « brûle » d’amour, et il tente comme il peut de l’apaiser. Il passe parfois ses journées à errer dans Paris, un pied devant l’autre, effaré, le coeur plein d’émotions qu’il ne parvient à nommer, la tête vide, levant les yeux au ciel vers les nuages irradiants de lumières.

Au même moment, un oncle dont il est très proche le rejoint quelques jours à Paris (il habite l’étranger). Il a soixante et un ans, mais c’est encore un incorrigible séducteur, un don Juan de l’ancienne école, un bel homme charismatique aux cheveux gris. L’âge l’a rempli d’intelligence, de fantaisie & de malice. Les deux complices discutent d’amour. « Merci ! Je meurs d’étouffement sous une avalanche ... et au lieu de m’aider tu en rajoutes sans pitié avec des niaiseries sur la beauté de la neige. » L’oncle se moque de la confusion des sentiments de son jeune ami. « Tu n’es pas tombé amoureux, tu es tombé malheureux d’elle. » Il s’amuse aussi de la confusion des genres. Le jeune homme, influencé par son confident, est saisi par le démon de la persévérance. La savoureuse conversation entre les deux compagnons (notamment lorsque le neveu et son oncle débattent du même sujet : l’amour & le souvenir), la rencontre de l’expérience & de l’innocence, occupera un nouveau chapitre. Le vieil homme a un côté un peu libidineux, et bourru. A la fin, il laisse échapper une phrase décourageante. Il fait entendre à son neveu qu’il ne pourra pas séduire M, que la chance a passé, et que, même s’il réussissait, cela ne vaudrait pas le coup, point de vue sexualité notamment : cette femme qui ne l’aime pas ne lui apportera que le malheur. Il n’a pas, après avoir réfléchi à l’histoire, une bonne opinion de son amie, et met en garde son neveu contre ses dangereux et juvéniles excès de romantisme... « Je parie que tu n’es pas ce qu’on appelle un homme à femmes... La vingtaine, c’est un âge merveilleux ! Profite de la vie & de ton corps surtout ! Apprends à aimer & à te faire aimer ! Oublie ton chagrin, sois audacieux, autrement tu le regretteras, parvenu à mon âge ! Et sois confiant : qui a aimé aimera encore et davantage... »

Après coup, cette conversation n’a fait qu’exciter notre jeune héros, qui n’en a retenu que ce qu’il acceptait d’entendre. Pour conquérir le coeur de M. il décide, un soir alcoolisé, qu’il se déguisera en femme, et il en informe son oncle par bravade. Sans doute s’inspire-t-il des réminiscences d’histoires mal digérées... C’est ainsi qu’il entreprend de la séduire. Précisons que notre héros a des traits assez féminins, & qu’il fait en définitive une très belle femme, au visage original, « artistique » & séduisant. Après s’être transformé, avoir profité des friperies parisiennes & d’amies pour s’habiller correctement, avec fantaisie, après s’être maquillé, s’être épilé, dûment rasé, et avoir mis une perruque, après s’être ajouté des seins, et avoir étudié sa démarche et sa nouvelle voix, le jeune homme va provoquer des rencontres « fortuites » avec M. Ce sera un chapitre assez léger.

Dans cette nouvelle peau, il va, en sortant beaucoup, & sans l’avoir cherché, apprendre peu à peu à se connaître mieux lui-même, & les femmes, grâce à ses nouvelles camarades (féminité, beauté, séduction, charme). Il apprendra que les femmes pensent beaucoup, et souvent pas comme lui. Dans ce chapitre, le rythme devient plus rapide. Fort de sa nouvelle peau, il deviendra « une amie » très proche de M.

Un soir en particulier il se retrouve dans le même lit qu’elle, chez lui. Les deux passent une nuit blanche : c’est le soir du 20 décembre, il neige sur Paris. C’est la nuit la plus longue de l’hiver. La lune est pleine. Ils discutent d’amour & de relations, et lui relance encore et encore la conversation, car il veut absolument éviter de s’endormir à ses côtés, tant il la désire. Ils finissent par parler de sexualité. Les deux se prennent à un jeu où la vie sentimentale & les mots échangés entretiennent une relation ambiguë. Cette conversation est l’objet d’un nouveau chapitre. Tout y est à double entente, notamment lorsqu’ils parlent des qualités de séduction d’un homme, et d’une femme. A M, il parle d’M... Et M parle un peu de lui... Le quiproquo devient croustillant lorsqu’elle évoque son expérience récente avec un garçon... M s’endort, et lui reste encore éveillé. Le lendemain, M. au réveil est simplement vêtue d’un t-shirt, avec un crayon dans ses cheveux roux, et elle est plus sexy que jamais. Au contraire de notre jeune travesti contraint de se coucher tout habillé et maquillé (ce qu’il a justifié par sa paresse, et parce qu’il n’a pas dormi)... Suit une autre soirée romantique : les deux amis flirtent, mais le jeune homme masqué prévient M qu’il ne pourra l’embrasser, qu’il ne veut rien essayer avec une femme, car il a « ses raisons ». Ils sont très près de s’embrasser, une sorte de tension palpable monte entre eux ...

Notre jeune séducteur découvre avec son amie un milieu bohème, parfois policé, parfois sauvage, parfois excitant, parfois bête, dont il se lasse. Lui-même a changé de sociabilité et de fréquentations, et il a abandonné la musculation pour le yoga à son club de gym, pour des raisons évidentes. Il découvre une autre M, en société, qui l’agace ou l’exaspère, ce qui relativise cruellement son amour. Il trouve l’esprit de communauté libertaire plaisant, chaleureux, vivant, mais M paraît toujours bizarrement satisfaite, s’intéressant à n’importe quelle conversation. Elle fume ce qu’on lui tend, et consomme souvent les drogues qu’on lui propose. Le masque qu’il porte alors qu’il rencontre tous ces gens le rend très attentif et sensible aux comportements, qu’il saisit mieux et plus cruellement à mesure que son assurance grandit. Il en devient assez sarcastique, parce que décalé dans ces milieux parisiens, où s’enchaînent fêtes et sorties, loisirs et spectacles, divertissements luxueux ou cheap. Peu à peu il développera une sensibilité et une sensualité nouvelle, et croira perdre son amour pour M en même temps que tout ce qui lui apparaît désormais superficiel. Il aura une aversion croissante pour la colocataire de M, son ancienne connaissance, qu’il découvre parfaitement idiote et la plupart du temps ridicule. Il voudra quitter ses déguisements & ses mensonges. M lui présente ses partenaires amoureuses, dont une avec qui elle sort plus ou moins : lui-même profite de son déguisement pour s’amuser à séduire des garçons, sans faire suite, mais provoquant différentes scènes comiques.

En fait, derrière sa nouvelle humeur plus nerveuse et sarcastique, il étouffe sa passion inconsciente pour M, relation d’amour-haine. Finalement c’est M. qui tombe amoureuse de « lui » : d’elle. C’est alors qu’on entendra sa voix ... et qu’on découvrira ses fragilités, son intimité. Ce troisième monologue (le premier au premier chapitre) sera à nouveau une comédie morale & psychologique mêlée de tendresse.

L’amour triomphera-t-il des mensonges & des désillusions ? Survivra-t-il lorsque les masques tomberont ? Nos personnages ont pu se retrouver, mais pourront-ils se reconnaître, se réconcilier, s’aimer ? Au moment où tout ce qui est arrivé entre eux semble se dissiper, où les braises s’éteignent...  Un soir où ils se retrouvent à danser, ils se font face à nouveau, et ...

Puisqu’il s’agit d’être mauvais genre, autant prendre plaisir à un humour tendre ou parfois loufoque, et un peu satirique, naissant entre autres du grand classique de la comédie sentimentale, le déguisement, ainsi que du comique de caractère (la colocataire de M), de la satire sociale (les milieux nocturnes de Paris) ou d’un comique psychologique plus subtil (les monologues intérieurs). Et puisqu’on est invité à se débarrasser de toute mauvaise conscience dans le romantique, on laissera tous les personnages rêver et parler d’amour ... avec comme décor la prestigieuse capitale de la romance imaginée, fantasmée & bien des fois vécue, la ville des Lumières, Paris.

On utilisera comme décor de fond, ou plutôt comme musique d’ambiance, un cliché des clichés de la romance : la saison hivernal, la neige et le froid qui tombent sur la ville comme sur le coeur.

Enfin, voici un passage extrait de la fin de la romance, après que le narrateur du chapitre en question a écouté April in Paris chanté par Holiday :

« Ah Paris, immense maquis ! Quand je marche dans tes rues grises, bruyantes ou vides, quand je vois tes toits gris, ton ciel gris, tes oiseaux gris oh, Paris, Paris la grise ... Assis à un café, ou rêvant sur les quais, croisant des pas pressés, ou des regards blessés ... Quand la beauté me frappe, dans l’éclair d’un visage, ou dans ton ciel splendide, rayonnant de lumières, à travers les nuages & les minces silhouettes sans feuillages ... Je t’aime, Paris ... oui j’aime Paris, chaque fois que je pense à toi, j’aime Paris, oui, parce que c’est ici que mon amour vit. »

Chapitre 1

Il regarde par la fenêtre. De gros flocons tombent, le ciel est blanc.

Il neige ! Il neige sur Paris !

Oui il neigeait.

Il avait allumé deux bougies : il n’a pas encore l’électricité dans la minuscule chambre qu’il a réussi à louer depuis quelques jours. De son septième étage, il profite une vue imprenable sur un ensemble géométriquement harmonieux de toits et cheminées.

Il détourne la tête de la fenêtre et regarde danser les flammes. Puis il observe son reflet au miroir qu’il a posé ce matin même au mur.

Peuh !

Il se détourne et se sert d’une bouteille de vin pleine, dans son unique verre à pied. Il est content du bruit du liquide qui coule doucement dans le récipient. Il relève la bouteille et la pose sur la table. Son verre à la main, il se salue devant le miroir.

C’est plus élégant ainsi.

Il pose son verre et met un disque dans sa chaîne. La musique installée, il reprend sa position, devant le miroir.

Bien... C’est beau dehors, tranquille et froid. Ah, la neige ! Qui ne l’aime ? Mais je hais Paris. Cette ville est plus grise que la cendre ! Et ses passants sont si tristes.

Il porte le verre à bouche, et le repose sans avoir bu.

Maintenant, l’hiver et le froid ! Sera-t-il aussi gris ? Après tout, blanc serait un progrès. Oui, ce serait mieux ainsi. Je n’aime pas Paris, ni les gens d’ici ! Mais restons-y. Cet hiver. Buvons, buvons & réchauffons-le ! Cet automne m’a familiarisé avec la détresse. Et maintenant, enfin, une chambre à soi...

Il regarde quelques cartons.

Pas facile de vivre ici. Mais je devine la joie derrière les fenêtres, je la devine dans les yeux en fête. Tiens, il neige et c’est beau. Les gens ne doivent pas avoir trop envie de sortir... à part peut-être les enfants et ceux qui le sont restés. Quel bel instant pour profiter d’un foyer. Idéalement, d’une cheminée. Oh, il y en a qui sont sûrement en train de s’occuper au mieux, avec la neige qui fait vraiment romantique. Sacripans !

Il boit.

Ah oui, c’est comme si je les voyais d’ici, toutes ces lucioles de désir qui s’allument dans le drap blanc du ciel. En ce moment même, corps qui se cherchent, se tâtent et se pénètrent ! Quelle fête, quelle joie ! Tant de lumières. Ca me réchauffe le coeur. Par procuration.

Il s’entr’aperçoit dans le miroir, regarde à nouveau à la fenêtre. Il neige toujours en abondance. Il pose son verre de vin, qu’il a vidé, se chausse. Puis se vêtit d’un pull, et d’une veste. Et d’une écharpe. Et de gants. Il prend ses clés et sort. Dehors :

Merde ! Quelles chaussures de merde ! Tant pis, ce sera tout trempé ! Merde...

Et il s’en va, et marche, et marche. Jusqu’à la rue de la Gaîté.

Tiens je la connais celle-ci : la rue des sex-shops et des théâtres du sud.

Il continue sa marche, et la neige redoublant, il porte son regard à ses pieds, en se concentrant pour éviter les flaques. Chaque fois qu’il relève les yeux, les lumières des réverbères et des enseignes se mêlant au blanc l’impressionnent, formant des halos devant ses sourcils pleins de flocons. Ce spectacle l’émeut presque.

Ah c’est beau Paris tout de même. Quels éclairages !

Il voit quelques personnes qui s’animent sur le trottoir, devant lui, autour d’un clochard. Ils l’interpellent, lui disent de se relever. L’homme allongé a sur le visage un air béat. Il les repousse, il leur grogne indistinctement qu’il va mieux que jamais, que cette nuit, il a un lit (ou un nid ?) ... un lit de neige. Quelqu’un, apparemment, appelle un numéro de secours.

Eh bien, ils ne sont pas si mauvais, ces Parisiens ! Ils ont au moins de la dignité. Peut-être n’est-ce que l’effet du blanc...

Au tournant qui suit, ses yeux rencontre une vue merveilleuse. Une certaine géométrie des bâtiments, la lumière, le flou dû aux flocons qui tombent drus, cela comble son coeur. Satisfait de sa ballade, le nez saisi par le froid, rouge et coulant, il décide de rentrer.

La neige qui tombe...

M’enfouir dans la neige, me laisser couler, dériver, me laisser tomber comme un flocon ... non ! je ne vais pas m’enfouir dans la neige ! M’alléger, flocon pris par le vent, je vais m’alléger, me laisser prendre par le vent, rêva-t-il un instant. Il eut un frémissement de joie.

Dans un coin sombre, il ouvre sa braguette maladroitement, et pisse dans la neige fraîche – une petite fumée se forme autour du liquide ... il est presque heureux. Puis il referme son pantalon, et repart. En peu de temps plus tard, il dépose ses chaussures trempées, ses chaussettes trempées, et sa veste blanche devant sa porte. A l’intérieur, il allume un petit chauffage d’appoint, son indispensable animal de compagnie, et se sert un nouveau verre de vin.

Il neige encore, il neige toujours, il n’y a plus que du blanc derrière cette fenêtre. Ma chambre est noyée dans le ciel... Bon, j’ai réglé la question du logement pour un temps. J’ai assez d’argent aussi, au moins au début, et j’ai mes boulots. Plus de soucis matériels très urgents... alors que faire de cet hiver ? Quand les soucis ne sont pas la faim, le coeur se préoccupe d’amour, non ? Mais est-ce que je veux encore de ces petits jeux qui m’ont pris tant de temps les années passées ? Réticentes séductions, lentes découvertes, doutes, doutes et questions, avec pourtant une certitude : l’ennui. Que m’en reste-t-il ? Le désagréable souvenir de frottements, d’énervement des corps, d’association de tubes buccaux & génitaux, les moiteurs partagées, quelques chambres, quelques lits, quelques bonheurs, quelques disputes, quelques moquettes, quelques joints et cigarettes, et toujours un épuisement rapide du désir, une volonté irrésistible de fuite... Pourquoi ne puis-je pas tomber amoureux ? Vraiment, comme dans les romans, quelque chose de brusque et d’excitant. Pff... Et même si cela m’arrivait, je ne saurais pas réagir. Dans mon état, pour sûr ce serait un immense gâchis. Si tu veux découvrir les femmes, ne sois pas si passif, bon sang ! Apprends à parler, apprends à marcher, apprends à sourire, apprends à séduire !

Il boit.

Elle, elle sera belle. Elle est belle.

Il lève son verre vers le miroir.

Elle est là quelque part.

Il cligne de l’oeil à son reflet.

Et que fait-elle ? Elle regarde la neige. Sans doute. Et que pense-t-elle ?

Il détourne son regard vers la fenêtre, et soupire.

Il faudra lui parler, il faudra charmer ses yeux, il faudra allumer le désir dans son coeur ! Et comment la rencontrer ? Où ? Et comment l’aborder, si tu la rencontres ? Tu peux essayer ainsi : Ma belle, bonsoir, je ne puis m’empêcher d’être attiré par votre regard. Vos yeux me lancent des flammes, est-ce volontaire ? J’ai l’impression de vous avoir toujours connu. Voudriez-vous un peu de compagnie ? Vous sentez vous seule ? Je suis tout fraîchement ici à Paris, pardonnez-moi ma timidité. Je n’ai pas l’habitude de parler aux étrangers. Mais je suis bien seul, je ne connais pour ainsi dire personne ici. Cette ville est si vaste.

Il boit. Quelle lâcheté.

Je suis photographe, est-ce que vous accepteriez de ... ? Ridicule ! Je n’ai même pas d’appareil. ... J’ai lu hier un livre qui a changé ma vie, connaissez-vous. Non. Pas son genre les discussions littéraires. Je m’excuse de vous importuner, Mademoiselle ? Madame ? bref ... je suis écrivain, et je demande à des personnes rencontrées par hasard ce qu’elles pensent de ... De quoi ? De l’amour ?

Il boit.

Toi-même, tu ne sais quoi penser de l’amour. On dit que l’amour est jeu malsain, que l’amour est un chien de l’enfer, que l’amour est ceci ou cela. Mais on peut dire n’importe quoi, tiens, après tout, l’amour n’est-il pas un ... un quoi ... un koala ?

Devant le tour déplorable que prenaient ses pensées, il regarda le verre en fronçant les sourcils – il devait être un peu responsable – mais se retint de le finir.

Pour qui ont-elles été écrites toutes ces chansons que tu écoutes jour et nuit ? Celles avec lesquelles tu parviens à libérer tes larmes ? Trouverai-je jamais quelqu’un à qui les réinventer ?

Il boit.

Ah si seulement je pouvais rencontrer quelqu’un de nouveau... Et elle... elle, elle m’aimait. Elle était gentille. Oui. Mais non ! Moi je ne l’aimais pas.

Non il ne l’aimait pas. Il avait fait comme. Il s’était contenté de tendresse, d’humour, de mélancolie, d’un peu de désir et d’affection. Il boit.

Trêve de mollesse. C’est cela le moins séduisant. Qu’importe : je n’ai rien à juger, mais peste à la paresse, à la répétition du même, à la dépression, à l’abus d’introspection, à l’abus de l’intellect, à la routine, bref à l’ennui ! Je suis jeune, j’ai le droit de me dépenser. Les rencontres ne vont pas tomber du ciel !

Il met son verre à ses lèvres, mais avec maladresse, et quelques gouttes tombent sur son torse. Il le remarque à peine.

Il faut soigner mon apparence. Je peux faire ça. Ca peut donner des résultats. Se raser, se peigner, s’habiller. Le dos droit. Demain, je m’inscris au club de musculation. Il y a à peine la place de faire des pompes ici ! Au travail !

Et il se répétait une ritournelle qui venait de germer dans son esprit :

Aimer les femmes, c’est aimer la vie !

Tout le temps de sa rêverie, il continuait à boire son vin : le verre était fini. Il avait les yeux perdus au vague, vers le blanc derrière la fenêtre.

Peu de temps après, il se change et se couche, en dépliant son matelas-futon, et en sortant d’une caisse une épaisse couette.

Le lendemain, la lumière qui inonde sa chambre le réveille. Il a la gorge sèche, la bouche pâteuse. Il se lève avec maladresse. Il trouve une bouteille de lait qu’il ouvre pour boire...

Merde ! Pu de lait ! Merde !

Il jette la bouteille, et se frotte les yeux. Il boit de l’eau au robinet. Il porte son regard à la fenêtre, qui est toute floue, couverte de buée.

Heureusement qu’il y a cette sacrée lumière.

Il décide de sortir, acheter du lait.

Dehors, il y a encore des nuages dans le ciel. L’eau lui a apaisé la gorge.

Hmm, je suis dans un bel état d’esprit tout d’un coup. Sacré éclat gris au ciel. Sacrée lumière, oui. Ca promet pour l’hiver.

Il se sent évidé, bien, merveilleusement indépendant, voltigeant d’aise dans le froid qui le réveille, en équilibre. Il achète un croissant en passant. Mais en le mangeant, tout retombe, la fatigue revient, son humeur s’écroule. Alors il se souvient de la veille :

Je vais pas me laisser tomber. Un peu de virilité !

Il eut un sursaut dans la rue, redressa ses épaules voûtés et son menton, sortit une cigarette qu’il alluma, prenant une pose qu’il estima cinématographique en diable, à faire pâlir d’envie Bogart & Brando confondus, il allait, et il fuma, oubliant le lait, se dirigeant vers un bistrot pour consommer un café, fixant les filles qui le croisaient, son sourire américain, son regard martial, tout heureux qu’elles détournassent les yeux devant tant de fureur, prêt à tout, à conquérir Paris, même s’il n’avait aucune des ambitions requises, à conquérir une femme au moins, ou bien non ! des femmes, c’était plus sérieux, plus français, il allait, joyeux d’être dans une jungle à sa mesure, à peine assez vaste pour son goût d’aventure, il allait, serein, sauvage, fou, farouche, tendre, ardent, plein d’étincelles dans la tête, et il ralentissait son pas, il n’était pas pressé, après tout, laissons les choses se faire, patiemment, oui, il y faut la manière, le style, et il ne fallait pas, non, il ne fallait pas réveiller l’amour avant qu’il le veuille.

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